Les élites se sont coupées du peuple. Cette réalité est très apparente dans la sphère politique avec la montée du populisme. Mais le même phénomène s’est produit dans le domaine économique. La financiarisation de l’économie crée en effet un clivage entre les dirigeants des grandes entreprises et la population. Les stratèges des multinationales utilisent des variables géopolitiques et des ratios financiers pour implanter ou délocaliser. La population concernée n’y comprend rien mais sent qu’elle n’est qu’une variable d’ajustement dans un grand jeu dont elle ne connaît pas les règles.
Ni la démocratie ni le libéralisme ne peuvent s’accommoder d’une situation de quasi-exclusion de la population. Mais la solution relève du long terme historique.
Stratégies internationales et réalités locales
La gouvernance des grandes structures capitalistes multinationales relève désormais de stratégies principalement financières consistant à faire évoluer le groupe par des acquisitions, des fusions ou des cessions de filiales ou de branches complètes d’activité. L’unification progressive des normes comptables à l’échelle internationale sous l’égide de l’IASB (International Accounting Standards Board) permet d’apprécier la situation des entreprises du monde entier et, en quelque sorte, de faire son marché en achetant les titres sur les marchés financiers pour prendre le contrôle d’une entreprise.
Un abîme se creuse alors entre les préoccupations des stratèges des grands groupes multinationaux, essentiellement financières, et celles des dirigeants des unités de production, des ingénieurs ou des ouvriers, qui ne perçoivent absolument pas pourquoi leur entreprise change de propriétaire. La propriété incorporelle sur des titres est aussi une propriété lointaine et très théorique, qui n’a plus rien de commun avec la propriété immobilière de l’agriculteur qui cultive ses terres, propriété empreinte d’une dimension émotionnelle forte, presque charnelle. Toute personne qui possède des actions ou une épargne en OPCVM peut percevoir concrètement l’énorme différence entre le droit de propriété sur ses titres et le droit de propriété sur son appartement ou sa maison.
Les personnes assurant la production peuvent ainsi se trouver confrontées à des situations incompréhensibles pour elles. Les ratios financiers utilisés par les stratèges ne leur étant pas accessibles, elles perçoivent comme une injustice la cession de leur entreprise, surtout lorsque celle-ci est performante. Le stratège saisit des opportunités à l’échelle de la planète en jouant sur des différentiels énormes de coûts salariaux selon les continents, sur des réalités locales (fiscalité, infrastructures publiques, etc.), sur des facteurs géopolitiques (guerre ou paix, puissances ascendantes ou déclinantes) ; il raisonne sur plusieurs années et parfois plusieurs décennies (par exemple électrification des moteurs automobiles). Le producteur, à la tête d’une usine ou d’un établissement de prestation de services, est plongé dans la maîtrise de l’évolution technique, la productivité de son établissement, la gestion des stocks et le contrôle de gestion.
Propriété incorporelle et pouvoir
Sous une forme juridique similaire, le droit de propriété, se cachent des divergences absolument fondamentales.
La propriété corporelle sur une voiture ou une maison n’entraîne aucun pouvoir important sur autrui. Il en va tout autrement du dirigeant d’une grande entreprise possédant un pouvoir de contrôle du groupe. Propriétaire d’un nombre suffisant d’actions (pas nécessairement la majorité) pour disposer du pouvoir en assemblée générale d’actionnaires, il choisit l’équipe dirigeante et fixe les axes stratégiques. La propriété incorporelle des titres devient un habillage masquant les enjeux de pouvoir. En paraphrasant la phrase de Marx (« la propriété, c’est le vol »), il serait possible d’affirmer que la propriété incorporelle c’est le pouvoir. À partir d’un certain niveau d’accumulation, ce droit de propriété octroie un pouvoir économique considérable sur des centaines de milliers de salariés, sur des millions de clients et parfois même sur des milliards d’individus plus ou moins victimes d’une addiction (amis Facebook, followers Tweeter, etc.). La propriété incorporelle fonde aujourd’hui le pouvoir économique et a donc une dimension politique. Avec la numérisation de l’information et le big data, cette propriété devient un enjeu politique majeur.
L’exemple des entreprises détentrices des réseaux sociaux, toutes récentes historiquement, est particulièrement éloquent et souvent cité. Leur influence sur leur clientèle les rend anormalement puissantes. Sur les réseaux sociaux, la désinformation a atteint des niveaux tels que l’éducation de la jeunesse devient de plus en plus difficile. Des sondages récents effectués en France ont montré qu’un tiers des jeunes ne croient pas aux bienfaits de la science et que presque 30 % d’entre eux contestent la théorie de l’évolution. Il est impossible d’expliquer la pensée de Darwin dans certains collèges, surtout du fait d’enfants et d’adolescents imprégnés de fondamentalisme islamique par le milieu familial et confortés dans leur enfermement par le mode en fonctionnement en silo (seulement entre amis Facebook par exemple) des réseaux. Les réseaux sociaux sont utilisés à la fois par les partis populistes occidentaux et par les autocrates les plus puissants pour manipuler la jeunesse occidentale et l’empêcher de croire à la supériorité de la liberté et de la démocratie.
L’instrumentalisation par des autocrates, ou simplement des opposants politiques, de l’information qui transite sur les réseaux pose un problème fondamental aux sociétés démocratiques. Est-il pertinent que de telles structures soient assimilées juridiquement à une entreprise agro-alimentaire ou de produits de luxe ? Autrement dit, le capitalisme traditionnel est-il encore adapté aux entreprises qui dominent les flux mondiaux d’informations ? Elon Musk et Mark Zuckerberg ont-ils beaucoup trop de pouvoir dans une perspective démocratique ?
Positions dominantes mondiales
La réponse à cette question ne peut pas être négative. Ils ont trop de pouvoir. Mais personne, sinon les extrémistes pour lesquels les solutions simplistes sont toujours les meilleures, ne possède la solution. Le problème est à la fois politique, économique et juridique. L’aspect essentiel réside dans une dérive de l’économie de marché conduisant à l’émergence d’entités oligopolistiques ou quasi-monopolistiques. La suprématie écrasante de Google est l’exemple le plus connu de ce phénomène. Google détient 91 % du marché français des moteurs de recherche en 2023 et domine largement dans presque tous les pays du monde à l’exception de la Russie (Yandex) et de la Chine (Baidu). Évidemment, la résistance des dictatures provient d’un rejet de la liberté, mais le laisser-faire des démocraties ne représente pas non plus un progrès de la liberté individuelle.
En démocratie, seul le droit de la concurrence est apte à lutter contre la concentration excessive et l’éradication de fait de la liberté sur le marché par la domination écrasante de certains acteurs. Mais le droit de la concurrence est national, à l’exception du droit de l’UE, et le marché est mondial. Nous voilà donc désarmés.
Des normes juridiques mondiales
L’harmonisation mondiale des normes juridiques n’est pourtant pas hors de portée puisqu’elle existe de façon embryonnaire dans de nombreux domaines (Organisation mondiale du commerce, Organisation mondiale du travail, International Accounting Standards Board, etc.).
Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’évolution a été très significative dans ce domaine, mais le chemin à parcourir reste long. L’émergence d’un véritable libéralisme international suppose un marché mondial régulé qui ne peut exister sans normes juridiques interdisant la domination de certains acteurs. Une dernière précision : marché mondial régulé ne signifie pas pouvoir politique concentré au niveau mondial, situation qui déboucherait à coup sûr sur le totalitarisme. Seul le multilatéralisme apparaît adapté à la démocratie.
Problème : on pourrait tenir le même discours sur le social (traitement de la pauvreté extrême, emploi des enfants, …), l’environnement (pollutions, exploitation des ressources rares, et même pour certains contrôle de la température globale, …), etc, etc …, pour finalement aboutir à ce que l’auteur redoute : « un pouvoir politique concentré au niveau mondial, situation qui déboucherait à coup sûr sur le totalitarisme ».
Hummm…
C’est une blague?
Idem pour le petit patron d’une entreprise de 3 salariés qui décide ce qui est bon ou mauvais et vend son entreprise quand il en a assez ou prend sa retraite.
Idem pour l’État qui à chaque changement de majorité voire de président revend la population du pays à des lois (qui améliore ou diminue son niveau de vie) qu’il décide avec son gouvernement unilatéralement.
Si on ne veut ni patron ni état qui décide pour les groupes, il reste l’anarchie d’extrême gauche.
La différence entre des actions et un appartement dans une grande co-propriété est d’abord qu’il est plus facile de revendre les actions pour en acheter d’autres.
Libéralisme dépendant de normes internationales communes mondiales et impératives …. ? ces n’est pas exactement ma définition du libéralisme … mo,i j’en reste à la liberté d’ entreprendre non entravée par des monopoles, l’Etat,ou des ententes illicites pour empêcher la concurrence de jouer au profit des clients et SOUS LA RESPONSABILITE JURIDIQUE ET FINANCIERE DES ENTREPRENEURS… être propriétaire des murs de l ‘entreprise ou de la majorité des actions c’est pareil ILFAUT être l PROPRIETAIRE, simplement , vendre de l’immobilier c’est moins rapide.. Le problème de ces monstres internationaux c’est leur capacité à trouver des TAX Shelters qui officiellement n’existent pas ou moins alors qu’ils existeront toujours, les Etats ayant trop besoin de caches pour financer l’inavouable , les trafiquants de drogue pour recycler leurs immenses capitaux. Il y a longtemps , j’avais adoré un film américain avec De Vito, qui s’appelait » Harry le liquidateur » une comédie Grinçante ,à une l époque ,ou les japonais devaient maîtriser le monde ( les chinois étant encore au stade » Mao tse Dong ». A l’occasion, ne le manquez pas .
Puisque personne ne le relève, je le fais : « La propriété c’est le vol », ce n’est pas une citation de Marx, c’est de Proudhon. (https://www.histoire-en-citations.fr/citations/proudhon-la-propriete-c-est-le-vol)
Le libéralisme impose un Etat fort, capable de tenir son rôle : fixer la règle du jeu, et en vérifier l’application, notamment faire en sorte que la concurrence soit efficace, avec la suppression des monopoles de fait ou de droit. Dans ce sens, un Etat mondial fédéral serait évidemment la meilleure solution, de façon à ce que tout le monde utilise les mêmes règles du jeu. Cela n’empêcherait pas les Etats locaux d’exister, bien sûr, mais dans le cadre d’une loi fédérale.