Pourquoi la liberté a besoin d’une philosophie

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Pourquoi la liberté a besoin d’une philosophie

Publié le 1 mai 2023
- A +

Par Dan Sanchez.

 

Partout dans le monde, les États ont mené une guerre contre la liberté, faisant disparaître nos droits par une succession rapide de politiques radicalement tyranniques. Comment ceux d’entre nous qui croient en la liberté peuvent-ils s’y opposer ?

Tout d’abord, nous pouvons persuader davantage de personnes de se joindre à nous pour combattre les mauvaises politiques. Mais cela peut être une bataille difficile. Comme vous le savez peut-être par expérience, il est difficile de faire changer d’avis les gens, en particulier leur position politique. Les défenseurs de la liberté sont souvent déconcertés par l’obstination de certains à s’accrocher à leurs positions antiliberté.

Pourquoi nous heurtons-nous sans cesse à ce mur ?

Selon Henry Hazlitt, c’est parce que les libertariens réalisent rarement que « certaines propositions qu’ils combattent ne sont qu’une partie de tout un système de pensée ». C’est pourquoi, explique Hazlitt, même les arguments irréfutables contre une mauvaise politique ne parviennent souvent pas à convaincre.

Ainsi, il ne suffit pas de critiquer une mauvaise politique spécifique de manière isolée.

Hazlitt conclut :

« C’est une philosophie globale quoique confuse que nous devons affronter et nous devons y répondre par une philosophie tout aussi globale. »

Illustrons l’affirmation de Hazlitt par un exemple.

Supposons que vous débattiez avec quelqu’un qui soutient le salaire minimum. Vous présentez clairement un argumentaire solide, étayé par une logique économique, un raisonnement moral et des preuves empiriques démontrant que le salaire minimum viole les droits et favorise le chômage, poussant ceux qu’il est censé aider vers la pauvreté et la dépendance. Pendant ce temps, les contre-arguments de votre adversaire sont confus et mal étayés. Et pourtant, malgré tout cela, il rejette avec colère vos affirmations et persiste dans son soutien au salaire minimum.

Comment cela se fait-il ?

Le problème est que son soutien au salaire minimum « n’est qu’une partie de tout un système de pensée », comme l’a dit Hazlitt, à savoir l’idéologie économique, politique et morale progressiste dont il s’est imprégné à l’école, dans les médias ou sous une autre influence.

S’il devait se plier à votre argument supérieur et s’opposer au salaire minimum, il serait en désaccord avec le reste de sa vision du monde. Le simple fait d’envisager cette idée crée une dissonance cognitive. Il recule donc devant cet inconfort mental intense et rejette la raison elle-même au nom de l’autoprotection émotionnelle.

Selon le psychologue Jordan Peterson, il existe une « tendance humaine naturelle à répondre à […] l’idée étrange […] par la peur et l’agression… ». Cela s’explique par le fait que « prendre sérieusement en considération le point de vue d’autrui signifie risquer de s’exposer à une incertitude indéterminée – risquer une augmentation de l’anxiété existentielle, de la douleur et de la dépression… »

Il peut sembler idiot de considérer de nouvelles idées si effrayantes et des systèmes de croyance si précieux. Mais nous le faisons tous, et pour de bonnes raisons.

Comme l’explique Peterson dans son livre Maps of Meaning, nos systèmes de croyances (y compris nos visions sociopolitiques) nous permettent de donner un sens au monde. Ils sont les boussoles et les cartes que nous utilisons pour naviguer dans l’immense complexité de la vie. Sans principees globaux pour structurer nos vies, nous nous sentons comme perdus en mer, confus et inquiets. C’est pourquoi nous sommes si attachés et si protecteurs de nos systèmes de pensée.

Comme l’a démontré l’historien des sciences Thomas Kuhn, même les scientifiques sont attachés à leurs modèles et ont tendance à s’y accrocher en dépit de la raison et des preuves contraires, jusqu’à ce qu’elles s’accumulent au point de précipiter une crise et que le modèle finit par s’effondrer d’un seul coup sous son poids. Le principe discrédité est alors supplanté par un paradigme alternatif. Ainsi, les changements de modèle scientifique ont tendance à être révolutionnaires plutôt qu’évolutifs.

Comme l’a fait valoir Jordan Peterson, c’est vrai non seulement pour les paradigmes scientifiques mais aussi pour les systèmes de croyance en général, y compris sociopolitiques.

Ainsi, un progressiste peut préserver son précieux modèle en répondant à vos arguments solides contre le salaire minimum par un déni général. Vous avez peut-être planté la graine du doute, mais il est réticent à la laisser germer, de peur qu’elle ne compromette et ne fasse s’effondrer toute sa philosophie progressiste. Une telle crise de paradigme bouleverserait son monde et il ne veut pas qu’elle se produise.

Mais si, en plus de remettre en question sa vision actuelle, vous lui en proposez également une alternative – « une philosophie tout aussi complète », comme l’a dit Hazlitt – cela peut atténuer son anxiété à l’idée d’abandonner son idéologie progressiste. Au lieu de la perspective de voir sa structure existante s’effondrer et être remplacée par rien d’autre qu’une confusion sans direction, on lui offre l’opportunité de la remplacer par une autre. C’est beaucoup moins effrayant.

Ainsi, au lieu de se contenter de démystifier le salaire minimum en particulier, il est essentiel de fournir au moins un aperçu d’une vision alternative plus large : c’est-à-dire la fonction économique des salaires en général, l’éthique des contrats en général, et ce que sont les marchés et les sociétés libres et comment ils fonctionnent. Une fois que votre adversaire commence à comprendre et à adopter la perspective de la liberté dans son ensemble, il lui sera beaucoup plus facile d’adopter les salaires du marché et de renoncer au salaire minimum.

Pour amener les gens à abandonner le progressisme, le socialisme, l’autoritarisme et autres idéologies illibérales, nous devons « avant tout », comme l’a conclu Hazlitt, « exposer les fondements d’une philosophie de la liberté ».

Pour détourner les gens des mauvaises politiques, nous devons d’abord et avant tout les orienter vers de bons principes fondamentaux et une bonne philosophie. Nous devons aller au-delà du jeu de la taupe avec les mauvaises propositions et poser les bases philosophiques nécessaires pour aider les individus à effectuer leurs propres changements de paradigme révolutionnaires – leurs propres expériences de conversion – vers la liberté.

Traduction Contrepoints

Article publié initialement le 9 août 2022

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Voir les commentaires (16)

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  • « … avant tout, exposer les fondements d’une philosophie de la liberté … »
    Chiche ! Gros boulot à faire en Chine, Russie et autre Corée du nord.
    Et après on causera salaire minimum.
    Quand on dessine une voiture, on commence rarement par le cendrier.

    -3
    • Quand on discute, il n’y a pas de Chine, de Russie ou de Corée, il n’y a que des individus souvent bien plus ouverts quand ils sont chinois, russes, ou coréens que ceux qui sévissent sur les sites français. Le jour où suffisamment de ces individus sont convaincus, leurs dirigeants, tout autoritaires qu’ils puissent être, cèdent. C’est la grande leçon de la Chine de 1989, que sans doute faute d’avoir discuté avec des Chinois pour de vrai alors, on ne veut pas voir dans nos pays donneurs de leçons.
      L’acheteur d’une voiture s’enquiert du cendrier et de l’allume-cigare, il se moque bien de savoir si le chef de ligne de la marque a fait l’X ou HEC, et s’il est démocrate ou républicain.

  • Avatar
    jacques lemiere
    9 août 2022 at 7 h 02 min

    Comme il est suggéré ici pour moi le vrai problème est le système éducatif , j’ y ajouterais, les forces d’interet qui existent systémiquement..via le financement public..

    En effet, ça ne sert à rien d’argumenter avec un idéologue, et c’ets difficile face à une personne qui a subi l’idéologie..

    Les scientifiques sont par exemple majoritairement supporter du financement public de la recherche, tout en étant entrainés à la pensée rationnelle..

    Sur contrepoint on trouve des articles soutenant le scientisme, le « croissantisme », le « nucléarise »; « l’industrisme »… sans admettre l’aribtraire de leur position.. donc la subjectivité de leur vision de l’interet général..

    Une société semble sortir du collectivisme à travers le plancher , durement, , pas par la porte.. pour un individu c’est comme un choc, ..

    -1
    • Avatar
      jacques lemiere
      9 août 2022 at 7 h 07 min

      A priori, je refuse de construire sur la rhétorique.. ou en contournant les mécanismes psychologiques qui conduisent à la croyance en des absurdités et la tyrannie..

      je préfère m’engueueler vainement, je ne veux pas être entourés d’enfants mais d’adultes..

    • Et puis tout est rapidement idéologie, quand on creuse un peu.
      On croit toujours que l’idéologue c’est l’autre. Alors que non.
      Et c’est lui faire des mauvaises manières que de penser qu’on a en face de soi un aveugle dont il faudrait déciller les yeux.
      Et plus encore de vouloir le manipuler.

  • Il me semble en ces temps présents que la philosophie de la Liberté doit commencer par distribuer de bonnes droites. Après on discute.

    -1
    • Enfin, c’ est tout de suite l’ idée qui me vient quand un écolo cherche à me convaincre de ses salades.

      • Laissez également tomber cette idée, vous vous infligez double peine. Il n’y a aucune raison de se sentir agressé par des mots ou par une idée. La liberté d’opinion n’est pas a jeté aux orties quand elle dérange.
        Sentez vous agresser par ceux qui vous agressent avec des armes si vous ne consentez pas à leur donner une part de ce que vous avez gagné à la sueur de votre front : les criminels et les hommes de l’Etat.

      • Bon, la modération a modéré, un mot de trop ou trop de fautes ? 😂

        @Stephane : laissez tomber même l’idée de frapper, vous vous infligez une frustration en ne le faisant pas, acceptez tout simplement que d’autres aient d’autres opinions que les votres. C’est un peu la base de nos idées. Ne le font-ils avec vos idées même si comme moi vous ne convainquez presque jamais personne, uniquement les « déjà convaincu ». Écoutez les plutôt, au risque d’être convaincu ( serait-ce un mal de changer d’opinion si l’on est convaincu ? ) et certains parmi eux sont charmantes. 😁
        En revanche je me sens plutôt très agressé par ceux qui utilisent la force pour obtenir ce que je ne consens pas à leur donner en échange de ce qui ne m’intéressent pas. Il y a les criminels évidemment ( rarement) et puis les petits hommes de l’état ( à chasue instant ) forcément.
        Un individu avec des opinions différentes des miennes ne me forcera jamais, et si il en l’intention il ne le fera pas en personne ( sauf le criminel ),il sait bien que c’est mal, alors il demande à l’Etat qui hop transforme le mal en bienfait.

  • Ayant été séduit par le titre de votre article, je me suis empressé de le lire.
    Je m’attendais à un argumentaire sur la relation responsabilité et liberté individuelles, en particulier à la lumière des trente derniers mois.
    En fait, j’ai le sentiment que votre seule obsession est la disparition du salaire minimum !
    Cela me parait un peu juste pour développer une philosophie de la liberté…

    • Vous n’avez pas tort.
      Pour l’auteur, il faut arrêter de se battre sur la partie visible de l’iceberg. Il faut des sous-mariniers et non des fantassins.
      C’est très vrai.
      Mais alors pourquoi :
      – seul le sommet de l’iceberg l’intéresse-t-il vraiment ?
      – charge-t-il son sous-marin avec de mauvais missiles, anti-progressisme et anti-socialisme, en oubliant les bons, anti-étatisme ?

  • Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à mon dernier souffle pour votre droit de le dire. (Voltaire)

  • Et voilà ce qui sera mon dernier mot, quelques dix mois plus tard…
    Avant de s’acheter une philosophie, la Liberté pourra se procurer un dictionnaire. Car mettre dans le même sac « progressisme », « socialisme », « autoritarisme » et « illibéralisme » c’est n’avoir rien compris à l’histoire des Idées.
    Libéralisme et progressisme sont enfants des Lumières, donc de la même fratrie. Et non antagonistes.
    Si l’on m’objecte que la définition du premier terme est incertaine parce que évolutive, on s’empressera alors de ne pas y faire référence.
    Avoir le même dictionnaire est essentiel dans les discussions. Avant de développer le tout premier argument. Sinon, autant aller à la pêche.
    J’en ai autant sous le pied pour ceux qui confondent socialisme et étatisme.
    On doit pouvoir être capable d’argumenter sans dégainer à tout de champ des « ismes ». Non ?

    • Avatar
      Alexandre Deljehier
      10 mai 2023 at 15 h 31 min

      Vous avez raison : il ne faut pas mettre progressisme et humanisme des Lumières obligatoirement dans le camps de marxistes et des anarchistes. De même, l’étatisme est certes la norme aujourd’hui dans tous les pays développés, mais on ne peut pas dire que l’Europe, par exemple, soit socialiste ; ce serait un non sens du point de vue du droit. Mais je reconnais votre pseudo : vous avez lu mon article sur le matérialisme.

  • Avatar
    Alexandre Deljehier
    10 mai 2023 at 15 h 24 min

    À mon avis, les cours de droit et d’économie ne serviront à rien : le problème, c’est le matérialisme, qu’il soit classique ou révolutionnaire. Les marxistes maîtrisent très bien le droit, l’économie et la géopolitique, mais ils défendent pourtant un point de vue matérialiste dans ces disciplines. Allez dire à un marxiste de croire en Dieu, en une morale transcendante et en l’immortalité de l’âme, il va vous rire au nez. Épouser le libéralisme, donc embrasser une doctrine idéaliste, reviendrait à un fine défendre ces positions, au risque d’être incohérent si l’on va en profondeur ; et c’est cela que refusent les matérialistes. Les analyses de Jordan Peterson sont trop superficielles parce qu’il ne comprend pas vraiment la gauche matérialiste, de la même manière que des gens de gauche ne comprennent pas la droite mais campent sur leurs positions.
    Sur ce sujet, j’ai rédigé un article contrepoint intitulé « le matérialisme, ennemi de l’état de droit ».

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