Solitude + Pornhub, ou le triomphe du Moi tout seul

Seulement la moitié des jeunes Américains célibataires cherchent une partenaire.

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Aerial view of woman using computer laptop and a smartphone on wooden table By: Rawpixel Ltd - CC BY 2.0

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Solitude + Pornhub, ou le triomphe du Moi tout seul

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 10 mars 2023
- A +

63 % des jeunes Américains et 34 % des jeunes Américaines sont célibataires. 30 % des Américains adultes sont seuls (ni marié, ni partenaire). 30 % des jeunes Américains et 20 % des jeunes Américaines ont vécu une année complète (2019) sans la moindre relation sexuelle. Seulement la moitié des jeunes Américains célibataires cherchent une partenaire. D’après Fred Rabinowitz, psychologue et professeur à l’Université de Redlands, ces célibataires consomment énormément de porn en ligne et semblent s’en contenter. Sympa !

Durant le premier confinement lié au covid — comme tout cela paraît loin, quasiment le Moyen Âge ! — je me rendais tous les matins au bureau, à Bruxelles. Soyons honnêtes : je n’ai pas le profil du bon Samaritain. Je ne me lève pas le matin en me demandant comment je vais aider mon prochain : je me lève à 5 h 30 pour travailler, et c’est tout. Or, durant ce premier confinement, cinq de mes voisins sont venus me demander de l’aide. Fallait-il qu’ils n’aient vraiment aucune alternative ! (rappelons que durant le premier confinement, obtenir la visite d’un professionnel était à peu près aussi aisé que la visitation du Saint-Esprit).

Dring ! Voici ma voisine française de 80 ans, qui suit des cours d’italien en ligne : son ordinateur s’est « bloqué ». Je l’éteins, je le rallume : bingo, ça marche, ce qui tombe bien car je venais d’épuiser mes compétences informatiques. Ma voisine me remercie comme le messie, car, m’explique-t-elle « cet ordinateur qui est en panne depuis trois jours est mon seul accès au monde ! »

Le voisin du premier colle un post-it sur la porte du bureau : « Pardon de vous déranger, je suis le voisin du premier, je n’ai plus d’eau chaude, pourriez-vous me dire si vous en avez et sinon que faire ? Merci ! » Hop, d’informaticien, je passe chauffagiste.

La voisine du dessous, une Allemande qui travaille pour une organisation syndicale européenne, ne m’a jamais adressé la parole en une année complète. Voilà-t’y pas que, me croisant dans l’entrée, malgré son masque intégral elle m’agrippe littéralement pour se présenter (après un an !) et échanger sur le sujet qui semble fort la préoccuper : « Mais comment tout cela va-t-il finir ? » et patati, et patata, la voici soudainement bavarde comme une commère latine.

Les ratiocineurs dans mon genre aimant à réfléchir, je me suis demandé ce qui me valait ces assauts de sociabilité. La détresse de tous ces gens ? Sans aucun doute. Mais pourquoi moi ? Eh bien, parce que ces voisins avaient tous un point commun : ils étaient seuls (selon toute vraisemblance, ils le sont toujours). Seule au monde, la Française âgée ; complètement isolé, le sympathique du premier ; seule et telle une âme en peine, l’Allemande du deuxième. Tous, seuls.

50 % des Parisiens vivent seuls. La proportion n’est probablement pas très différente à Bruxelles ou Londres. Seuls, avec Pornhub. Ce qui est probablement pire que seul — et je ne suis pas bégueule.

Comment expliquer ces évolutions étourdissantes en volume comme dans leur rapidité ? On avance des explications ponctuelles, du type : les jeunes femmes sont désormais mieux diplômées que les jeunes hommes (60 % des baccalauréats vont à des femmes). Or, elles ne veulent pas se mettre en couple avec moins bien lotis qu’elles-mêmes. Bad luck, pal ! Cela paraît plausible. Mais à la marge.

Quand un phénomène concerne la majorité de nos semblables, son explication réside par définition dans l’ontologie de l’époque. Par ontologie, j’entends la structure fondamentale de notre être au monde, au sens de Martin Heidegger.

Je soutiens l’idée que nous assistons à l’exaspération d’une ontologie apparue au XXe siècle, celle du Moi-souverain, qui rejette toute forme de hiérarchie et se rebelle contre toute contrainte afin de revendiquer la primauté et l’absolutisme du Soi. À la charnière du XIXe siècle et du XXe siècle, émergeait celui qu’Ortega y Gasset nomme l’homme-masse, qui n’eut de cesse de secouer les jougs hérités du passé. Son vouloir absolu entend se susbtituer aux hiérarchies des siècles. Ortega y Gasset soutient que le communisme et le fascisme sont deux manifestations de cette ontologie nouvelle, celle d’un vouloir dévastateur, qui revendique avec fureur le droit d’avoir tort. Car, toute contrainte, norme ou tradition est désormais un mal en soi.

Toutefois, cette expulsion des traditions et la destruction de tous les contrats est encore incomplète. L’impérieux vouloir du XXe siècle reste collectif. Les idéologies du XXIe siècle — wokisme, écologisme, boboisme, dégénérescence du libéralisme —  viennent parachever le travail.

Peu construites sur le plan théorique, les idéologies du XXIe siècle sont les parfaites expressions du Moi-souverain, reflétant son égocentrisme, sa versatilité, son refus de toute contrainte. Je suis ce que je veux si, quand et parce que je l’ai décidé ! La souplesse, le polymorphisme de ces idéologies reflètent le caprice d’un enfant gâté, ce Moi « plein de lui-même tel un joli petit paquet » (William Thackeray).

La citadelle ultime du Moi, c’est moi. Quand j’ai rejeté toute espèce de contrainte, il ne reste que moi. Moi, c’est-à-dire la seule contrainte que je dois bien souffrir, si je veux rester présent au monde. Ce moi houellebecquien, vaseux, minable, dérisoire empereur d’une royaume de deux pièces, qui passe son temps à geindre sur l’évolution d’une société qu’il incarne pourtant. Car il en est la cause.

Une génération qui préfère Pornhub, entre deux Deliveroo, aux vertiges infinis de la sexualité réelle ne paraît pas promise à un brillant avenir. Nous allons devoir redécouvrir les vertus, les séductions, les contraintes et les promesses infinies de l’altérité. Démiurgique et passionnant programme !

 

Article d’abord publié par l’hebdomadaire flamand ‘t Pallieterke

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  • C’est étonnant cette fixation que vous faites sur Pornhub, alors que Pornhub n’est qu’une forme de télé-réalité parmi les autres. Le problème que vous dénoncez, c’est celui qui consiste à passer sa vie à regarder celle des autres, plutôt que d’essayer de vivre la sienne. Le porno n’est qu’une des multiples facettes de ce problème. On peut dire la même chose des gens qui, en vacances ou pendant un concert, passent leur temps à prendre des photos, le téléphone à bout de bras, plutôt que de simplement profiter du moment. Quand j’évoque le sujet, on me répond « Oui mais c’est important de garder un souvenir ». Souvenir qu’on regardera quand? Dans un an? Non, dans un an la vie apportera une autre expérience à vivre sur le moment!

  • @pornhub « un forme de téléréalité comme les autres
    ? ? bon imaginez votre fille jouer ds un film de téléréalité, puis sur pornhub . Vous ne voyez vraiment pas de différence ?

    -2
    • Le succes de loft-story doit beaucoup à la séquence dans la piscine entre Loana et Jean-Edouard 😉
      Donc téléréalité et porno..

      • @gillib si vous ne voyez pas la différence je vous invite a aller tester les deux , et à notre époque moderne vous avez même le choix des rôles

    • Quand le sage montre la lune certains ne voient que le bout du doigt.

  • J’ai du mal avec ces chiffres. Ne serait-ce pas 36% des jeunes mâles et 34% des jeunes femelles ? Parce que 63% contre 34%, pour des sexes censés être en nombre sensiblement égal et des mariages excluant la polygamie…

    • @Michel il doit y avoir des jeunes femmes avec des « vieux » , par contre des jeunes avec des vieilles , à part Macron , je ne vois pas

    • Oui c’est comme la légende, du genre 1 homme sur deux trompe sa femme, alors que la population féminime de l’époque avait moins de 20% de célibataires.
      Je pense que le problème de ce repli sur soi, est l’effacement social du masculin sur le féminin. Bref l’homme subit la femme, ce qui est d’ailleurs une réalité pour beaucoup d’espèces animales, ce sont les femelles qui décident, les mâles proposent. Les femmes sont nettement plus exigeantes et intransigeante dans la vie de couple que les hommes, or comme nous vivons le temps social des femmes, c’est elles qui donnent le tempo. Rester en couple devient compliqué car trop coûteux pour les hommes. Pour les femmes c’est selon leurs envies..

      • « Les femmes sont nettement plus exigeantes et intransigeante dans la vie de couple que les hommes » … qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

        • Plus d’attentes et d’impatience.. Dans mon job dans l’habitat, parmi mes clients en couple, les femmes sont plus pointilleuses et dures pour le dire gentiment. Avec les hommes on boit un coup, on se détend, on rigole et tout va bien en général.

  • C’est l’éducation qui pousse à la solitude, et ça ne va pas s’arranger.
    1) il ne faut plus faire d’enfants car on va les laisser sur une planète pourrie
    2) si tu n’es pas homosexuel(le) , alors tu n’es pas normal(e) . Et si tu n’es pas normal(e) alors vis seul(e) .
    3) bientôt, il va falloir comptabiliser les tâches ménagères que chacun fait dans un couple. S’il n’y a pas égalité, célèbre se règlera devant le tribunal.
    4) et j’en passe…
    Heureusement, l’islam sauve de tout cela : la planète, on s’en fout ; l’homosexualité est interdite ; les tâches ménagères sont définies ; etc.

    • @JR le côté écolo est un prétexte , une excuse brandie , ceux qui l agitent ne veulent pas d’enfants , tout simplement. Après c’est leur liberté. S’ils n’en veulent pas , eh bien surtout , qu’ils n’en fassent pas . C’est vrai qu’à ce point de déliquescence couplé de reniement , l’islam va bientôt passer pour une société libérale et raisonnable et rassurante . Ce qui risque d’être rigolo , c’est que ce sont les adeptes du « interdit d’interdire » qui vont appeler l’islam de leurs voeux en premier (on le voit déjà avec la fascination de certains débris du gauchisme ) , incapables de mea culpa , ils se tourneront sans problème vers les nouveaux vainqueurs (jeunes et vigoureux comme ils les aiment )

  • Heureusement que ce n’est qu’un billet d’humeur, les assertions et accusations gratuites de Mr Godefridi ne risquent donc pas de heurter les vieilles personne isolées, les célibataires, les solitaires et autres anxieux-dépressifs souffrant de misère affective.
    Par contre je le remercie de me donner ainsi un exemple de ce « moi-souverain », flamboyant de condescendance envers tous ces abîmés de la vie qu’il analyse à la truelle du haut de ses préjugés.

    Plus sérieusement, je trouve vraiment étrange pour un libéral de critiquer l’individualisme, tout en déplorant en même temps la disparition de ces valeurs conservatrices honnies. Sens de la communauté, solidarité familiale, mariage, fidélité conjugale…
    Bref : il va falloir lâcher la truelle Mr Godefridi, et employer des outils de réflexion plus sérieux pour comprendre ce phénomène.

    • @DR pas faux . L’auteur comme nous tous est plein de contradictions

      • Mouais. Le plus dérangeant dans son propos, c’est quand même quand il affirme que s’il y a autant de gens seuls, c’est parce qu’ils préfèrent pornhub à la vraies sexualité. L’auteur devrait s’en tenir à son domaine de compétences, au lieu de se hasarder à un semblant d’analyse psycho-sociologique aussi nulle que condescendante.

        • je sais pas a quoi c ets du, mais l augmentation sensible de la proportion de celibataire est un fait. Apres que ca soit du a la disparition de la contrainte sociale (il y a une epoque ou ne pas etre marie a 30 ans etait un probleme) , au porno …
          perso je pense que l augmentation du niveau d etude des femmes et leur refus de se mettre en couple avec moins bien classé socialement qu elle telle qu evoque dans l article a un role majeur mais c est qu une opinion

          • @cd je pense plutôt que c’est une conséquence du taux de divorces et de l’image qu’ils ont eue du mariage et de la vie de famille en général. Ils ne voient plus l’élaboration d’une famille comme un but de vie ou une source d’épanouissement. Ceux que je connais et qui sont célibataires se projettent dans autre chose que la vie de famille .Il y en a qui s’échappent dans des mondes parallèles : jeux en ligne , cosplay , frénésie de voyages, sport intensif , … . Il y en a aussi qui peinent à trouver l’âme sœur et désespèrent même alors que ce sont des personnes qui cherchent réellement une relation de long terme.

    • C’est juste que vous avez une définition du mot ‘individualisme » qui n’est pas celle qu’emploie notre ami. Je crains que ce ne soit pas non plus celle généralement admise parmi les courants libéraux, malgré leurs divergences.

  • Avatar
    jacques lemiere
    11 mars 2023 at 8 h 17 min

    « semblent s’en contenter »..

    les vertiges infinis de la sexualité sont un concept moderne..

    des tas de couples des tas de femmes; ne connurent pas ces vertiges;.

    arrêtez d’idéaliser, la sexualité ça SERT à faire des gosses.. le plaisir a ét absent dans beaucoup de couples mariés..qui sen contentait!!!

    la majorité se contente …mais peut choisir la frustration..
    le sexe sans perspective d’enfant et de famille est en effet vain.. on a aussi des mômes qui revendiquent l’abstinence avant mariage..

    se masturber ou avoir du sexe avec un laideron..sans perspective familiale.. bof…non sujet..

    le conséquence normale de la liberté sexuelle et la fin effective du mariage et de la famille traditionnelle est que des tas d’hommes et un certain nombres de femmes même, n’ont pas accès aux femmes gratuitement..

    la question est pour moi, que l’état éduque et paye pour les enfants. et al vieillesse..
    la fin de la famille traditionnelle..

    • Avatar
      jacques lemiere
      12 mars 2023 at 8 h 51 min

      le seul débat « sexuel » est a qui sont ces gosses..et l’dée semble être à l’état..qui les nourrit les éduque..
      pour le reste les gens ont le droit de faire des « mauvais » choix .. du moment qu’ils assument les conséquences..

      les moines les sœurs!!!

      la liberté sexuelle…c’est pas ‘avoir du sexe ou des orgasmes ou autre..
      c’est un droit…humain..

      donc il y en a qui ont « de droles de vie »..
      les gosses. par contre..sont un sujet..
      les limites ..de la responsabilité ou irresponsabilité parentale.. car les gosses sont eux irresponsables..

  • Les commentaires sont fermés.

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