Ukraine : pourquoi Poutine mobilise des criminels

Dans le contexte de la guerre en cours, le monde des prisons est devenu un réservoir de soldats corvéables à merci.

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Ukraine : pourquoi Poutine mobilise des criminels

Publié le 14 janvier 2023
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Si quelqu’un vous dit que Vladimir Poutine a remis de l’ordre en Russie, il n’a jamais mis les pieds dans les quartiers désolés et les provinces éloignées. Le pays est ultra-violent, gangrené par les mafias qui partagent le pouvoir local avec les forces de l’ordre. La corruption omniprésente à tous les étages de la pyramide – conséquence naturelle de l’extrême verticalité du pouvoir poutinien -, réduit à peau de chagrin l’activité honnête. Le droit de propriété est sans défense, offert à tous les rackets.

Le caractère notoirement brutal et cruel de l’archipel pénitentiaire russe ne suffit pas à domestiquer une population rendue moralement folle par cent ans de communisme. Le taux de résolution des crimes est extraordinairement bas et nul ne croit à l’équité des tribunaux : le système inventé par Poutine est anarchique et kleptocratique. Plus une nation a subi le joug totalitaire, plus de temps elle met de temps à retrouver le chemin de la civilisation. À cet égard, les Russes, au sortir du long tunnel soviétique démunis de tout référent historique pour l’exercice du Droit et de la liberté, sont encore bien loin de voir le jour.

On mesure aujourd’hui la catastrophe humaine qu’a provoquée la mobilisation partielle décrétée par Poutine le 21 septembre. Pour 300 000 hommes mobilisés, près d’un million se sont enfuis, dont la masse des cadres du privé les plus compétents – le secteur de l’informatique commerciale, par exemple, est maintenant sinistré. C’est parmi les « petits peuples » périphériques qu’ont été embarqués de force le plus de jeunes gens qui n’avaient évidemment rien de patriotes pressés d’en découdre avec le supposé nazisme ukrainien. La mobilisation partielle a creusé un trou béant dans certaines campagnes comme dans les grandes villes. « J’ai l’impression que nous sommes devenus un pays de femmes », se lamente une photographe moscovite. Démasculinisation de la société qui a encore aggravé le niveau général d’insécurité : plus on envoie de vigiles au front, moins il y en a pour surveiller les entreprises, les commerces et les habitations.

 

Les socialement proches

Dans le contexte de la guerre en cours, le monde des prisons est devenu un réservoir de soldats corvéables à merci. On estime à 40 000 les détenus recrutés par l’armée russe en général, et par la sinistre « milice Wagner » en particulier. On pensait que le contrat qui leur avait été proposé était une remise de peine en échange de l’engagement au front. Le New York Times révèle que nombre d’entre eux ont bénéficié de la dite réduction, par décret présidentiel, avant même leur envoi sur les champs de bataille. Les observateurs internationaux tirent le signal d’alarme : en confiant de l’armement lourd à des criminels ensauvagés par de longs séjours dans les pénitentiers russes et en les assurant qu’ils sont désormais libres, on prend le risque de les voir se croire tout permis – comme, par exemple, de piller, violer, massacrer, ou s’évader. Mais croire que cela inquiète le Kremlin serait mal connaître le pouvoir russe.

Lénine appelait les criminels « les socialement proches ». Il entendait par là qu’un délinquant, un pervers, un assassin, un bagnard, peuvent être mis au service de la révolution pourvu qu’on les extirpe de leurs geôles et de leurs tavernes, qu’on les fournisse en armes et qu’on leur intime l’ordre de dépouiller les commerçants, les rentiers, les chefs d’entreprise et les religieux. Son mot d’ordre, « Pillez les pillards ! », se passait d’explications. Vengez-vous sur les nobles et sur les bourgeois, exécutez-les sans jugement, saisissez-vous de tout ce qu’ils possèdent, car cela va dans le sens de l’Histoire, sert la lutte des classes et permet de débarrasser les bolcheviques de leurs pires ennemis : les exploiteurs.

En mars 1917, Kerenski, ministre de la Justice du gouvernement provisoire, avait décrété une amnistie politique générale. Sur une carte postale d’époque, il était représenté devant une prison en train de brûler. Son intention était démocratique, mais sa méthode imprudente. Un nuage de vautours idéologiques, attirés par l’odeur de la poudre, du pouvoir et de l’argent, grossit les rangs des futurs émeutiers. Lénine, parvenu au sommet de l’État, s’empressa de recruter tout ce que le pays comptait de traîne-savates sans foi ni loi, de malfaisants de grand chemin, de soldats démobilisés ivres morts et d’incompétents en quête de titres ronflants. La horde fit merveille. Les témoignages des journées décisives d’Octobre peignent un Saint-Pétersbourg livré à la débauche où l’on tire sur qui l’on veut, où les caves sont vidées et où l’ivresse atteint des sommets. Les prostituées se pavanent dans les plus belles robes de soirée des grandes dames de l’aristocratie, titubant aux bras de voyous devenus des princes. On copule sans discernement – comme on le fera dans l’entourage d’Hitler, peu avant l’encerclement définitif du bunker. L’immoralité est en rut.

 

Prisonniers de la guerre

Lors de la mobilisation partielle, Poutine a besoin des socialement proches. Le Russe moyen renâcle à partir se faire trouer la peau par ceux qu’hier, la propagande lui présentait comme des frères à protéger. Qu’à cela ne tienne ! Les prisons regorgent de butors qui préféreront gambader sous les obus de mortier que de se faire torturer à petit feu par leurs gardiens. Pour l’essentiel, c’est Evguéni Prigojine qui se charge de les rassembler. Oligarque richissime très proche de Poutine, cynique jusqu’au bout des ongles et d’une cruauté maintes fois avérée (il a fait broyer à coups de masse le crâne d’un déserteur et a publié la vidéo sur les réseaux sociaux), il est l’homme idéal pour transformer les taulards russes en chair à canon. Il leur tient un langage d’honneur plein de « courage », de « gloire » et de « médailles », mais c’est l’honneur des truands : un fantasme qui se fracasse sur la réalité.

En réalité, Prigojine va les pousser dans le dos pour qu’ils aillent se faire trucider par les premières lignes ukrainiennes. Ils vont tomber par vagues, grappes après grappes, sans pouvoir reculer : derrière eux, les attendent les exécuteurs tchétchènes de Ramzan Kadyrov, chargés de tuer sans hésiter quiconque refuse de mourir. Armement insuffisant, gilets pare-balles et casques de piètre qualité, formation inexistante, expérience nulle du combat réel : le fantassin Wagner est quantité négligeable, il n’a pas d’autre choix que de courir vers l’avant tel une poule sans tête. Prigojine gère ses troupes conformément à ce que Staline fit de pire sur le front de l’Est. « On ne peut sortir d’ici que mort ou dément », disait un officier allemand à Stalingrad. C’est également vrai des milices Wagner. (pour se faire une idée plus précise de cette boucherie organisée par un milliardaire, on se référera à notre article précédent sur la bataille de Bakhmout.)

Ainsi ces ex-prisonniers sont-ils, quand ils survivent, ce qui est rare, prisonniers du « hachoir à viande », comme l’appelle un témoin des événements en cours à Bakhmout. Et qu’en pense la population russe ? Elle ne réagit pas, en vertu du principe « Tant qu’on envoie là-bas des salauds, on n’envoie pas mon fils ». Réflexion compréhensible, silence complice, terreur sourde. Le suicide forcé des Wagner ne fait pas scandale parce que, s’il s’ébruitait trop, l’État poutinien sévirait et l’on préfère ne pas savoir comment.

La rumeur court d’une prochaine deuxième mobilisation partielle. On parle de millions d’hommes. On se doute bien que c’est impossible (combien d’autres millions faudrait-il lancer dans les rues pour attraper les récalcitrants, quand trois quarts des citoyens espèrent une fin rapide de la guerre ?), mais on ne veut pas jouer avec le feu. Après tout, que crèvent les Wagner, et tous s’il le faut, pourvu qu’on reste loin des bombardements ! La Russie est mithridatisée à l’horreur. Elle s’enfonce dans le dégoût de soi. De l’autre côté de la frontière, l’Ukraine joue sa vie. On continue à croire les uns dans les autres. On persiste à être fier et à rire. On a des montagnes de blessés graves et de mutilés, des centaines de milliers d’enfants enlevés, des viles rasées, on a froid, on a peur, mais on est libre. On souffre pour le rester.

 

Pour une fois

Les poutinistes aiment à s’exclamer : « C’est trop simple ! Qu’es-ce que vous pensez ? Qu’il y a d’un côté le bien et le mal de l’autre ! Mais c’est beaucoup trop manichéen, votre affaire ! Ça n’arrive jamais ! »

Eh bien, si. Parfois ça arrive. Le bien n’est pas parfait mais il se sent. Le mal n’est pas absolu mais il inspire l’effroi. Comparez les images de la guerre produites par les soldats de part et d’autre. La différence est abyssale. Chez les Ukrainiens, l’émotion et l’espérance se voient à l’œil nu. Ça sourit à tout-va, ça prie, ça a le regard clair, la détermination lisible. Chez les Russes, on ne constate que la dureté, l’amertume, la colère, l’indignation. Seul un esprit de mauvaise foi peu nier ce contraste. Je le plains.

Oui, il y a un bien et un mal dans cette guerre. Et les kamikazes involontaires de la milice Wagner, ces misérables cibles en mouvement, ces âmes traitées comme des fauves, prédateurs changés en proies, le savent mieux que personne. Un jour, les moins déshumanisés témoigneront. Ils raconteront comment les Tchétchènes abattaient leurs camarades. Et du poutinisme, il ne sera plus question. Un jour ou l’autre, hagarde, la vérité finira par sortir du puits sans fond de Bakhmout.

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  • La société russe est dans un état de putréfaction avancé. La force, le mensonge et la violence sont tout ce qui l’animent. Elle courre à sa perte et va vers une dislocation de la Fédération. Le chaos l’attend, peu importe ce qui arrivera à l’Ukraine.

  • Encore un article pour attiser encore l’hystérie anti russe
    Tout çà ne contribue ni à la paix ni à l’arrêt de la décadence économique européenne.
    Je conseille au lecteur qui veut s’informer de lire les livres de Jacques Baud, officier supérieur de l’armée suisse, qui a travaillé des années à l’OTAN. Je me réfère aussi aux aveux de Mme Merkel qui a reconnu que les accords de Minsk n’avaient été qu’un leurre destiné à préparer le régime de Kiev à la guerre.

    -1
    • « Je me réfère aussi aux aveux de Mme Merkel qui a reconnu que les accords de Minsk n’avaient été qu’un leurre destiné à préparer le régime de Kiev à la guerre. » Ce n’est absolument pas ce qu’elle a dit. Par ailleurs, personne n’a cru à la viabilité des accords de Minsk : ni l’Ouest, ni l’Est. L’indignation des Russes est totalement fake.

      -1
    • Médisez, médisez il en restera toujours quelque chose dit le proverbe…
      Des articles comme celui-là me font vomir ; on accumule les mensonges et les contrevérités.
      La Russie est un pays mafieux , corrompu à tous les étages ou le droit de propriété est inexistant, l’insécurité permanente et les soldats des repris de justice…
      Je suis déçu que de tels articles côtoient ici l’information que l’on y trouve.

  • Le point commun entre Lénine, Staline, Poutine et un jour peut-être Prigogine?
    A part le suffixe ‘ine’ c’est la capacité d’un homme seul, par une maîtrise absolue de la terreur, d’avachir tout un peuple.
    C’est Poutine qui l’a réussi de la façon la plus subtile avant de sombrer dans le délire.

  • Je l’attendais au fur et à mesure de la succession d’articles, dont le manichéisme enfantin et les envolées lyriques prudhommesques n’auraient pas déparé dans la Pravda ou le Quotidien du Peuple de la grande époque. Ca y est, nous y sommes… Le Bien et le Mal peuvent enfin se distinguer clairement. Ils se reconnaissent, mieux ils se sentent…
    J’attends avec impatience le prochain où, dans la logique, les éléments sains de la société qui savent reconnaitre le Bien auront le devoir de rééduquer les autres sans doute ignorants du Mal qu’ils sont susceptibles de porter en eux, le feront par amour de leurs congénères qui se laissent abuser et pour le bien de la société toute entière. Par contre, les récalcitrants…
    C’est amusant mais la perversité intellectuelle de M. Avot est exactement ce que dénonce H16 (2024 devient 1984 : des médias de propagande et un corps médical sous surveillance) dans la même édition de Contrepoints…

  • Faut éviter de causer de sujets ou la désinformation est totale.. Et vous croyez que cela se passe comment en Ukraine ou dans n’importe quel pays de l’est.. Ou de l’ouest ?

  • Je ne défendrai pas Poutine ni son régime . Comme l auteur je suis une anti communiste passée de primaire à secondaire (ayant approché de suffisamment près pour avoir pu en mesurer l’abjection) . Quelle idée peut avoir du pouvoir un KGbiste assumé ? Un fois dit ça quel type de pouvoir convenait à une Russie après son effondrement ? Poutine avait la laideur mais aussi l’efficacité du couvercle mis à la hâte sur le réacteur en feu de Tchernobyl . Et là aussi des vies ont été épargnées car la catastrophe de l’explosion du réacteur communiste a été contenue .Car le communisme c’est le nucléaire sans l’utilité . Il faut croire que les déchets n’ont pas fini de nuire non plus . Faudrait il les enterrer ? (c’est une blague )
    Maintenant la guerre . La guerre est toujours une horreur (mot trop faible) . Mon grand père alors enfant se souvient des cortèges de prisonniers emmenés à Verdun et mon grand oncle qui y était des milices placées derrière tout le monde pour tuer celui tenté par demi tour . Dans cette fétide marmite qui fait le bien , qui fait le mal , qui a allumé le feu qui est dessous , qui l’éteindra , eh bien , bien malin qui peut le dire .

  • les outrances des propos et leur absence de sources fait que cet article n’a pas beaucoup d’intérêt à part dévoiler le faible niveau de son auteur (et l’on n’est pas surpris).

  • Et qui les USA envoyaient se battre au Vietnam ? Tous les pays font parreils.

  • En temps de guerre, les gouvernements ont une priorité : sauver leurs proches. En 1914, si vous étiez proche du gouvernement, vous étiez affectés à l’état major et non dans les tranchées ou au sinistre chemin des dames.
    Rappelons ensuite qu’après la conquête de l’Algérie ou de la Louisiane , comme personne ne voulait aller s’y installer, l’état français y a envoyé tout ce qui se trouvait dans ses prisons ainsi que les prostituées.
    Et si chez Poutine personne ne croit à l’équité des tribunaux, les français ne croient plus non plus en leur justice qui laisse en liberté des multirécidivistes et qui oblige, comme à Marseille, les habitants de certains immeubles à y faire la loi pour empêcher des dealers de s’y installer.
    Que se passera-t-il en cas de guerre en France pour les fils Hollande, Sarkozy, Borne, Fillon, etc ? Ce qui est sûr, c’est que ce seront les derniers à aller au front grâce aux passes droits de papa ou maman. Pour moi, ça s’appelle de la corruption.
    N’oublions jamais que nos élus profitent toujours de leurs privilèges.
    Bizzare, comme en Russie…

  • Il y a la propagande Russe et la propagande Occidentale cet article ne grandit pas Contrepoint

    -1
    • Cet article remet les pendules à l heure
      Mettre sur un même pied des démocraties et un état totalitaire montre que le populisme ravage les esprits crédules qui se croient libéraux ……😁😁😁😁😁

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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