Vassili Blokhine : le plus grand assassin de tous les temps

On estime à 20 millions les victimes civiles et innocentes de Staline : Blokhine en a exécuté une sur mille.

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Joseph Stalin Painting (13), Joseph Stalin Museum By: Andrew Milligan sumo - CC BY 2.0

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Vassili Blokhine : le plus grand assassin de tous les temps

Publié le 25 décembre 2022
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Il est universellement admis que les grands leaders totalitaires, Lénine, Staline, Hitler, Himmler, Mao, Pol Pot, Kim Il Sung, sont les assassins les plus prolifiques de l’Histoire. Parce que, dans une atmosphère de terreur savamment orchestrée où le refus d’obéir était le plus souvent sanctionné par la peine capitale, ils ont ordonné à leurs esclaves d’exterminer des innocents par millions, on considère qu’ils ont eux-mêmes donné la mort à leurs victimes.

Certes, bien évidemment, leurs hommes liges étaient également des criminels mais de manière plus relative : aveuglés, apeurés, déresponsabilisés, ils arrivaient en bout de chaîne et n’avaient le choix qu’entre tuer ou se suicider. Le totalitarisme exerce sur la liberté une contrainte si immense que Le Petit Père des Peuples russe, le Fürher allemand, le Frère Numéro Un cambodgien, le Grand Leader nord-coréen, sont absolument coupables des monstruosités qu’ils ont orchestrées, quand bien même ils n’ont personnellement, concrètement, commis aucun meurtre.

 

Les « industrial killers »

Car il est à noter qu’en règle générale, le leader totalitaire ne tue pas. Lénine semble n’avoir jamais tiré un coup de feu, ni donné un seul coup de couteau de toute sa vie. Le jeune Staline a participé à des hold-ups et des attentats, mais rien n’indique qu’il ait tué de manière directe. Hitler a fait la guerre en 14-18, il a peut-être abattu des soldats ennemis. Cependant, de sa prise du pouvoir en 1933 à son suicide en 1945, il n’élimine personne de ses propres mains. Mao n’est pas du genre à se battre et à se salir. Quant au dandy Himmler, il faillit s’évanouir en assistant à une tuerie de masse en Pologne. Exception notable à cette préciosité des chefs totalitaires : Che Guevara mettait un point d’honneur à exécuter lui-même ses prisonniers et il semble qu’il y ait pris plaisir.

Peu de bourreaux du communisme et du nazisme ont laissé un nom. On se souvient surtout de Joseph Mengele, essentiellement parce que son titre de médecin rend encore plus immoraux et cauchemardesques ses méfaits. À Auschwitz comme au Goulag, celui qui liquide est généralement un obscur fonctionnaire en uniforme ou en civil, un vulgaire pion sur l’échiquier du mal, superficiel et vain.

Certains se montrent ouvertement sadiques, mais ils sont une minorité. D’autres ont mauvaise conscience et ne sont guère plus nombreux. D’autres encore finissent fous – c’est la moindre des choses. La grande masse des industrial killers du totalitarisme est composée de personnalités extrêmement soumises et inintéressantes. Leurs forfaits sont gravés dans les mémoires, leurs identités méritent le néant de l’oubli.

Et puis, il y a Vassili Mikhaïlovitch Blokhine. Un cas unique dans l’histoire des crimes totalitaires, et une parfaite incarnation de l’horreur stalinienne.

 

L’homme qui n’hésite pas

Blokhine naît en 1895 dans la province russe. Ses parents sont paysans. Il exerce des métiers modestes : berger, palefrenier, maçon. Quand survient la Première Guerre mondiale, il est mobilisé. Trois ans après la prise du pouvoir par Lénine, il adhère au Parti et entre à la Tchéka, la police politique du nouveau régime. Le voilà du côté du manche. Il va s’en servir.

La Tchéka ne se contente pas de surveiller, de traquer, d’arrêter, de torturer et de déporter tout ce qui dérange Lénine : elle tue également, beaucoup, et sans s’encombrer de doutes. Pour ce faire elle a besoin de brutes sans autre foi que le communisme et sans autre loi que celle du chef. Blokhine se fait remarquer pour sa capacité à mettre à mort sans hésiter. C’est alors que son destin bascule : Staline le repère en 1926 et l’engage à son service. Son ascension commence.

Le QG de la Tchéka est situé place de la Loubianka, à cinq minutes du Kremlin. Le vaste bâtiment classique – une ancienne compagnie d’assurances – est l’œil du cyclone soviétique, le cœur du réacteur totalitaire. Terreur d’État, espionnage international, fichage de millions de citoyens, organisation et gestion du Goulag : tout le mal du communisme part de ce labyrinthe de bureaux aux rideaux toujours tirés et qui, aujourd’hui encore, abrite le FSB où Poutine a appris à devenir Poutine. Les sous-sols de la Loubianka sont une prison secrète où Staline fait enfermer, souffrir et éliminer les personnalités qui le dérangent le plus : la Kommandantura. Elle travaille en flux tendu. En 1932, Blokhine est nommé à sa tête. Il tuera 20 000 personnes et ne laissera à personne d’autre le soin d’appuyer sur la gâchette.

Dans l’enfer de l’URSS

Le modus operandi de Blokhine est invariable. On amène le condamné dans une petite pièce en pente et équipée d’une rigole pour que le sang s’y écoule directement vers les égouts. On l’agenouille. Entre alors Blokhine dans sa tenue de bourreau : bottes de cuir, gants de cuir, manches de cuir, casquette et tablier de cuir, lunettes, le tout pour le protéger des jets de sang et des éclats de chair et d’os. Il tire une balle dans la nuque. Il sort. Ses assistants emportent le corps et lavent la pièce au jet d’eau.

On amène le condamné suivant et ainsi de suite. La scène, qui dure trois minutes maximum, peut se répéter plus de 200 fois par nuit. Au plus fort de la Grande Terreur, une fumée grasse à l’étrange odeur animale s’élève des cheminées de la Loubianka et se répand sur Moscou : ce sont les cadavres que l’on brûle. La Kommandantura n’a rien à envier aux usines de mort du nazisme.

Certains des patients de Blokhine sont des leaders bolchéviques et des artistes mondialement connus : Zinoviev, Kamenev, Iejov, Iagoda, Babel, Meyerhold, tombent sous ses balles. Plus extraordinaire encore : en 1940, à Kalinine, dans un souterrain qu’il a fait aménager, il abat en un temps record 6500 des 22 000 officiers polonais faits prisonniers. Pour l’en féliciter, Staline lui décernera la médaille de l’Ordre du Drapeau Rouge.

 

Le survivant

Staline a pour habitude de faire exécuter ses exécuteurs, afin de faire disparaître quiconque en sait trop sur ses crimes. Il ne touchera pas un cheveu de Blokhine : ce monstre est trop efficace, trop précieux, irremplaçable. Staline le nomme major-général. Sur son portrait officiel, huit grosses médailles barrent sa poitrine. Pourtant, le peuple russe n’entend pas parler de ce personnage si important dans la machinerie stalinienne. On estime à 20 millions les victimes civiles et innocentes de Staline : Blokhine en a exécuté une sur mille. Il est le rouage par excellence : solide, fiable, silencieux, discret. On jurerait qu’il n’a pas d’âme. L’homo sovieticus idéal. À la mort de Staline, il est déchu de son grade et révoqué. Chose étonnante, malgré la déstalinisation, le régime ne juge pas nécessaire de l’escamoter. Il meurt en 1955, alcoolique et libre, à Moscou.

Peut-être un autre bourreau totalitaire a-t-il assassiné davantage de pauvres gens que Blokhine. Avec une mitrailleuse lourde ou de la dynamite, il y a toujours moyen de refroidir cent humains d’un coup. Mais à la manière de Blokhine, d’une balle de revolver à la fois, dans une cave, habillé tel un dominateur dans un donjon sadomasochiste, à une cadence d’horloge, nuit après nuit, Vassili Mikhaïlovitch n’a probablement pas d’égal.

Qui était-il, dans son for intérieur ? Dévoré par le délire idéologique ? Animé par une rage destructrice ? Incapable de moralité ? Imbécile intégral ? Possédé par un démon ? Il craignait certainement Staline, mais se sentait-il coupable ? Faisait-il des cauchemars ? À quel traumatisme de son enfance pourrait-on rattacher son épopée sordide ? Mystères.

Au cimetière Donskoï, à Moscou, sa tombe est marquée d’une stèle imposante, le représentant aux côtés de son épouse. Régulièrement, des anonymes y déposent des fleurs. Mais qui, au XXIe siècle, veut encore rendre hommage à Blokhine ? La bête est morte mais la bestialité court toujours. Comme le fait remarquer Alain Besançon, notre conscience du passé soviétique est frappée d’amnésie quand l’ombre portée du nazisme sur le présent relève de l’hypermnésie.

Il faut évoquer Blokhine lorsqu’on parle du communisme. Sa trajectoire sombre et fulgurante en dit beaucoup sur l’héritage de la gauche.

 

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  • Blokhine, un pur produit du socialisme stalinien comme le parti communiste français et le parti socialiste français qui en est une émanation, comme la CGT.
    Tout ce beau monde pour lequel votent les français.

    • On ne peut pas dire que blokhine soit le pur produit du communisme. On pourrait affirmer que le produit Blokhine convenait parfaitement aux besoins du régime. En effet si Blokhine entre dans l’armée rouge, il est ensuite très rapidement recruté par la Tcheka. Il ne faudra pas longtemps pour que ses supérieurs décèlent en lui de grandes prédispositions pour la tchenaya rabota (sale besogne). Il intègrera la division carcérale chargée du traitement des prisonniers avant d’être repéré par Staline lui-même. On devine le type d’homme qu’il est, indépendamment de l’idéologie.

      Un régime tyrannique s’est parfaitement s’entourer de personnalités obéissantes, violentes et destructrices.
      Si l’idéologie peut avoir un certain sens dans les débuts, elle s’efface rapidement devant la violence du pouvoir de certains êtres abjects.

      • Difficile pour un tel individu de vivre et prospérer dans une démocratie.

        • En effet son rayon d’action sera sans commune mesure, tout au plus s’en prendra t-il à quelques personnes avec probablement des sanctions à la clé. Ces cas là sont pathologiques.
          Néanmoins ce que je voudrais exprimer c’est qu’une idéologie reste avant tout une forme de liberté d’expression et sa dangerosité ne dépendra que de la dangerosité ou de la radicalité de ceux qui décident de s’en emparer. La plupart des communistes que j’ai pu croiser étaient des doux rêveurs plus ou moins militants pratiquement jamais des révolutionnaires sanguinaires.
          Ce n’est pas le nazisme qui a engendré hitler mais l’inverse.
          Ce qui veut dire que combattre une idéologie ne sert à presque rien comme on le constate souvent. Au contraire les idéologies sont des signaux sociaux qui disent quelque chose, et ceux-ci doivent être entendus. Le premier effet très important que vois est d’ordre psychologique, c’est à dire à qu’on réduit la fabrique de frustrés dont certains très instables. La révolution russe et ses conséquences ne pouvaient se produire ailleurs à cette période.
          Pour résumer la question de fond est par exemple pourquoi le communisme et pourquoi se sont les révolutionnaires qui s’en emparent ou s’en sont emparés. Les raisons ne sont évidemment pas idéologiques.

  • A enseigner dans les ecoles. Les articles de Pascal avot ont tous le mérite de dire les choses clairement : la religion perverse et haineuse qu’est le socialisme. Il faut enlever leur masque a ses adorateurs pour les montrer tels qu’ils sont, un socialiste est toujours intolérant, sectaire, prédateur et parasite.

  • Merci d’avoir publié cet article au demeurant très bien écrit.
    Bien qu’ayant une certaine culture historique, je n’avais jamais entendu parler de cet épouvantable personnage auquel s’applique parfaitement la phrase-titre d’un excellent livre de Robert Merle : « La mort est mon métier ».
    Il est indispensable de diffuser ces informations : « These who cannot remember the past are condemned to repeat it. » [Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le revivre.] (George SANTAYANA, philosophe étasunien)

  • Exemplaire monstrueux du fonctionnaire décérébré. Dire qu’un tir d’un de ces tueurs aurait pu débarasser l’humanité de Staline ou d’Hitler

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Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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