Annie Ernaux ou quand un prix Nobel dynamite le libéralisme

Annie Ernaux n’a cessé ces dernières années d’effectuer des déclarations peu reluisantes. Ce n’est pas son discours de réception du prix Nobel prononcé le 7 décembre qui en rehaussera le niveau.

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Annie Ernaux ou quand un prix Nobel dynamite le libéralisme

Publié le 14 décembre 2022
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Un article de l’IREF

Les Français ont fait les beaux jours des différents prix Nobel. On devrait donc se réjouir que l’institution de Stockholm distingue une nouvelle fois l’une de nos compatriotes. Sauf que le dernier prix Nobel de littérature, Annie Ernaux, n’a cessé ces dernières années d’effectuer des déclarations peu reluisantes. Ce n’est pas son discours de réception du prix prononcé le 7 décembre qui en rehaussera le niveau.

 

La littérature comme politique

Nous n’avons jamais lu d’ouvrages d’Annie Ernaux et nous nous garderons bien d’en juger a priori. En revanche, nous n’avons pas été sourd à ses diverses sorties dans le domaine politique. Et comme Annie Ernaux considère que la littérature est indissociablement politique, nous sommes à notre corps défendant confrontés à son œuvre littéraire.

Dans son discours de réception du prix Nobel décerné le 10 décembre 2022, elle déclare pour caractériser l’évolution de son travail d’écriture : « venger ma race et venger mon sexe ne feraient qu’un désormais ». Ce qui signifie que son travail d’écriture est à la fois « social et féministe ». En effet, d’une extraction modeste et victime du machisme de la France à l’âge des ténèbres (soit avant 1981 pour ceux qui, en cette période de pénurie, auraient oublié l’ère des Lumières…), Annie Ernaux relie la souffrance des humbles, victimes de l’immonde capitalisme et celles des femmes, victimes du conservatisme phallocrate.

En ce sens, la littérature n’est jamais neutre. Elle est politique, car tout est politique :

« Comment ne pas s’interroger sur la vie sans le faire aussi sur l’écriture ? Sans se demander si celle-ci conforte ou dérange des représentations admises, intériorisées sur les êtres et les choses ? Est-ce que l’écriture insurgée, par sa violence et sa dérision, ne reflétait pas une attitude de dominée ? ».

Le lecteur aura reconnu ici l’écho très en vogue du féminisme gauchiste qui apparie lutte des femmes et lutte des classes.

De là, les multiples prises de position de l’écrivaine (selon l’horrible mot aujourd’hui utilisé : les mots ne sont peut-être pas « neutres », mais ils peuvent être laids…), que nous préférons écrire « écri vaine » en deux mots. Le 16 octobre 2022, elle défilait contre la vie chère au bras de l’un de nos hommes politiques tout à la fois les plus modérés et les plus profonds : l’inénarrable Jean-Luc Melenchon. Une preuve de qualité et de lucidité saluée comme il se doit par une bonne partie de notre presse écrite et parlée.

 

L’antilibéralisme comme leitmotiv

Une nouvelle fois, son discours de réception très politique ne manque pas de s’ingérer dans l’actualité la plus immédiate.

Après avoir vitupéré avec force subtilité la guerre « impérialiste » de Vladimir Poutine, Annie Ernaux s’inquiète avec autant de finesse de la « montée d’une idéologie de repli et de fermeture ». S’agirait-il d’une critique larvée des régimes socialistes ? Que nenni ! puisque l’appréciation concerne les pays « jusqu’ici (sic) démocratiques ». Une idéologie « fondée sur l’exclusion des étrangers et des immigrés, l’abandon des économiquement faibles, sur la surveillance du corps des femmes ». Immigrés, pauvres, femmes, même combat ! Il nous semblait pourtant que jamais dans toute son histoire la France n’avait accueilli autant d’immigrés qu’aujourd’hui. Il nous semblait également que le « modèle social » français se caractérisait par l’État-providence le plus achevé qui soit.

Toutefois, il manque de manière surprenante à ce tableau l’écologisme politique qui constitue la nouvelle pensée unique contemporaine. Que le lecteur se rassure, il se trouve un paragraphe plus bas ! Annie Ernaux partage alors la victoire, « collective » bien entendu, de son prix, avec « ceux et celles (étrange que les hommes soient cités en premier…) qui pensent aux générations à venir, à la sauvegarde d’une Terre que l’appétit du profit d’un petit nombre continue de rendre de moins en moins viable pour l’ensemble des populations ».

On ne savait pas que seuls ceux qui n’avaient pas un « appétit de profit » pensaient aux générations futures. On ne savait pas non plus que la Terre serait de moins en moins vivable, a fortiori pour l’ensemble des populations. Il nous semblait que la liberté permise par la libre initiative individuelle avait rendu le monde plus habitable et que, sans verser dans l’historicisme, le progrès technique qui s’en était suivi avait enrichi les individus dans le monde entier. Il nous semblait enfin que l’attention aux questions environnementales était un luxe permis justement par le développement économique exponentiel depuis le XVIIIe siècle dans l’ensemble des pays non socialistes de la planète, c’est-à-dire de ceux qui ne suivent pas les préceptes de Jean-Luc Mélenchon, le héraut de notre brillante passionaria du gauchisme.

Triste prix Nobel décidément !

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    • Je comprends votre position, et votre opinion me parait aller dans le bon sens. Mais, au début par curiosité, j’ai commencé à lire Annie Ernaux. J’en suis à quinze livres (ils ont l’élégance de ne pas être très longs), et j’ai pris un très grand plaisir à cette lecture. Parmi tous les écrivains que je connais, elle fait partie de ceux qui vont le plus loin dans l’introspection avec une sincérité inouïe et une écriture d’une très grande qualité. A la lecture de sa vie et de ses sentiments, je comprends très bien sa position politique. Malheureusement, comme beaucoup d’universitaires, elle n’a aucune notion d’économie, mais elle cherche sincèrement une réponse au mépris des possédants qu’elle a du affronter toute son enfance. Contrairement à beaucoup de féministes, elle aime les hommes, je veux dire les mâles. Le désir de vengeance est un sentiment extrêmement puissant, et reste très vivant chez elle, même à quatre-vingts ans passés. Il est bien d’écrire sur l’économie et d’essayer de faire comprendre aux gens la nécessité de la liberté. Mais nous devrions nous interroger aussi sur ce mépris de classe extrêmement présent chez les humains : ce ressenti est la base de l’attitude de ce que l’on appelle le peuple, et particulièrement des extrêmes, l’extrême gauche aussi bien que l’extrême droite.

  • Quand on lui soumet l’hypothèse Houellebecq, elle répond :
    – Quitte à avoir une audience avec ce prix, étant donné ses idées délétères, franchement, mieux vaut que ce soit moi !
    Comment ce bout de femme insipide, littéraire nombriliste, aux combats se résumant en tribunes et boycotts polémiques, peut-elle, y compris dans une victoire qui doit si peu à son talent, montrer tant de hargne ?

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