Je ne sais pas si c’est encore la peine d’écrire à ce sujet.
Que les marchés montent ou baissent, puis remontent, etc., ne surprend plus personne. Mais moi je reste surpris. Qui s’étonne encore que les marchés s’étonnent n’a décidemment rien compris à la finance. Je n’ai donc rien compris à la finance.
L’investisseur s’étonnera toujours de ce qu’il voit ou entend, ânerie ou pas. L’investisseur c’est un peu Richard Anconina dans Itinéraire d’un enfant gâté. Jean-Paul Belmondo a beau le prévenir qu’il va lui balancer une absurdité, Richard ne peut s’empêcher de s’étonner : « C’est étonnant, mais cela ne doit pas t’étonner ». Sauf que ça l’étonne quand même. C’est plus fort que lui. L’investisseur s’étonne du moindre chiffre, mot, ou geste. L’hystérie n’est jamais très loin, le rut ou le désespoir sont aussi convoqués parfois.
Pourtant, je ne me résous pas à l’hébétude des marchés. Je récuse l’éternel émerveillement de l’investisseur face à l’évènement. Je n’accepte pas ce statut d’éternel innocent. Comme inapte à la sagesse, il échouerait invariablement à apprendre de ses errements passés, condamné à l’acte manqué ? Impossible.
Et pourtant et pourtant, il faut vraiment que je me fasse une raison. J’ai tout essayé, la rationalité limitée, la théorie des perspectives, les narrative economics, l’exubérance irrationnelle, voire même de variations rationnelles des primes de risque… Après tant d’années, la seule conclusion qui me semble évidente c’est qu’il n’y en a pas. Les conditions de possibilité d’un discours cohérent sont quasi-nulles en vérité. Les théoriciens de la finance sont réduits à garder le temple, juste des vestales qui tentent de justifier le son par du sens. Il ne faut pas chercher à percer le mystère car il n’y a rien derrière le rideau.
Nulle critique complotiste envers un scientisme excessif, juste une tentative de remettre les choses à leur place. La science éclaire ce qui est obscur, pas l’invisible. Or, il se pourrait bien que la finance de marché fasse davantage preuve d’absence d’intelligibilité que de manque d’éclaircissement.
Et c’est peut-être tant mieux pour qui est à la recherche de sensations fortes comme l’investisseur ! En effet, « On ne répètera jamais assez, après monsieur Homais, que la science est décidément admirable bien qu’elle n’ait guère inventé de jouissances nouvelles ». Que la science échoue à produire un discours intelligent sur le sujet autorise alors tous les errements en termes de mouvements de marché. L’investisseur est déclaré débile, sauvage, incalculable.
Ainsi donc, la morale de mon histoire de la finance est donc qu’il ne faut surtout pas s’étonner.
Ne pas s’étonner de ces investisseurs qui s’étonnent puisque c’est dans leur nature. Il ne faut pas nous étonner du spectacle qu’ils nous donnent à voir.
Il ne faut pas tomber dans le même piège que Fouquet :
« Le Roi fut étonné, et Fouquet le fut de remarquer que le Roi l’était », récit de madame de La Fayette. Que le Roi s’étonne n’aurait jamais dû étonner Fouquet puisque le Roi s’étonnait de tout.
Ben c’est comme les températures, elles fluctuent violemment par des effets papillon par rapport à la moyenne censée représenter l’évolution logique. Les bourses, en plus de l’effet papillon, ont l’effet amplificateur des opérateurs à fort levier pris à contrepied. C’est parfois déroutant que l’anticyclone stagne pendant des semaines sur la Pologne ou sur le Groenland, mais c’est qu’il ne le fasse pas qui serait étonnant…