L’anniversaire de la Constitution de 1822 a été très discret.
Il y a deux siècles, le 23 septembre 1822, le roi de Portugal approuvait la Constitution rédigée par les Cortes constituantes réunies à Lisbonne. Première des six Constitutions portugaises, ce texte contradictoire s’efforce de concilier les traditions du pays, notamment un catholicisme ardent, avec les principes nouveaux du libéralisme.
Pays marqué par l’influence française dès ses origines, la première dynastie royale n’était-elle pas capétienne ? Le Portugal était entré dans le monde contemporain avec l’invasion française de 1807, ébranlant l’absolutisme et provoquant à terme la séparation avec le Brésil.
À la recherche du gouvernement représentatif
Mais la Constitution de 1822 est-elle vraiment la première Constitution portugaise ?
Plusieurs textes « constitutionnels » auraient en effet marqué l’histoire du Portugal au fil des siècles même s’il s’agit souvent de textes assez disparates et de droits mal définis. Le plus mythique de ces textes, les prétendues lois de Lamego datant du XIIe siècle, avait été redécouvert miraculeusement en 1632 par António Brandão pour appuyer les droits de la maison de Bragance face à la Couronne espagnole.
Cette Magna Carta lusitanienne devait malheureusement se révéler apocryphe. Néanmoins, les Cortes, à l’instar du Parlement anglais ou des états généraux français, offraient aux libéraux le souvenir idéalisé des fondements d’un gouvernement représentatif.
La première Constitution moderne du Portugal
Mais ce sont en réalité les révolutions américaine de 1776 et surtout française de 1789 qui vont servir de modèle aux libéraux de la péninsule ibérique au début du XIXe siècle. La première Constitution moderne de la péninsule, la Constitution espagnole de 1812 n’aura guère d’application mais devait offrir une troisième référence aux Portugais. En 1820, un vent de révolution avait ébranlé les trônes espagnol, napolitain et portugais. La secousse devait se révéler décisive et disloquer les empires américains des monarques espagnols et portugais.
Revenant du Brésil après un long exil, Jean VI choisit d’accepter la Constitution rédigée par les Cortes. Mais la reine et le fils cadet du roi, l’aîné s’étant proclamé empereur du Brésil, refusent le texte. Le prince Miguel appelle même au rétablissement de l’Ancien régime. Les Cortes devaient se séparer même si le roi promettait une nouvelle Constitution qui sera finalement adoptée en 1826. La Constitution de 1822 fait donc partie de ces textes jamais appliqués et d’autant plus surévalués.
Une Constitution audacieuse pour son temps
Si toutes les Constitutions ont un petit air de famille et si la lecture de nombre d’entre elles se révèle peu palpitante, la Constitution de 1822 offre quelques singularités.
La première est le nombre de ses articles, pas moins de 229. Loin d’être un texte bref et obscur, cette charte suprême se révèle minutieuse, voire tatillonne. Elle est à l’image de la Constitution espagnole de 1812 qui comptait 384 articles.
Les constituants portugais de 1821 se révèlent en tout cas plus audacieux que les rédacteurs des chartes françaises de 1814 et 1830. En effet, ils puisent leur inspiration non pas dans la récente Restauration des Bourbons en France mais dans la première monarchie constitutionnelle de 1789-1791 tout comme dans la Constitution espagnole avortée de 1812 dite Constitution de Cadix.
La Constitution de 1822, bréviaire du libéralisme portugais
Au total, ce texte constitue une sorte de bréviaire du libéralisme politique portugais.
L’article 26 affirme que la nation portugaise est indépendante et n’est la propriété de personne, la Constitution n’ayant pas besoin de la sanction du roi.
La Constitution de 1822 établit une monarchie constitutionnelle héréditaire qui distingue trois pouvoirs séparés. La hiérarchie de la présentation des pouvoirs n’est pas le fruit du hasard. Dans ce texte portugais, le pouvoir législatif vient en premier, le pouvoir exécutif en second. Le détail des attributions de ces deux pouvoirs n’a rien de très original. À l’instar de la première Constitution française, le pouvoir de faire les lois est confié à une seule chambre, bien loin du bicaméralisme anglo-saxon.
Retenons également le serment prêté par le roi nouvellement couronné :
« Je jure de maintenir la religion catholique, apostolique et romaine ; d’être fidèle à la nation portugaise ; d’observer et de faire observer la Constitution politique décrétée par les Cortes extraordinaires et constituantes de 1821, et les lois de la nation, et de travailler au bien général autant que je le pourrai. »
En effet, comme en 1791, la machine ne pouvait fonctionner qu’avec la loyale participation du roi. L’échec était en quelque sorte inscrit dans le texte même de la Constitution de 1822.
Droits de l’Homme et catholicité
Le texte placé sous l’égide de la Sainte-Trinité, comme la déclaration des droits de l’Homme invoquait l’Être suprême, s’en inspire presque littéralement.
L’article premier de la Constitution de 1822 distingue donc trois droits fondamentaux, la liberté, la sûreté et la propriété. Les articles qui suivent décalquent quasiment à l’identique la Déclaration des droits de l’Homme. Mais l’invocation de la Trinité, à la différence du vague déisme français de 1789, donne une coloration très catholique à l’ensemble du texte qui se rapproche davantage de la Constitution de Cadix.
L’État portugais n’est ainsi pas neutre sur le plan confessionnel :
« La liberté en matières religieuses, la censure des articles publiés sur le dogme et la morale est réservée aux évêques, et le gouvernement leur prêtera secours pour la punition des coupables. » (article 8)
Être portugais impliquait d’être catholique. Néanmoins, les étrangers n’ont pas cette obligation, à condition de pratiquer de façon particulière et non publique (art. 24).
Et l’article 19 mérite d’être cité en entier :
« Tout Portugais doit être juste : ses premiers devoirs sont de respecter la religion, d’aimer la patrie, de la défendre les armes à la main, lorsqu’il y sera appelé par la loi, d’obéir à la Constitution et aux lois, de respecter les autorités publiques, et de contribuer aux charges de l’État. »
Un droit de vote original ni vraiment censitaire, ni vraiment universel
L’accès la citoyenneté portugaise est large, associant droit du sang et droit du sol, et inclut même « les esclaves lorsqu’ils auront obtenu leur liberté ». Le droit de vote n’est pas à proprement parler censitaire, ce qui est très avancé pour l’époque. Ce n’est pourtant pas un suffrage universel (masculin). Les mineurs, c’est-à-dire âgés de moins de 25 ans, ne peuvent voter sauf s’ils sont mariés. Les fils vivant chez leurs parents non plus. Sont exclus de façon permanente les domestiques, les vagabonds, les membres du clergé régulier et les analphabètes.
Les interdictions sont d’une certaine façon plus logiques et cohérentes que l’établissement d’un cens électoral élevé comme dans la France de la Restauration et même de la Monarchie de Juillet.
En revanche, aux élections municipales les fils de famille et les analphabètes seront acceptés dans le corps électoral. Un des derniers articles de la Constitution montre le souci d’éduquer la population :
« Il y aura dans tous les endroits du royaume où cela sera jugé convenable, des écoles suffisamment dotées, dans lesquelles on apprendra à la jeunesse portugaise des deux sexes, à lire, à écrire, le calcul et le catéchisme des devoirs religieux et civils ».
Une stricte séparation des pouvoirs
Les articles 33 et 34 de la Constitution de 1822 offrent bien des sujets de méditation à notre époque. Ils définissent en effet ceux qui ne peuvent être élus députés. Outre les cas précédents, s’ajoutent les secrétaires et conseillers d’État et tous « ceux qui occupent des emplois dans la maison du roi ».
L’inspiration libérale en est très claire.
On y lit à la fois la méfiance à l’égard du pouvoir monarchique et le souci d’assurer une véritable séparation des pouvoirs. Il n’est pas question d’un quelconque régime parlementaire. Ne sont pas davantage éligibles les membres du clergé séculier, les magistrats et « les chefs de corps de l’armée ou de milices, par les militaires soumis à leur commandement ».
L’organisation des élections dans la Constitution de 1822
S’inspirant de la Législative, la Constitution de 1822 prévoit des élections tous les deux ans au scrutin secret dans le cadre de la paroisse.
La rédaction des listes électorales est confié aux bons soins du curé, les églises servant de bureaux de vote. Le jour de l’élection on devra célébrer une messe du Saint-Esprit « après laquelle le curé ou le prêtre assistant prononcera un petit discours analogue à la circonstance » (article 53). À la fin du processus de vote et la proclamation des résultats, l’assemblée assistera à un Te Deum !
Il est très frappant de constater la minutie de la description des opérations électorales, détails qui sont d’ordinaire absents du texte des Constitutions. Pas moins de 32 articles sont consacrés à cette question.
Enfin le pouvoir judiciaire est confié à des juges lettrés « perpétuels » et à des jurés élus. Relevons les préoccupations humanitaires et hygiéniques du temps :
« Les prisons seront sûres, propres et bien aérées, de sorte qu’elles servent à la sûreté des détenus, et non à les torturer. » (article 198)
Les limites de l’influence du libéralisme portugais
Mais le libéralisme portugais n’avait aucune assise populaire.
Les idées françaises avaient séduit avant tout le monde des magistrats, des avocats, des négociants mais aussi des militaires. La révolution de 1820 avait été provoquée par une partie de l’armée mais la plus grande partie de la population, rurale, restait profondément religieuse et attachée à la monarchie traditionnelle.
Au sein des Cortes s’affrontaient les conservateurs pour qui la Constitution était un point d’arrivée et les « régénérateurs » pour qui elle était un point de départ vers un régime plus démocratique et même républicain. Les excès des radicaux, le soutien des puissances étrangères aux libéraux modérés, donnèrent à l’infant Miguel l’image d’un patriote dévoué.
L’échec final de la Constitution de 1822
À la mort de Jean VI (1826), deux factions s’affrontèrent : les constitutionnalistes soutenaient la fille de l’empereur du Brésil, Isabel, et les absolutistes Miguel. Cette division dynastique devait plonger le pays dans la confusion jusqu’en 1834.
Si un mouvement septembriste devait obtenir brièvement le rétablissement de la Constitution fantôme en 1836, elle parut vite trop radicale, et fut largement modifiée deux ans plus tard. La Charte de 1826 fut finalement rétablie en 1842. Le texte de 1822 pouvait dès lors rejoindre le cimetière très encombré des Constitutions défuntes.
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