Le 9 janvier 1822 marque le début de l’indépendance du Brésil. Fico ! Un mot, un seul, et tout a basculé ce jour là . « Se é para o bem de todos e felicidade geral da nação, diga ao povo que fico » proclame Dom Pedro. Ce qui donne en bon français approximativement : « puisque c’est pour le bien de tous, dites au peuple que je reste ». Ce « je reste » (Fico) jeté à la face du Portugal était l’aboutissement d’un processus déclenché plusieurs années auparavant.
L’indépendance brésilienne est la plus originale du continent américain. Les habitants des 13 colonies avaient rejeté la couronne britannique à la fin du XVIIIe siècle. Dans les années 1820, les colonies espagnoles vont accéder à l’indépendance en rompant les liens avec la monarchie espagnole. Partout, la création de nouveaux États aboutit à la naissance de républiques.
Le Brésil constitue une exception à double titre. Non seulement le pays devient une monarchie, mais ce sont des membres de la famille royale portugaise qui vont régner de 1822 à 1889. Même si le Mexique a connu des empereurs leur pouvoir a été éphémère et ils étaient d’une certaine façon des usurpateurs.
Comment expliquer cette émancipation atypique, pour reprendre l’expression de Bartolomé Bennassar ?
La faute à Napoléon
La faute à qui donc ? La faute à Napoléon comme le chantaient de joyeux hurluberlus dans ma jeunesse.
Un récent ouvrage de l’historien Alexander Mikaberidze, Les guerres napoléoniennes, une histoire globale, nous rappelle les répercussions mondiales des événements qui se sont déroulés en Europe.
Selon l’historien britannique Alan Manchester, le Portugal des Bragance se trouvait pris « comme un coquillage dans une tempête entre les vagues de la puissance maritime de l’Angleterre et le rocher des armées de Napoléon ».
De son côté, l’Espagne n’avait pas renoncé tout à fait à son projet d’unification de la péninsule ibérique. Le prince régent Jean (ou João si on veut être puriste) indécis et craintif s’efforça de ne rien décider le plus longtemps possible. Le 23 novembre 1807 Napoléon détrônait les Bragance alors que ses troupes approchaient de la frontière portugaise.
Répondant aux offres britanniques, la famille royale, le gouvernement et la cour, soit 15 000 personnes, s’embarquèrent aussitôt. Sous la protection des navires britanniques l’élite politique et sociale, les archives et le trésor royal prirent le chemin du Brésil.
Le voyage fut un peu long. En janvier 1808, la famille royale s’installait à Rio de Janeiro, accueillie avec enthousiasme par les Portugais et les créoles. Pour la première fois, des monarques européens s’établissaient dans une colonie d’outre-mer. La décision du prince régent d’ouvrir les ports du Brésil au commerce des autres nations du fait de l’occupation du Portugal mettait fin à l’âge colonial et préparait l’indépendance. Mais jusqu’en 1821 le Brésil, liés par des traités de commerce et d’alliance, devint un « protectorat anglais ». Le seul point sur lequel les Anglais ne purent imposer leur volonté fut la question de l’abolition de la traite négrière. Portugais et Brésiliens étaient d’accord sur la nécessité de la maintenir à tout prix. Lors du Congrès de Vienne une dépêche envoyée au comte de Palela était sans ambiguïté : « la ruine de ce beau et vaste territoire du Brésil est infaillible si l’Angleterre persiste dans son projet. »
La révolution de 1820
La défaite de Napoléon n’avait pas du tout incité le prince régent à rentrer au Portugal. Il devint roi de Portugal à la mort de sa mère « Marie la Folle ». Il se fit proclamer par la même occasion roi du Brésil. À Rio de Janeiro, Jean VI rêvait de conquêtes et d’expansion et ne songeait plus guère à son petit pays. Dans l’ancienne métropole le mécontentement grandissait et une révolution libérale finit par éclater. On songeait sérieusement à un changement de dynastie ou à une union avec l’Espagne. Le gouvernement provisoire exigea en octobre 1820 le retour du roi ou d’un membre de la famille royale. Mais il réclamait aussi l’établissement d’une monarchie constitutionnelle garantissait les libertés individuelles, la séparation des pouvoirs et une représentation élue.
Mais les conseillers du roi minimisèrent les événements. Ils déchantèrent avec le déclenchement d’une révolution libérale au Brésil même en janvier et février 1821. Jean VI se voyait contraint de jurer de respecter la Constitution projetée et de rentrer au Portugal. Il devait débarquer au Portugal début juillet 1821 après treize années d’absence. Avant de partir, il avait organisé un conseil de régence placé sous l’autorité de son fils dom Pedro.
L’indépendance ou la mort
Mais les libéraux portugais crurent pouvoir supprimer tous les organes de pouvoir existant au Brésil sous prétexte qu’ils étaient l’Å“uvre de l’absolutisme. Les Cortès exigeaient de surcroît le retour de dom Pedro. Les partisans de l’indépendance virent dans ces décisions le retour à la sujétion portugaise. La « prétention recolonisatrice » des Cortès fut rejeté par les Brésiliens, surtout parmi les « serviteurs de l’État » qui avaient bénéficié de la longue présence royale à Rio.
Dom Pedro avait grandi au Brésil et s’était attaché à cette terre. Ainsi s’explique son « je reste ». Allait-on voir naître au Brésil une monarchie « généreuse » conciliant la tradition et les idées libérales ?
Quelques mois plus tard, le 7 septembre 1822, il proclamait officiellement l’indépendance du Brésil. Adepte des formules chocs, cet esprit bouillant et romantique s’exclama : « Independência ou morte » (mais là je ne vous traduis pas). Il devint dès lors le premier empereur du Brésil sous le nom de Pedro Ier. Le drapeau national imaginé par Jean-Baptiste Debret, élève de David, était très original. Il associait un rectangle vert, couleur des Bragance, et un losange jaune, couleur des Habsbourg, famille de l’impératrice. Plus tard, ces couleurs seront réinterprétées comme symbolisant la forêt amazonienne et l’or si abondant dans le sous-sol. En revanche l’hymne composé par l’empereur lui-même ne devait pas survivre à son règne.
L’échec de l’assemblée constituante
Une Assemblée constituante fut réunie le 17 avril 1823. Elle comptait 53 membres dont 48 juristes. Ils connaissaient fort bien les textes constitutionnels de la France révolutionnaire et des États-Unis et le Bill of Rights anglais. Ils avaient fortement été marqués par la lecture des philosophes des Lumières tout autant que par la franc-maçonnerie. Mais ces libéraux étaient en même temps des partisans résolus de l’esclavage. À leurs yeux, les esclaves avaient passé un contrat avec leurs « seigneurs ». Ils ressemblaient beaucoup aux esclavagistes du Sud des États-Unis si attachés aux « libertés », sauf pour tout ce qui concernait les esclaves.
Leur projet de Constitution exprimait également une forte xénophobie anti-portugaise rendant difficile la naturalisation des étrangers et une grande méfiance à l’égard de l’empereur trop « portugais » à leurs yeux. Ce dernier irrité des critiques formulés par les députés décida de fermer l’Assemblée par la troupe le 12 novembre.
Un règne qui tourne court
À l’image de Louis XVIII, Pedro Ier octroya une Charte promulguée en 1824. L’empereur avait le pouvoir exécutif et choisissait les membres du Sénat sur des listes élues par les provinces. Il pouvait également dissoudre la Chambre des députés élus par un suffrage censitaire très étroit. Il disposait de ce pouvoir « modérateur » dont Benjamin Constant avait rêvé pour Napoléon lors des Cent Jours.
Les troubles séparatistes, les échecs militaires aboutissant à l’indépendance de l’Uruguay, et enfin le renoncement à la couronne portugaise au profit de sa fille Maria da Gloria ruinèrent le prestige du monarque. Toujours théâtral, Pedro Ier décidait d’abdiquer le 7 avril 1831, coupant l’herbe sous le pied des mouvements révolutionnaires. Il sauvait ainsi pour un temps sa dynastie.
Dieu est peut-être brésilien mais il se fait désirer
Les libéraux mirent en place une régence, l’héritier du trône n’ayant que 5 ans. Malheureusement la régence d’inspiration libérale du père Feijo fut relativement brève. Son projet d’abolition progressive de l’esclavage ne put être mis en Å“uvre. Ce devait être un poison qui ne devait trouver qu’une solution tardive, le Brésil ayant été le dernier État du continent américain à abolir le travail servile. Le maintien également d’un droit de vote réservée à une infime minorité devait empêcher la monarchie brésilienne de trouver l’appui populaire qui aurait été nécessaire à sa pérennité.
Mais les occasions manquées devaient être le lot de l’histoire du Brésil, cette « puissance en devenir » depuis si longtemps.
À lire :
Bartolomé Bennassar, Richard Marin, Histoire du Brésil 1500-2000, Fayard 2000, 629 p.
Bonjour,
Merci pour ce texte sur le Brésil, pays bien plus fascinant que ce que les actualités partielles et surtout partiales nous en laissent goûter.
Je pensais toutefois que vous évoqueriez le rôle déterminant du mercenaire français Pierre Labatut, notamment à la bataille décisive de Piraja (novembre 1822) qui obligea les forces portugaises à capituler.
Quoiqu’il en soit, il est toujours agréable de lire des articles sur le Brésil qui vont au-delà des clichés.
Cordialement
Il est dommage que l’auteur n’évoque pas, après cette déclaration d’indépendance, les désastreuses révoltes régionalistes et centrifuges durant la régence, et la fragilité de l’idée même d’une nation brésilienne malgré le « cri » de Pedro 1er (« l’indépendance ou la mort ») qui n’a pas été entendu par tout le monde. A mon humble avis, la véritable naissance du Brésil ne résulte pas vraiment de ce désir d’indépendance, mais du succès incontestable de l’empereur Pedro II dans son intention de créer le sentiment chez les Brésiliens qu’ils appartiennent à une seule nation. Cette « construction » d’une identité nationale a été laborieuse mais réussie, si réussie que l’empereur, son auteur, en fut la première victime. Ce nouveau « patriotisme » brésilien permit à la fois la fin de l’esclavage, la fin de la monarchie et l’avènement d’une République longtemps dominée par les militaires et les franc-maçons et par les Etats de Sao Paulo et du Minas Gerais, avec pour toile de fond les délires d’Auguste Comte à qui l’on doit une étrange église qui existe toujours à Rio et la devise du pays, Ordre et Progrès, lesquels laissent laissent toujours à désirer.
Il est dommage que l’auteur n’évoque pas, après cette déclaration d’indépendance, les désastreuses révoltes régionalistes et centrifuges durant la régence, et la fragilité de l’idée même d’une nation brésilienne malgré le « cri » de Pedro 1er (« l’indépendance ou la mort ») qui n’a pas été entendu par tout le monde. A mon humble avis, la véritable naissance du Brésil ne résulte pas vraiment de ce désir d’indépendance, mais du succès incontestable de l’empereur Pedro II dans son intention de créer le sentiment chez les Brésiliens qu’ils appartiennent à une seule nation. Cette « construction » d’une identité nationale a été laborieuse mais réussie, si réussie que l’empereur, son auteur, en fut la première victime. Ce nouveau « patriotisme » brésilien permit à la fois la fin de l’esclavage, la fin de la monarchie et l’avènement d’une République longtemps dominée par les militaires et les franc-maçons et par les Etats de Sao Paulo et du Minas Gerais, avec pour toile de fond les délires d’Auguste Comte à qui l’on doit une étrange église qui existe toujours à Rio et la devise du pays, Ordre et Progrès, lesquels laissent laissent toujours à désirer.