Fermer les frontières aux Russes n’aidera que Poutine

Enfermer les Russes en Russie n’aidera que Poutine.

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Fermer les frontières aux Russes n’aidera que Poutine

Publié le 24 août 2022
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Près de six mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les forces ukrainiennes continuent de tenir tête à la Russie. Les nations étrangères ont acheminé d’énormes quantités d’aides militaire et humanitaire à l’Ukraine tout en imposant des sanctions qui touchent aussi bien les élites du Kremlin que les Russes ordinaires.

Mais certains souhaitent que ces mesures aillent plus loin. Dans une interview accordée au Washington Post au début du mois, le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy a déclaré que les Russes devraient « vivre dans leur propre monde jusqu’à ce qu’ils changent de philosophie ». En termes pratiques, il a suggéré que les pays devraient « fermer les frontières » aux citoyens russes :

« Quel que soit le type de Russe, qu’ils aillent en Russie ».

Un certain nombre de nations ont pris des mesures pour empêcher les Russes d’entrer sur leur territoire. Jusqu’à présent, la République tchèque, la Lituanie, l’Estonie, la Lettonie et la Pologne ont décidé de ne plus délivrer certains visas aux citoyens russes. La Finlande va réduire de 90 % le nombre de visas touristiques russes qu’elle délivre actuellement.

Le Premier ministre finlandais Sanna Marin a déclaré :

« Il n’est pas normal qu’au moment même où la Russie mène une guerre d’agression brutale et agressive en Europe les Russes puissent vivre une vie normale, voyager en Europe, être des touristes. »

Mais ces mesures ne toucheront pas que les touristes. Selon LETA, une agence de presse lettone, le ministère letton de l’Intérieur a préparé des amendements à la loi sur l’immigration du pays afin de « cesser de délivrer […] des permis de séjour temporaires (TUA) aux citoyens de Russie et de Biélorussie », ce qui « affectera les possibilités des employeurs de continuer à employer des travailleurs migrants des deux pays voisins ».

Les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne devraient discuter de la question des visas russes le 31 août. En prévision de cette réunion, de nombreuses personnalités – y compris des membres de l’administration Zelensky – se sont prononcées contre une interdiction générale des visas pour les Russes. Ils reconnaissent les problèmes éthiques et pratiques que pose le fait de punir des civils pour les actions d’un gouvernement autoritaire qu’ils ne peuvent pas contrôler.

Oleksiy Arestovych, conseiller militaire de Zelensky, a déclaré au Washington Post qu’il n’était « pas partisan de la responsabilité collective mais individuelle ». S’il peut être raisonnable de sanctionner ceux qui soutiennent ouvertement le président russe Vladimir Poutine, il est favorable à une approche « plus sélective » des refus de visa pour les Russes.

Le chancelier allemand Olaf Scholz a lui aussi rejeté l’idée d’une interdiction des touristes russes à l’échelle de l’UE, arguant qu’une telle mesure « saperait l’objectif et l’effet des sanctions ciblées qui ont été appliquées à ceux qui soutiennent la guerre », explique Politico.

Scholz a déclaré lors d’une conférence de presse la semaine dernière :

« Ce n’est pas la guerre du peuple russe, mais c’est la guerre de Poutine. Il est important pour nous de comprendre qu’il y a beaucoup de gens qui fuient la Russie, parce qu’ils sont en désaccord avec le régime russe. »

 

L’application des restrictions de visa aux Russes peut se révéler difficile sur le plan logistique, surtout si seules certaines catégories de visa sont concernées. Les responsables européens ne sont pas unanimes sur la question de cette interdiction, et encore moins sur les personnes qu’elle devrait inclure.

Alors que le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, a souligné que « les quelques Russes qui pourraient avoir besoin d’un asile ou d’une entrée humanitaire » ne devraient pas être interdits de séjour, Zelensky a précédemment fait valoir que les Russes étudiant à l’étranger en Europe devraient être renvoyés chez eux.

Limiter l’entrée aux seuls Russes qui ne soutiennent pas Poutine obligerait les autorités chargées de la délivrance des visas à porter un certain nombre de jugements subjectifs (une complication qui, selon M. Arestovych, pourrait avoir poussé M. Zelensky à favoriser une interdiction générale).

Zelensky affirme qu’il faut limiter les déplacements des voyageurs russes « jusqu’à ce qu’ils changent de philosophie ». Mais garder les Russes en Russie n’est pas la bonne approche pour les encourager dans ce sens.

D’abord, le Kremlin a censuré toutes sortes d’informations sur la guerre. En mars dernier, il a bloqué l’accès à Facebook.

Il s’est attaqué aux journalistes et aux sites web étrangers, censurant des sites comme la BBC, Radio Free Europe/Radio Liberty et Deutsche Welle. Et en mars, Poutine a signé une loi prévoyant des peines de prison allant jusqu’à 15 ans pour ceux qui diffusent de « fausses nouvelles » sur l’invasion. La Russie a arrêté plus de 13 000 manifestants anti-guerre durant les deux premières semaines qui ont suivi le début de la guerre.

Isoler les Russes sera contre-productif. Leur permettre de voyager leur apportera sûrement une certaine joie, mais leur donnera également accès à des points de vue et à des idées sur l’invasion de l’Ukraine qu’ils auraient du mal à trouver chez eux.

En isolant les Russes des nations plus libres, on s’assure qu’ils sont maintenus dans un environnement d’information hostile, privés d’expériences qui pourraient les rendre plus favorables à la liberté et plus hostiles à leur régime actuel. Qui plus est, cela pourrait empêcher certains groupes vulnérables, comme les LGBT ou les dissidents politiques, de partir vers des endroits plus sûrs.

Une interdiction générale des visas nuirait aux citoyens russes qui pourraient très bien bénéficier d’une échappatoire ou d’une exposition à des idées en dehors des frontières de la Russie. Les maintenir isolés ne ferait que les piéger dans un pays où règne la censure et risquerait de les éloigner de l’Occident, faisant ainsi directement le jeu de Poutine.

Traduction de Contrepoints

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  • Les russes comme les habitants des autres pays ont le gouvernement qu’ils méritent et en sont donc responsables. Donc de fait ennemis de la liberté ils ne doivent pas être acceptés dans les pays libres.

    -2
  • Les Russes s’en moquent cet hiver, ils auront du gaz, du charbon, de l’électricité à bon prix se ne sera notre, beaucoup de travail dans l’industrie militaire, les prix grimpent, cet hiver ils exploseront, j’espère que les livraisons d’armes à l’Ukraine sont payés a l’avance

  • Et une fois que la Russie aura tout redéveloppé avec des noms Russes, et qu’elle ne voudra plus commercer avec l’extérieure, on la traitera de protectionniste ! Magique… 😀

  • Dès qu’un idée survient pour sanctionner la Russie, on voit une levée de boucliers de ceux qui disent que la mesure n’affecte en rien Poutine. Bien entendu, les mêmes ne propose rien qui pourrait faire reculer le dirigeant russe puisqu’il paraît qu’il faut se cantonner aux dirigeants. Mais les dirigeants sauront toujours échapper au pire, c’est bien le peuple russe qu’il faut sanctionner, non pour le punir, mais pour lui montrer que la politique de Poutine les entraîne dans l’abîme. Lorsque les choses iront très mal là bas, le régime pourra être affaibli et les cartes seront redistribuées. L’idée selon laquelle la Russie pourrait être prospère en étant isolée du monde moderne ne tient pas la route car la Russie est un petit pays, dépendante de l’extérieur en toutes choses, incapable de construire un réfrigérateur digne de ce nom.

  • Il y a de grandes chances que les Russes autorisés à voyager en Europe soient des sympathisants de Poutine. Je vois mal Vladimir permettre que le petit peuple lambda soit autorisé à écouter la version européenne de la guerre en Ukraine pour la rapporter chez eux.
    Quant à Olaf Scholz, il est prêt à tout pour quelques molécules de gaz russe.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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