Lancement du satellite iranien par la Russie : l’erreur américaine

Le 9 août 2022, pour le compte de l’Iran, La Russie a lancé un satellite d’observation. Un révélateur d’erreurs stratégiques de la part de l’Occident.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 1
GPM Core Observatory By: NASA Goddard Space Flight Center - CC BY 2.0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Lancement du satellite iranien par la Russie : l’erreur américaine

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 12 août 2022
- A +

Le 9 août 2022, pour le compte de l’Iran, La Russie a lancé un satellite d’observation dont l’objet déclaré est, selon les Iraniens, de surveiller les frontières du pays, améliorer la productivité agricole, suivre l’évolution de la déforestation, contrôler l’évolution des ressources en eau et observer les éventuelles catastrophes naturelles qui pourraient frapper le pays.

 

Un satellite iranien de fabrication russe

Ce satellite, baptisé Khayyam (d’après le célèbre poète du XIe siècle, Omar Khayyam, qui était aussi mathématicien et astronome) est techniquement un objet russe.

Il a en effet été conçu et réalisé par l’institut russe de recherche scientifique en électromécanique VNIIEM dans une série bien connue qui est celle des satellites Kanopus-V. Il a été lancé de Baïkonour, l’astroport habituel des Russes, situé au Kazakhstan (et loué continument par la Russie à ce pays depuis la fin de l’URSS). Les Iraniens ont bien une agence spatiale (Iranian Space Agency), des lanceurs, Safir suivi par Simorg (échec) suivi par Qased. Mais jusqu’à présent leurs performances ont été piteuses (mise en orbite d’un satellite, Omid de 27 kg en 2009 avec Safir puis de Nour-1 de 15 kg en 2020 avec Qased). Le russe Khayyam est d’un tout autre niveau (600 kg et porteur de caméras très puissantes). Il est vrai que, comme pour le développement du nucléaire, la mise à l’index de l’Iran n’a pas facilité ses progrès autonomes.

Il est à noter que le satellite Khayyam n’est pas géostationnaire (altitude 36 000 km) et évoluera à une altitude basse de 500 km (à peu près l’altitude de l’ISS).

On peut aussi noter qu’il a été lancé à un moment où l’Iran va parvenir à la production d’uranium d’un niveau de pureté (plus de 90 %) compatible avec celui nécessaire pour la réalisation d’une bombe nucléaire.

On peut encore noter que le ministère de la Défense iranien est étroitement associé au projet. Des militaires iraniens sont attachés au centre de contrôle russe du vol du satellite et un groupe d’officiers et de sous-officiers iraniens seront les analystes des images d’intérêt militaire.

On peut noter enfin que l’altitude à laquelle le satellite évoluera ne lui permettra pas de rester fixe au-dessus du territoire iranien mais qu’elle l’obligera à faire constamment le tour du globe, ce qui est nécessaire à son maintien en orbite.

Avec cet instrument qui passera au-dessus du pays toutes les 90 minutes, l’Iran aura donc un bon contrôle de son territoire (définition des images de 1,2 mètre par pixel) mais pas un contrôle permanent comme s’il disposait d’un satellite géostationnaire (à l’altitude de 36 000 km, la définition des photos aurait cependant été moins bonne). Ce contrôle s’améliorera avec les prochains satellites puisque deux sont encore prévus (apparemment toujours à la même altitude), bien sûr avec le même partenaire.

 

Une conséquence de la politique américaine vis-à-vis des États-Unis

Il est évident que ce satellite n’aura pas pour objet que la surveillance du territoire iranien.

Il pourra observer le sol des autres pays survolés, avec évidemment la même définition. On ne connaît pas sa trajectoire mais on peut l’imaginer. Il serait très étonnant qu’à chaque passage au-dessus d’Israël l’appareil ne prenne pas quelques photos.

On voit là les conséquences de la politique absurde des Américains vis-à-vis de la Russie depuis l’implosion de l’Union soviétique. En dépit des réalités, les États-Unis et l’OTAN ont toujours considéré que ce pays n’était que l’avatar de l’URSS et qu’à ce titre il présentait toujours un grand danger, tout en estimant qu’il était devenu une puissance secondaire en ne regardant que son PIB. Dans les années 1990, il aurait fallu tourner la page, accueillir le « repentant » dans la communauté des nations démocratiques au lieu de l’isoler puis de le repousser dans les bras de nos ennemis en ne lui laissant aucun autre choix que l’hostilité.

Il ne fallait surtout pas ignorer qu’il conservait une puissance potentielle considérable : des compétences technologiques importantes, des ressources naturelles supérieures à tout autre pays et une présence géographique inégalée puisque son territoire est le plus grand de tous les pays du monde.

La guerre en Ukraine, largement provoquée par le grignotage de la périphérie du monde russe par les Américains derrière l’OTAN, a fini par faire éclater la tension en conflit ouvert et voici que maintenant la Russie soutient l’un des ennemis les plus dangereux de l’Occident tout entier. Beau résultat ! C’est le couronnement de trente années d’une politique internationale menée en dépit du bon sens.

Avec ce satellite il pourrait être plus difficile pour Israël de retarder encore l’accès de l’Iran à la bombe nucléaire et nous aurons un nouveau membre du « club » qu’il sera bien difficile de contrôler. Dans l’immédiat c’est surtout cela qu’il faut craindre, beaucoup plus que l’aide que les Iraniens pourraient apporter aux Russes en surveillant l’Ukraine, comme le craint le Washington Post, obnubilé par ce conflit. On ne peut pas changer si facilement l’orbite d’un satellite (il faut des réserves embarquées d’ergols non négligeables !) et les Russes ont d’autres moyens d’observation de l’Ukraine.

Cela ne signifie pas pour autant que la Russie prend le parti de l’Iran contre Israël qui reste un partenaire privilégié de la Russie. Elle lui permet simplement de se protéger. C’est sans doute un jeu dangereux mais le message principal est adressé à l’Occident. Il nous dit que la consigne de non-coopération dans le domaine spatial avec ce pays que la Russie avait respecté jusqu’à présent ne tient plus, que la Russie se désolidarise un peu plus de nous, hélas !

 

Voir les commentaires (9)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (9)
  • On peut quand même s’étonner de la nullité de la diplomatie américaine.
    Ce pays qui écoute tout et tout le monde a théoriquement toutes les cartes en main pour anticiper les réactions des uns et des autres.
    Le plus grave pour nous Français, c’est l’atlantisme acharné de l’UE et de de Macron qui nous conduit droit dans le mur.

  • J’ai un peu l’impression que l’auteur réécrit l’Histoire avec cet article. Que je sache, après l’explosion de l’URSS, la Russie est restée membre du G7, elle est restée membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, on est loin de l’isolement diplomatique. Celui-ci découle plutôt de la prise de la Crimée en 2014 et des sanctions occidentales qui ont suivi.
    Quant au mythe de l' »encerclement par l’OTAN », c’est assez similaire : si je me souviens bien, dans les années 90/2000, l’OTAN et la Russie faisaient des exercices militaires ensemble, et des pays de l’OTAN n’avaient aucun problème pour vendre des systèmes d’armement avancés à la Russie (voir le contrat pour les frégates Mistral ou les ventes d’armes à la Russie par le Royaume Uni). La configuration a changé, là encore, avec la Crimée.
    Bien entendu, chacun en pense ce qu’il veut. À titre personnel, je pense que la prise de la Crimée a résulté du choix du gouvernement Russe et de lui seul. En accuser l’OTAN qui auraient « poussé la Russie dans un cul de sac », il faut oser…

    • L’OTAN n’avait plus de raison d’être après la dissolution du Pacte de Varsovie. Il a toujours subsisté une méfiance de l’Amérique/OTAN envers l’ex URSS. L’Occident a observé avec satisfaction le délitement du tissu économique et social de l’ancien empire après son implosion. En fait la théorie était « observer et laisser faire » (rappelez-vous l’époque Eltsine et la privatisation sauvage au profit des anciens apparatchiks). En fait le rapport avec ce qu’on appelait l’Est est toujours resté strictement politique, autrement dit « tant mieux s’ils s’écroulent sur le plan économique, ils seront plus faibles ».
      La reprise de contrôle de la Crimée par la Russie a été un prétexte, encore une fois politique, pour relever le mur contre l’empire défunt. Ce prétexte, surexploité, a effectivement été le début du durcissement c’est à dire de l’abandon par les Russes de tout espoir d’entente. Mais cela est bien compréhensible. Quelle bêtise et quelle injustice de vouloir priver la Russie de sa base de Sebastopol et de ce territoire de Crimée qui n’a jamais été ukrainien sauf de par la volonté évidemment non discutable et non discuté de Nikita Khrouchtchev!
      Par ailleurs le coup d’état de Maïdan en 2014, a bel et bien été une intrusion anti-russe dans la sphère d’influence de la Russie et il aurait dû paraitre évident que l’arrachement de l’Ukraine à la famille des peuples russes conduirait à ce conflit. L’Ukraine était une marche, un pays intermédiaire. Elle aurait dû le rester et l’Occident aurait dû comprendre qu’il était nécessaire à la paix du monde, qu’elle le reste. Autrement dit, autant il était légitime de libérer les peuples baltes en plus des « Pays de l’Est » puisqu’ils ne sont pas russes, autant la tentative de séparer l’Ukraine de la Russie a été et reste absurde.

      • EN fait il y a quelques similitudes entre l’Ukraine d’avant Maïdan et la Belgique: Un seul pays avec deux populations qui ne parlent pas la même langue mais qui cohabitaient. L’une rêvait le l’ouest, l’autre de l’est avec des tensions entre les deux. ça aurait pu marcher si les voisins de part et d’autre s’étaient tenu à l’écart. Mais ça n’a pas été le cas, surtout des voisins du coté Ouest au début…

  • « Avec ce satellite il pourrait être plus difficile pour Israël de retarder encore l’accès de l’Iran à la bombe nucléaire et nous aurons un nouveau membre du « club » qu’il sera bien difficile de contrôler. »

    Pas compris: ils vont lire les plans de la bombe juive avec un téléobjectif superpuissant qui voit au travers des murs??? Peu de liens entre ces deux programmes, l’Iran a déjà des missiles suffisamment précis pour l’arme atomique. Sinon pour le reste je suis d’accord avec vous.

    L’intérêt de l’iran est d’avoir des vues aériennes des bases en Israël rafraichies régulièrement, la position des groupes aéronavals américains sans devoir les mandier aux russes ou aux chinois.

    Le guidage direct d’armes est peu probable (fenêtres de tirs réduites), par contre peut permettre de lancer un missile anti navire, un bon satellite peut aussi permettre d’avoir une cartographie 3D précise, utile pour la programmation du guidage des missiles de croisière à tête conventionnelle ou drones offensifs à pilotage autonome…

    • Tout d’abord je pense que vous ne devriez pas parler de « bombe juive ». La bombe n’a pas religion, elle est celle d’un état (elle serait en l’occurrence une bombe de l’état israélien, prête à être envoyée par un lanceur).
      Ensuite, il est évident que le satellite iranien ne va pas lire à distance les plans d’une bombe israélienne ! Par contre le satellite peut noter une activité inhabituelle (assemblement de personnes, de véhicules) dans un endroit suspecté de pouvoir être une base de lancement israélien (ceci dit les israéliens peuvent aussi faire du sabotage directement sur site en Iran).
      Compte tenu du fait que les Russes sont le constructeur du satellite, en resteront opérateur et que les récepteurs des données recueillies pas le satellite seront aussi bien des Russes que des Iraniens, je doute beaucoup que les Iraniens aient carte blanche pour déclencher des hostilités contre qui que ce soit.
      Vous avez raison, l’intérêt principal du satellite est (outre une activité suspecte comme mentionnée ci-dessus) d’acquérir une excellente cartographie du territoire ennemi.

      • Ok pour la « bombe Israélienne », mais un seul satellite ne permettra pas de surveiller un éventuel préparatif de tir de missile nucléaire. Il faudrait pour cela un réseau de satellites. Et qu’il y ait les bons capteurs dedans. Et même avec ça il est peu probable que ce soit efficace car vu les distances, un simple missile de croisière suffirait, beaucoup plus difficile à détecter ou a différentier d’un missile conventionnel.

        Oui, si le satellite est fabriqué par la Russie, il est probable que les russes puissent en profiter . Est ce qu’il y a d’autres choses négociées en échange, on ne sait pas mais c’est possible.

        Est ce que l’Iran deviens par cela un vassal de la Russie, je ne pense pas. On peut supposer une certaine forme d’alliance, avec soutien à la carte au cas par cas . Ils doivent se tenir au courant de ce qu’ils font mais ça reste une relation complexe . Regardez ce qu’il se passe en Syrie: il semble que la Russie qui contrôle +/- le ciel Syrien laisse passer les avions israéliens pour aller bombarder leurs amis Iraniens (j’écris ça sous réserve mais on le lit souvent) .

        • En effet la Russie semble, de ce que le pekin moyen que je suis peut en voir, conduire une diplomatie « traditionnelle » (elle cherche son intérêt et seulement ça ou presque) et non une diplomatie à « l’occidental moderne » c’est à dire « moralisatrice » qui cherche à « promouvoir la vertu et lutter contre le vice » (on croirait presque le nom officiel de la police religieuse iranienne… et c’est voulu). Ils n’ont pas des « amis » mais des pays avec lesquels pour le moment il est intéressant de collaborer. Enfin, si, ils ont des « amis » : les pays de population slave orthodoxe, russophone de surcroit idéalement.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

Les Gilets verts ont bloqué le pays avec leurs tracteurs en demandant notamment que l'on n’importe pas ce que l’on interdit en France. Leurs revendications ont également porté sur l’accès à l’eau et sur la rigueur des normes environnementales françaises, qui seraient plus exigeantes que celles de leurs concurrents.

C'est la hausse du prix du gazole agricole qui a mis le feu aux poudres, en reproduisant les mêmes effets que la taxe carbone sur tous les carburants, qui avait initié le mouvement des Gilets jaunes cinq ans plus tôt.

Poursuivre la lecture
Ukraine : inquiétude sur le front et à l’arrière

Le mois de février aura vu s’accumuler les mauvaises nouvelles pour l’Ukraine. Son armée est confrontée à une pénurie grave de munitions qui amène désormais en maints endroits de ce front de 1000 km le « rapport de feu » (nombre d’obus tirés par l’ennemi vs nombre d’obus qu’on tire soi-même) à près de dix contre un. Ce qui a contribué, après deux mois d’intenses combats et de pertes élevées, jusqu’à 240 chars russes, selon Kyiv, à la chute d’Adviivka, vendredi dernier. La conquête de cette vill... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles