Ressources et croissance : pourquoi nous ne vivons pas dans un monde fini

Comment avoir une croissance infinie dans un monde aux ressources finies ?

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Ressources et croissance : pourquoi nous ne vivons pas dans un monde fini

Publié le 5 juillet 2022
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Que nous vivions dans un monde aux ressources finies semble une évidence pour tout le monde. De là naissent toutes sortes de théories qui se ramènent essentiellement à la nécessité de ralentir, voire de stopper notre croissance, car comment avoir une croissance infinie dans un monde aux ressources finies ?

Comme souvent, cette évidence n’en est pas une. Elle constitue un cas classique de sophisme, c’est-à-dire de raisonnement faux malgré une apparence de vérité.

Savez-vous ce qu’est le guano ? C’est un amas d’excréments d’oiseaux marins ou de chauves-souris présent sur différentes îles du Pacifique où il s’est accumulé parfois sur plusieurs mètres d’épaisseur. Il constitue un engrais très efficace, en vertu de sa grande concentration en composés azotés. Le guano a été récolté par des compagnies privées ou publiques pendant des siècles. La production des îles Chincha, par exemple, atteignait 600 000 tonnes par an à la fin des années 1860. Ressource essentielle, elle fut l’objet de toutes les convoitises et de toutes les rivalités, menant à la guerre hispano-sud-américaine, aussi connue sous le nom de guerre du guano lorsqu’en 1863, l’Espagne tenta de s’emparer des îles Chincha. Le Pérou et le Chili repoussèrent les forces navales espagnoles. Cependant, à partir de cette période, divers progrès techniques permettent de créer des engrais à partir de sources radicalement différentes, et la demande de guano décline rapidement.

 

Un faux problème

L’histoire du guano offre plusieurs leçons pour mieux comprendre pourquoi la finitude de nos ressources naturelles est un faux problème.

Premièrement, la rareté doit être pensée de façon économique et non physique. Autrement dit, la rareté d’une ressource n’a d’intérêt que du point de vue de son utilité. Le silex est rare et fini, mais qui s’en préoccupe ? Personne, car nous n’utilisons plus de silex depuis des milliers d’années. Ressource rare, stratégique et finie en 1860, le guano n’est plus utilisé quarante ans plus tard. La finitude d’une ressource n’a donc d’importance que si celle-ci est utilisée. Aucune n’a de valeur en elle-même.

Deuxièmement, et de façon très liée au point précédent, la rareté d’une ressource dépend de nos connaissances et de l’état de notre développement technologique. L’exploitation intensive du guano à la fin du XIXe siècle a menacé d’épuiser les ressources, mais cela n’a eu aucune importance car au même moment, d’autres procédés prenaient le relais pour produire des engrais. Aujourd’hui, les stocks sont reconstitués mais personne ne s’en préoccupe : le guano est abondant et n’a aucune valeur. La disponibilité physique d’un bien ne compte que s’il y a une demande pour celui-ci.

Troisièmement, l’innovation déjoue les prévisions. Avant la Première Guerre mondiale, les alliés étaient persuadés que l’Allemagne ne pourrait faire la guerre car ils contrôlaient l’accès au guano. Sans accès au nitrate, l’Allemagne ne serait pas en mesure de produire des explosifs ou de se nourrir. Elle déjoue ces calculs en industrialisant le procédé Haber qui permet de fabriquer de l’ammoniaque à partir de l’azote de l’air. L’innovation totalement imprévue a complètement changé les règles du jeu et a rendu inutile une ressource absolument stratégique quelques années auparavant.

 

Le pétrole, une ressource finie ?

On peut appliquer le raisonnement au pétrole.

Si nous disons que la quantité de pétrole sur la Terre est finie, nous ne faisons qu’affirmer une évidence, qui est cependant une approximation au sens où celui-ci met des millions d’années à être créé naturellement. Un raisonnement de physicien nous amène à penser qu’on va brûler le pétrole et qu’un jour, nous brûlerons notre dernier litre de pétrole. Mais à cela l’économiste répond aussitôt : non, si la demande persiste, et que les réserves disponibles diminuent, le prix va augmenter. Ce prix va diminuer la demande, et la reporter vers des énergies alternatives. Il va rendre plus rentables ces alternatives en incitant les investisseurs et les utilisateurs. Il va modifier les comportements : par exemple, les gens vont rapprocher leur domicile de leur lieu de travail. En retour, la diminution de la demande va faire baisser le prix. Le système va s’adapter. On se souvient que le boom actuel des voitures électriques a démarré en 2007 lorsque le prix du baril a atteint 130 dollars. À l’approche de la limite de réserve, le prix tend vers l’infini, le dernier litre de pétrole ne sera jamais brûlé. Mais cela aura commencé bien avant. Autrement dit, en tant que bien économique, le pétrole est infini. Or c’est la seule considération qui nous intéresse.

 

Et si nous vivions dans un monde infini ?

Le raisonnement peut être généralisé à toutes les matières premières, et pour l’appliquer il n’est pas nécessaire de croire au « tout marché », simplement de reconnaître que le système de prix est un assez bon régulateur, même s’il peut être complété par d’autres approches.

On le voit, l’erreur consiste à voir les ressources comme des biens physiques, alors que ce sont des biens économiques dont la valeur dépend du rapport entre l’offre et la demande, et la rareté des substituts existants. Évaluer leur finitude ne se ramène donc pas à un calcul de type « une baignoire contient 50 litres d’eau, elle se vide au rythme de 20 cl par minute, quand sera-t-elle vide ? »

Dit autrement, il est absolument impossible de prédire cette finitude et ceux qui prétendent le contraire éludent complètement la nature du problème soit par ignorance, soit pour faire avancer un agenda d’ordre politique.

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  • Il y a bien une limite finie à l’exploitation énergétique de notre monde terrestre.
    E=mc2.
    Mais elle n’est pas à portée d’humain.

  • Excellent article. À partager à tous les « scientifiques » qui disent beaucoup d’énormités par manque de connaissance des mécanismes économiques basiques.
    L’un des pires étant Aurélien Barrau : il paraît que c’est une pointure dans son domaine, l’astrophysique, mais c’est fou le nombre d’âneries économiques qu’il déblatère.

    • Aurélien Barrau est effectivement une pointure dans son domaine, alors laissons le dans sa spécialité avec ses équations où il excelle. Le reste relève de « l’anecdote ».

  • Bon hé bien moi, je vais de ce pas passer au bioethanol

    • Ah oui : éthanol de jus de canne bio, sirop de sucre de canne bio, jus d’orange bio, jus de fruits exotiques bio, cannelle bio, …

  • Vous avez partiellement raison même si, en pratique, la finitude se mesure non pas en terme de prix mais en terme de valeur. Si je considère que rien ne peut remplacer le pétrole parce qu’il a des propriétés irremplaçables, je suis prêt à investir plus d’énergie pour en extraire que l’énergie qui me sera fournie par le pétrole trouvé. Ainsi, j’utiliserai le solaire, l’éolien, le nucléaire, n’importe quoi…, pour fournir l’énergie nécessaire à l’extraction. Je serai donc plus guidé par la valeur que me fournit le pétrole que par son prix.
    Le problème que l’on a, et c’est là que les économistes arrivent au bout de leur raisonnement, c’est que ces derniers partent du principe que lorsque le « signal prix » fait que les investissements sont dirigés mécaniquement vers « quelque chose d’autre en remplacement », au moins équivalent à la précédente, afin d’assurer la croissance dont l’économie développée a besoin.
    … et c’est bien le problème que l’on a avec le pétrole… rien n’est aussi pratique, transportable, concentré, facile d’emploi, etc, etc, … que le pétrole.
    Donc, oui, on ne brulera sans doute pas le dernier litre de pétrole mais le problème n’est pas vraiment là…

    • Au 18ème siècle, on pensait la même chose de l’huile de baleine.

    • Oui…, et non ! Si nous trouvons si pratique l’utilisation du pétrole, alors l’inventivité de l’homme fera qu’il créera un substitut qui ne demande pas des millions d’années à s’élaborer. Ce substitut existe déjà sous forme de bio-ethanol ou similaire, dont les procédés de production ne cesse de s’améliorer, afin de ne pas sacrifier nos surfaces de terres agricole. Mais, plus encore, le pétrole, qui nous parait pratique aujourd’hui, sera remplacé par une source d’énergie jugée encore plus pratique, comme l’automobile a remplacé le cheval, substituant l’énergie « foin » par l’énergie « pétrole ». On peut citer de suite l’électricité se substituant au pétrole, et qui apparait déjà comme bien plus pratique que le pétrole sur une multitude d’aspects, même si le problème du stockage n’est pas encore parfaitement résolu.

      • L’électricité, non. Elle a eu un siècle au moins pour remplacer le pétrole là où c’était plus commode, et ce qui reste ne devient pas plus commode par l’effet de subventions publiques, ni du renchérissement du pétrole.
        Si on savait ce qui sera plus commode, on serait riche (enfin, à condition d’être dans un pays où c’est permis).

        • La seule raison qui n’a pas permis à l’électricité de supplanter le pétrole est qu’on ne savait pas la stocker, tout simplement. Et la révolution actuelle est justement sur le stockage. A tout point de vue, l’électricité est, sauf innovation révolutionnaire dans le domaine de l’énergie, le meilleur vecteur d’énergie: en production parce que le nucléaire n’émet pas de CO2, en utilisation dans la mobilité, parce que la mécanique est infiniment plus simple que celle de la voiture thermique, et son rendement énergétique sans comparaison, dans l’industrie parce que… mais c’est déjà le cas (souplesse, rendement, propreté…).

          • Il n’y a pas de révolution sur le stockage. Le jerrycan d’essence demeure à ce jour un ou deux ordres de grandeur, au moins, plus commode et plus économique à fabriquer et à utiliser que son équivalent en stockage électrique (une batterie de Tesla !). Le reste est sans objet, et les arguments « écolo » n’ont aucun rapport avec cette commodité indispensable.

            • Rappel : une moissonneuse-batteuse consomme près de 20l à l’hectare, et traite une cinquantaine d’hectares par jour.

  • On peut également ajouter que nous ne connaissons pas encore les ressources de demain.
    Avant d’inventer le moteur à explosion, le pétrole n’était pas considéré comme une ressource.

  • Très belle analyse. Et j’ajouterai un élément, c’est que même dans l’absolu, notre monde n’est pas fini, et il est vraisemblable que l’humanité aura disparu depuis des milliards d’années avant qu’il ne se consume lors de la disparition du système solaire.
    En effet, tant que l’homme disposera d’énergie, il saura survivre, tout ce que nous consommons n’étant finalement qu’énergie. Et notre consommation énergétique globale est 10000 fois inférieure à celle que nous dispense le soleil.

  • La méthode Coué a de l’avenir sur Contrepoints.

    -3
  • Comme a dit Cheikh Yamani, l’Age de pierre ne s’est pas terminé par manque de pierres

  • Les commentaires sont fermés.

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