Pesticides et sécurité alimentaire : nous allons dans le mur

La Commission européenne a présenté le 22 juin 2022, « des propositions inédites pour réduire de moitié l’utilisation des pesticides d’ici à 2030 ».

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Berlaymont_Commission_Europeenne_2 By: Gérard Colombat - CC BY 2.0

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Pesticides et sécurité alimentaire : nous allons dans le mur

Publié le 30 juin 2022
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Droite dans ses bottes, la Commission européenne a présenté le 22 juin 2022, selon son communiqué de presse, « des propositions inédites pour rétablir la nature en Europe d’ici à 2050 et réduire de moitié l’utilisation des pesticides d’ici à 2030 ».

Rien ni personne n’a arrêté le train qui roule, certes lentement, vers le désastre.

Ni les avertissements sur les conséquences de la stratégie « de la ferme à la table » (des pertes de production agricole et alimentaire à deux chiffres en pourcentage – à notre sens évaluées de manière fort généreuse) ; ni le coup de semonce de la guerre en Ukraine et « l’ouragan de famines » que redoute à juste titre M. Antonion Guterres, Secrétaire Général des Nations Unies, et qui impose à chaque État responsable de soutenir ladite production.

Les propositions devant être examinées et adoptées par le Conseil (les chefs d’États et de gouvernement des États membres) et le Parlement, le désastre est pour le moment limité à l’image hideuse que donne cette Union européenne si prompte à donner des leçons et à s’ériger comme le meilleur élève de la planète.

La surdité et l’aveuglement règnent à Bruxelles au quartier européen. Mais pas que !

 

Pesticides : une proposition irresponsable

Accordons une circonstance atténuante à la Commission : le Pacte Vert – le Green Deal – a été mis sur les rails par le Conseil et le Parlement. La Commission met en application. Mais à lire les propositions et la communication, il est clair que le set a été remporté par les jusqu’au-boutistes d’une écologie bien mal conçue.

Pourtant, un objectif de réduction de 50 % de l’utilisation des pesticides en dix ans a été adopté en France, en grande fanfare dans le cadre du Grenelle de l’Environnement, et présenté en septembre 2008. De perspective d’échec en perspective d’échec pour ce volet du plan (d’autres ont été plus productifs), Écophyto est devenu en juin 2018 Écophyto II+ avec pour « objectif de réduire les usages de produits phytopharmaceutiques de 50 % d’ici 2025 et de sortir du glyphosate d’ici fin 2020 pour les principaux usages et au plus tard d’ici 2022 pour l’ensemble des usages ».

Non seulement l’objectif de 2025 ne sera pas atteint, mais même les fermes démonstrations du réseau Dephy ont montré qu’il est fondamentalement inatteignable.

 

 

 

Évolution des IFT (Indices de Fréquence de Traitement) dans les fermes Dephy viticoles

Même dans ces fermes-modèles, la baisse moyenne de l’IFT n’a été que de 12 % en 8 ans, alors que l’objectif initial d’Écophyto était de 50 % en 10 ans. Huit ans après le lancement du réseau, il y a 4 fois plus de fermes où les IFT ont augmenté depuis le début du plan Écophyto, que de fermes qui ont atteint l’objectif de réduction de 50 % ! Et M. Philippe Stoop écrivait en août 2018 : Des résultats qui devraient à tout le moins relancer le débat sur la faisabilité du plan Écophyto, d’autant plus qu’ils sont conformes aux prévisions du rapport Écophyto R&D de l’INRAE en 2010. (Source du graphique : note de suivi Écophyto 2017).

Personne ne semble avoir (bien) compris au Berlaymont – ni dans les capitales et au Parlement –  que l’expérience française montre que, sauf à détruire des pans entiers de l’agriculture européenne, l’utilisation des produits de protection des plantes (des médicaments des plantes) ne se réduit pas par des diktats.

C’est ce que montrent aussi les statistiques du ministère de l’Agriculture sur les ventes de pesticides (le pic de 2018 et la baisse de 2019 sont dus à des achats anticipés pour cause d’augmentation de la redevance pour pollution diffuse au 1er janvier 2019).

 

Enfin, pour les capitales, il y a sans doute une évolution : les ministres de l’Agriculture réclament du « réalisme ». Les batailles seront rudes, y compris au sein des gouvernements.

Selon son communiqué de presse, la Commission propose de remplacer l’ancienne directive de 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable par un règlement directement applicable dans les États membres avec « des règles claires – interdit de rire – et contraignantes ». Il y a, notamment :

Des objectifs juridiquement contraignants au niveau de l’UE et au niveau national visant à réduire de 50 % d’ici à 2030 l’utilisation des pesticides chimiques et les risques qui y sont associés ainsi que l’utilisation des pesticides les plus dangereux. 

YAKA ! Notez aussi : seulement les pesticides « chimiques ». On trouvera des liens vers divers textes et d’autres labyrinthes ici.

 

« Rétablir la nature en Europe »… rien que ça !

Nous sommes gâtés ! Le plus choquant est peut-être que la Commission parle, à propos de sa proposition de règlement, d’une « proposition de loi sur la restauration de la nature » (les liens vers l’ensemble des textes sont ici). Non, il n’y a pas de lois au niveau communautaire.

L’hystérie est à l’ordre du jour ! Selon le communiqué de presse, 80 % des habitats européens seraient en mauvais état et :

La proposition de loi sur la restauration de la nature constitue une étape essentielle pour éviter l’effondrement des écosystèmes et prévenir les effets les plus graves du changement climatique et de la perte de biodiversité. La restauration, au sein de l’UE, des zones humides, des cours d’eau, des forêts, des prairies, des écosystèmes marins, des milieux urbains et des espèces qu’ils abritent représente un investissement à la fois crucial et rentable dans notre sécurité alimentaire, notre résilience face au changement climatique, notre santé et notre bien-être.

Et dans les obligations qui incomberont/raient aux États membres, il y a par exemple (article 8.1 – notre traduction) :

Les États membres inversent le déclin des populations de pollinisateurs d’ici à 2030 et s’efforcent ensuite d’obtenir une tendance à la hausse des populations de pollinisateurs, mesurée trois ans après 2030, jusqu’à ce que des niveaux satisfaisants soient atteints, conformément à l’article 11, paragraphe 3. 

YAKA !

Les États membres doivent aussi, par exemple, mettre en place « les mesures de restauration nécessaires pour accroître la biodiversité dans les écosystèmes agricoles ». Les résultats seront mesurés – si nous avons bien compris annuellement jusqu’en 2030, puis tous les trois ans – à l’aide de trois indicateurs : un indice des papillons des prairies, le stock de carbone organique dans les sols minéraux des terres cultivées et la part des terres agricoles présentant des caractéristiques paysagères à haute diversité.

YAKA !

Et pour vous illustrer le génie rédactionnel, voici l’article 11.3 :

« Les États membres fixent, au plus tard en 2030, des niveaux satisfaisants pour chacun des indicateurs visés à l’article 8, paragraphe 1, à l’article 9, paragraphe 2, et à l’article 10, paragraphe 2, dans le cadre d’un processus et évaluation ouvert et efficace, fondé sur les données scientifiques les plus récentes et, s’il est disponible, sur le cadre visé à l’article 17, paragraphe 9. »

 

L’Europe, phare du monde…

Le communiqué de presse est clair :

« La proposition met en œuvre un élément clé du pacte vert pour l’Europe : l’engagement pris par l’Europe dans le cadre de la stratégie en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 de montrer l’exemple en ce qui concerne l’inversion de la perte de biodiversité et la restauration de la nature. »

 

Des commissaires enthousiastes

Le communiqué de presse fait aussi de la place pour des déclarations de trois commissaires. C’est à qui décrit le présent le plus sombre et l’avenir le plus radieux :

 

À ce jeu-là, c’est M. Frans Timmermans, vice-président exécutif chargé du pacte vert pour l’Europe, qui décroche le pompon :

Nous, les humains, sommes dépendants de la nature. Pour l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, la nourriture que nous mangeons – pour être en vie. Notre économie repose également sur la nature. Les crises du climat et de la biodiversité menacent la fondation même de notre vie sur Terre. Nous avons accompli des progrès dans la lutte contre la crise climatique et, aujourd’hui, nous ajoutons deux nouvelles lois qui représentent un grand pas en avant pour faire face à l’écocide qui menace. En la restaurant, nous permettons à la nature de continuer à offrir un air propre, de l’eau et de la nourriture, et nous lui permettons de nous protéger des pires conséquences de la crise climatique 

 

M. Virginijus Sinkevičius, commissaire chargé de l’environnement, des océans et de la pêche :

Les Européens le disent clairement : ils veulent que l’UE agisse en faveur de la nature et ramène la nature dans leur vie. Les scientifiques l’affirment clairement: il n’y a pas de temps à perdre, la fenêtre d’action est en train de se fermer. La justification économique est elle aussi claire: chaque euro dépensé pour la restauration nous en rapportera au moins huit en retour. Voilà la raison d’être de cette proposition historique : restaurer la biodiversité et les écosystèmes afin que nous puissions vivre et prospérer, avec la nature.

 

Mme Stella Kyriakides, commissaire à la santé et à la sécurité alimentaire :

Il est temps de changer la façon dont nous utilisons les pesticides dans l’Union. Il en va de la santé de nos citoyens et de la planète. Avec cette proposition, nous répondons aux attentes de la population et nous respectons les engagements que nous avons pris dans le cadre de la stratégie «De la ferme à la table» de construire un système de production alimentaire sain et durable

 

On notera le silence assourdissant de M. Janusz Wojciechowski, le commissaire européen à l’agriculture et au développement rural… Bruxelles est un champ de bataille

 

Mais sont-ils sincères ?

Sur un blog de création récente, M. Jonas Kathage s’est livré à une analyse de la littérature communautaire dans « Pesticides, pollinators and food security » (pesticides, pollinisateurs et sécurité alimentaire).

C’est détaillé, quoique sans doute insuffisant – la loi de Brandolini veut que la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter du baratin est supérieure d’un ordre de grandeur à celle nécessaire pour le produire. Et du baratin, il y en a ! Exemple :

Dans sa foire aux questions sur le règlement « pesticides », la Commission écrit :

« Une utilisation moindre des pesticides ne nuirait-elle pas à la sécurité alimentaire ?

Au contraire

Et, plus loin :

« Les modifications apportées par le règlement proposé seront progressives, ce qui réduira encore leur incidence sur la sécurité alimentaire… »

Le « au contraire » est suivi du mille-feuille argumentatif, vaseux et déjanté, que voici :

« La stratégie De la ferme à la table, la première à spécifier un objectif de réduction de l’utilisation de pesticides chimiques, guide la transition vers des pratiques agricoles plus durables. En réduisant les pesticides, nous protégeons la biodiversité et la santé de nos concitoyens, de la nature et des pollinisateurs, lesquelles sont indispensables à leur tour au maintien de la production et de la sécurité alimentaire sur le long terme. La poursuite du déclin de la biodiversité, des services écosystémiques et des espèces pollinisatrices que nous constatons aujourd’hui est une menace frontale pour la sécurité alimentaire. »

Voici encore un autre exemple du communiqué de presse :

« Ces propositions renforceront la résilience et la sécurité alimentaire de l’Europe à moyen terme, à mesure que les populations de pollinisateurs deviendront plus saines et plus abondantes, que l’érosion des sols diminuera et que la rétention d’eau s’améliorera, et que notre environnement naturel deviendra plus propre et de plus en plus exempt de substances toxiques. Elles réduiront également la dépendance des agriculteurs à l’égard des intrants coûteux, tels que les pesticides chimiques, en soutenant des denrées alimentaires abordables pour tous les citoyens de l’UE. »

 

Du mémorandum d’explication :

« Dans le cadre de cette option privilégiée, les coûts de production par unité augmenteront en raison :

(i) des exigences de déclaration plus strictes et plus détaillées ;

(ii) de la réduction attendue des rendements en raison d’une moindre utilisation des pesticides ;

(iii) de l’inclusion d’un niveau de coût supplémentaire pour les utilisateurs professionnels qui ne recourent pas actuellement à des conseillers. »

La « réduction attendue des rendements », c’est moins de « résilience et [de] sécurité alimentaire ». Des coûts de production augmentés, c’est in fine des prix plus élevés pour les consommateurs, et non des « denrées abordables… »

Mais qu’on se rassure :

En vertu de cette proposition, les États membres pourront fournir une aide au titre de la PAC pour couvrir les coûts supportés par les agriculteurs pour se conformer à toutes les exigences légales imposées par cette proposition pendant une période de 5 ans. Cela devrait empêcher toute augmentation des prix des denrées alimentaires découlant des nouvelles obligations énoncées dans la présente proposition. 

Si ce n’est donc pas le consommateur qui devra payer, ce sera le contribuable. Faire appel à la Politique Agricole Commune, c’est aussi déshabiller Pierre pour habiller Paul… ou les déshabiller tous les deux puisqu’ils devront tous deux subir les conséquences des propositions.

Et puis cinq ans… de quoi refiler la patate chaude à une nouvelle Commission…

Mais on peut aussi se rassurer avec une autre expression imagée : les carottes sont loin d’être cuites.

 

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  • Purée, la citation de Frans Timmermans est stupéfiante. « […] nous permettons à la nature de continuer à offrir un air propre, de l’eau et de la nourriture ». Non! Si l’air est propre c’est grâce à la technologie qui nous permet de nous déplacer et de nous chauffer en produisant de moins en moins de fumées (et sans crottin de cheval dans nos rues). Si l’eau est propre c’est grâce aux technologies d’adduction d’eau et d’assainissement. La nourriture est le produit du travail des professionnels de l’agro-alimentaire et des technologies agricoles: tracteurs, moissonneuse, semences sélectionnées, produits phytosanitaires (les médicaments des plantes), médicaments vétérinaires, silos à grains, pressoirs, réfrigérateurs, etc. La nature livrée à elle-même ne produit pas grand chose et nous y sommes en compétition avec des insectes, des prédateurs, des maladies et des aléas climatiques en tout genre. La nature est belle et il faut la protéger mais le concept de « mère nature » nourricière est un fantasme littéraire.

  • Et si tous ces beaux esprits renonçaient à se soigner eux-mêmes avec des medicament, et se contentaient de plantes?

    • Il y en a qui ont essayé par exemple Steve Jobbs pour lutter contre son cancer et comme diraient Chevalier et Laspalès « ils ont eu des problèmes »

  • Une evidence macroscopique: La réduction de la Bio-Diversité est moins le fait de « La pollution », les dechets et résidus produit par l’espéce humaine que par le fait que l’homme ne laisse plus assez d’espace aux autres especes.
    Le probléme n’est pas organisationel, il est monstrueusement quantitatif, d’ou lidée d’une fausse solution consistant a faire semblant de ne pas voir et ignorer le reel.

    • Le problème est d’abord qu’il n’y a pas de problème, et que si ça s’ébruitait, ça éradiquerait toute une population de parasites mieux que n’importe quel insecticide.

  • Apparemment, d’après la commission européenne, l’homme n’appartient pas à l’écosystème qu’elle veut sauver.
    Si chacun consommait ses propres légumes, comme je le fais, notre vision serait beaucoup moins utopiste !

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