Pour rappel, l’État de droit repose sur quatre piliers : la sécurité juridique, les droits et libertés fondamentaux, le principe de légalité, la hiérarchie des normes.
De plus, il repose sur deux principes : la séparation des pouvoirs et le rôle du juge comme garant de la légalité.
Un bilan sur l’état d’urgence de 2015 devrait être tiré : il n’a été d’aucune utilité pour lutter contre le terrorisme. De plus, la banalisation des mesures d’urgences est inquiétante pour les libertés publiques. L’état d’urgence devient un outil de gestion du quotidien et de plus, des dispositions matérielles sont inscrites dans le droit commun, banalisant des dispositifs par nature extraordinaires.
Aussi, l’enchevêtrement des polices administratives et judiciaires, avec une police administrative devenant répressive, conduit à porter des atteintes importantes à l’État de droit. Concernant la question du terrorisme, le terroriste, pour reprendre l’expression de Carl Schmitt, est un « sous-marin terrestre », capable de surgir à n’importe quel moment et de frapper n’importe où. Alors, dans ces cas-là, comment un état d’urgence pourrait prévenir contre le terrorisme ? À part mettre tout le monde sous cloche, on voit mal comment des mesures répressives éviteraient de telles atrocités. Pire, ces mesures liberticides frappent les citoyens et non les terroristes.
Ces derniers sont prêts à se faire exploser, alors, à quoi bon prévoir un arsenal juridique liberticide ? Pour reprendre les mots d’Antoine Garapon, l’attentat pose un défi politique, en ce sens qu’il remet en cause « la capacité des démocraties contemporaines à faire de la politique ». À ce jeu-là, l’usage de l’état d’urgence est le contraire de ce qu’il faudrait faire, car par ce dispositif, le monde politique, encore sous la confusion et pris par ses sentiments, refuse de faire de la politique. Par l’état d’urgence, l’État capitule face au terrorisme, au lieu de l’affronter par la réaffirmation des principes démocratiques. Les attentats deviennent le prétexte de l’extension croissante des mesures liberticides, de l’imperium sur les citoyens. Ces derniers, fatigués et encore sous le choc, passent un contrat tacite avec le pouvoir en place, pour accepter une sécurité absolue, sans peur de voir leurs libertés réduites, amenant à l’avènement d’un « hobbésisme sobre ».
Alors, que faire ?
On pourrait tout d’abord faire comme en Allemagne, en répondant aux attentats par l’outil législatif, avec un contrôle très strict du Conseil constitutionnel, afin de protéger l’ordre constitutionnel libéral. Il n’y aurait alors pas besoin d’état d’urgence. Cela permettrait de prendre de la hauteur sur les événements et de préserver au mieux les libertés publiques Mais cela nécessite quelque chose que nous avons perdu : la délibération et son corollaire, la raison.
On pourrait aussi, et c’est la position que défend l’auteur de ces lignes, constitutionnaliser l’état d’urgence. Il convient de préciser ce point. L’auteur de ces lignes ne souhaite pas constitutionnaliser la loi du 3 avril 1955 comme avait voulu le faire François Hollande, et qui aurait conduit à des atteintes très graves pour les libertés publiques. Il convient d’énumérer dans la Constitution les régimes d’exception et inscrire dans un article, que « la Constitution ne peut prévoir d’autres régimes d’exceptions ». Les articles prévoyant les régimes d’exceptions devront renvoyer à des lois organiques, permettant alors un contrôle automatique de la part du Conseil constitutionnel.
Afin de préserver le constitutionnalisme libéral, plusieurs éléments devront être réunis.
En premier lieu, il convient de limiter strictement les différents régimes d’exceptions.
En second lieu, il convient de limiter dans le temps chaque procédure d’exception. Dès que la menace cesse, le régime d’exception doit cesser, d’où un contrôle très poussé de la part d’une Cour constitutionnelle.
En troisième lieu, il faut que le régime d’exception soit mené par un tiers, un commissaire pour reprendre Jean Bodin. Ce tiers doit être désigné par la Constitution et ne peut être ni le Président ou le Premier ministre.
Enfin, il convient de réhabiliter la responsabilité politique du commissaire, et de manière subsidiaire de prévoir sa responsabilité pénale, en permettant la réunion de comités parlementaires pour l’interroger sur le déroulement du régime d’exception. Dans le même temps, il appartiendra à la Cour constitutionnelle de vérifier pour chaque régime d’exception si les conditions d’ouvertures sont toujours réunies. À défaut, elle pourra faire des signalements aux comités parlementaires. Par la constitutionnalisation des régimes d’exception, on permettrait alors de fixer des bornes plus solides et une meilleure protection des libertés garanties par la Constitution.
Cela nécessite aussi de renforcer les organes assurant la garantie juridictionnelle de la Constitution, en transformant le Conseil constitutionnel en véritable Cour constitutionnelle sur le modèle autrichien et en renforçant aussi le contrôle de constitutionnalité diffus, par les juges de droit commun, notamment pour recevoir les recours déposés par les justiciables pour contester les mesures prises lors des régimes d’exception.
Par la constitutionnalisation des régimes d’exception, on permet aussi de retrouver des débats parlementaires sereins, permettant de faire de la politique et d’assurer les préservations des libertés publiques. Pour rendre compatible l’état d’urgence avec l’État de droit, il convient donc de renforcer ce dernier et d’encadrer très strictement le premier.
Pour préserver l’autorité de l’État face à des situations d’urgences, il convient de se fier aux cadres de l’État de droit et d’en rester dans ses frontières sur lesquelles patrouillera la ou les juridiction(s) constitutionnelle(s).
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