Le mythe du pouvoir d’achat

Les gouvernements auraient, selon ce mythe, le pouvoir magique d’augmenter le pouvoir d’achat des Français.

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porte-monnaie Diana Rosa's K(CC BY-NC-ND 2.0)

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Le mythe du pouvoir d’achat

Publié le 30 mai 2022
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Élections obligent, nos politiques et leurs commentateurs ont inventé un mythe : les gouvernements auraient le pouvoir magique d’augmenter le pouvoir d’achat des Français.

Comment est née cette idée ? Le mystère reste entier pour le moment.

Quoi qu’il en soit, cette faculté économique attribuée en priorité au Président, bien que réfutée timidement par lui-même au cours d’un bref face-à-face télévisé avec un électeur, est acceptée telle quelle par tous les commentateurs que j’ai entendus. Aucun n’a émis le moindre doute sur ce pouvoir véritablement magique. Même l’objection consistant à dire que « si c’était possible, ce serait appliqué depuis longtemps » n’est pas prise en considération.

Mais peut-être faudrait-il d’abord définir ce que l’on entend généralement par pouvoir d’achat. On a, en effet, vu souvent des polémiques naître parce que les interlocuteurs ne s’étaient pas entendus au préalable sur les définitions…

Selon Wikipédia : « Le pouvoir d’achat d’un revenu — par exemple le salaire — c’est la quantité  de biens que ce revenu permet d’obtenir. »

Elle indique clairement qu’en réalité, le pouvoir d’achat c’est simplement un autre mot pour désigner le revenu.

Bien souvent, lorsqu’on veut mettre au menu des discussions une question quelconque, on commence par lui attribuer un nom bien ronflant sous la forme d’un néologisme donnant l’impression qu’il s’agit d’un sujet nouveau, alors qu’en réalité, c’est une question déjà largement connue qui est présentée.

En effet, qu’aurait donné « la question du revenu » ? Certainement pas grand-chose. Il n’y a pas, dans ces simples termes, l’étincelle qui fait le buzz. Alors que « la question du pouvoir d’achat », c’est déjà tout un programme. Il y a pouvoir au sens de potentiel. Et aussi achat, qui donne des envies de shopping, et suggère la malversation, ce qui est important pour voir monter la température de la discussion. On ne peut être qu’en admiration devant le pouvoir du mot nouveau…

 

Le revenu des fonctionnaires

Dans le cadre de ses pouvoirs, le Président peut décider d’enclencher une hausse du point d’indice de tous les fonctionnaires dont le salaire est fixé par ce fameux indice. Mais les sommes nécessaires à cette augmentation seront, bien sûr, intégrées dans le budget rectificatif, ce qui signifie, soit qu’elles feront l’objet d’un nouvel emprunt, et donc sortiront à terme de la poche des contribuables, soit qu’elles proviendront d’un impôt nouveau, et sortiront donc immédiatement de la même poche.

En réalité, dans cette opération de point d’indice, il n’y a donc qu’un transfert d’une poche vers une autre. Les choses sont sous-entendues, et donc souvent malentendues, mais cela signifie très précisément que l’augmentation du pouvoir d’achat des fonctionnaires par augmentation du point d’indice ne peut se faire qu’en prélevant l’argent correspondant dans la poche de certains contribuables non fonctionnaires, ce qui revient évidemment à diminuer leur pouvoir d’achat.

 

Le « quoi qu’il en coûte »

Mais je vous trompe peut-être un peu en suggérant que le Président ne dispose pas du pouvoir réel d’augmenter le revenu des Français. En réalité, il peut aussi, par l’opération dite du « quoi qu’il en coûte », augmenter le nombre qui représente le revenu de certains ménages français. Cet intéressant procédé d’augmentation s’apparente à un autre procédé, à savoir la « monnaie hélicoptère ». Ce dernier consiste à faire bénéficier certains ménages d’un chèque d’un montant ayant un certain effet sans qu’il soit cependant trop élevé pour ne pas trop obérer les finances nationales. On la nomme monnaie hélicoptère parce qu’elle est comparable à l’opération consistant à distribuer à la population des paquets de billets de banque fraichement imprimés.

Le mot chèque est ici employé pour l’image, mais pour être exact, il s’agit plutôt de virements.

Pour pouvoir faire face à toutes les dépenses, y compris les dépenses non budgétées comme cette dernière, c’est l’agence France Trésor qui a la charge d’emprunter en permanence les fonds nécessaires.

Dans le cas présent, l’augmentation de la quantité d’euros émis ou empruntés par l’État viendra malheureusement diminuer la valeur (le pouvoir d’achat) de l’euro : c’est le phénomène qu’on appelle de l’inflation car cet argent magique mis en circulation ne correspond à la création d’aucun bien ni service. Le nombre qui représente le montant du revenu des heureux bénéficiaires sera bien augmenté, mais les prix à la consommation aussi, puisque le nombre d’euros en circulation aura augmenté 1. Et l’augmentation des prix constituera probablement une raison suffisante pour augmenter les salaires que d’aucun voudraient d’ailleurs voir indexés sur les prix. Ainsi, tout sera en place pour l’installation d’une inflation significative et durable.

Il est important de noter cependant que l’augmentation générale des prix provoquée par une création monétaire exagérée n’intervient, par expérience, que plusieurs années après cet afflux de monnaie – plus qu’un quinquennat donc – si vous voyez où je veux en venir.

 

Le PIB et le RNB

La production nationale, ou Produit Intérieur Brut est constituée par la somme des productions de chaque Français. Celle-ci peut être constituée par des biens tangibles (par exemple, un agriculteur produit des pommes de terre), ou par des services (le plombier répare une fuite, le commerçant met certains objets ou services à votre disposition, l’artiste vous réjouit au spectacle de ses œuvres).

Il existe un autre indicateur économique que l’on calcule à partir du PIB : c’est précisément le Revenu National Brut (RNB) 2 qui peut être considéré comme la somme de tous les revenus des Français. Il est calculé par l’INSEE à partir du PIB, et les deux indicateurs sont reliés par la formule suivante :

RNB = PIB + revenus nets reçus de l’étranger.

Par exemple, en 2015 en France, le RNB valait 2216 milliards d’euros contre 2181 milliards d’euros pour le PIB. La différence entre les deux indicateurs provient essentiellement du revenu des travailleurs frontaliers.

Comme les revenus nets reçus de l’étranger peuvent être considérés comme indépendants du PIB, il s’ensuit que les variations du RNB suivent les variations du PIB. Donc, si on augmente le PIB, le RNB se trouve augmenté d’autant, à condition toutefois de ne pas toucher au reste.

L’égalité et la remarque précédente nous permettent d’inférer une importante propriété : pour augmenter les revenus, il faut et il suffit d’augmenter la production ; et inversement, bien sûr.

Rappelons cependant que le gouvernement et les politiques en général ne produisent rien et sont donc incapables de modifier directement le montant de la production française. Mais ils peuvent mettre en place des mesures qui inciteront les Français à modifier leur production.

Lorsque la production nationale a été diminuée en passant le temps de travail hebdomadaire de 38 à 35 heures, le RNB a été du même coup diminué globalement et donc le revenu des Français, ce qui n’était peut-être pas l’objectif premier des défenseurs de cette mesure.

 

En conclusion

Pour le gouvernement, il existe trois moyens pour augmenter le pouvoir d’achat des Français :

Procédé 1

Prendre dans la poche de certains (ceux qui ne peuvent pas contester pour diverses raisons), pour verser dans la poche des autres (ceux qui manifestent ou qui occupent les ronds-points).

Procédé 2

Appliquer le « quoi qu’il en coûte » qui revient à augmenter le montant des revenus, mais aussi celui des prix, et qui s’appelle l’inflation3.

Procédé 3

Augmenter la production en augmentant, par exemple, le temps de travail, mais sans toucher au montant des salaires.

 

Quel procédé parmi ces trois sera choisi par le gouvernement français, et introduit dans la (lourde) Loi pouvoir d’achat en préparation ?

 

  1. La corrélation entre l’inflation et la masse monétaire s’observe bien si l’on prend comme masse monétaire l’agrégat comprenant le long terme appelé M3.
  2. Le RNB est un indicateur important au niveau européen, car il constitue la base du calcul de la contribution de chaque pays au budget commun.
  3. Avant l’euro, les gouvernements avaient la possibilité largement utilisée de contribuer à l’inflation nationale en décidant une dévaluation du franc, c’est-à-dire en diminuant la parité du franc par rapport aux autres monnaies. Ce pouvoir est confié aujourd’hui à l’eurosystème, mais plusieurs politiques voudraient le récupérer.
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Créer un compte Tous les commentaires (14)
  • Il me semble tout de même qu’un gouvernement éclairé pourrait en cinq ans contribuer à protéger le « pouvoir d’achat » en faisant le contraire de ce qu’il préconise jusqu’ici (procédé1 ci-dessus). Il suffit d’inverser cette manie de redistribution (déshabiller Richard pour habiller Cosette) qui à terme appauvrit tout le monde.
    On peut promettre de piller pour être élu à condition d’y renoncer ensuite.

  • La « croissance » française est financée par la dette qui cette année va s’accroître de 180 milliards
    En fait année après année la France s’appauvrit, ce qui correspond à sa déindustrialisation depuis 20 ans.
    Elle va subir fin 2022 une dette de 3000 milliards , dont PERSONNE n’est capable de dire ce que l’on va en faire. Faire croire aux Français qu’une loi va corriger 20 ans de politiques absurdes : euro, 35 heures, gaspillages d’argent public délirants, cassage de l’industrie automobile, politique énergétique suicidaire, « écologisme » stupide, et maintenant sanctions auto destructrices, nous prépare des lendemains inquiétants
    où il s’agira surtout de survivre .

  • Le pouvoir d’achat : la rengaine des médias depuis plus de 8 mois alors que ce n’ était pas le sujet prioritaire ! Et depuis, la guerre en UK pour en remettre une couche sur ce pouvoir d’achat. Mais il n’ y a plus de pognon, faut se serrer la ceinture et/ou bosser plus pour les une et/ou les autres.

  • Pouvoir d’achat et revenu ne sont pas des synonymes. Le « pouvoir d’achat » découle du revenu, déduction faite des dépenses contraintes. L’Etat ne peut pas augmenter les revenus, mais peut réduire les dépenses contraintes, en réduisant son train de vie, permettant la baisse des divers impôts et taxes.
    Bien sûr, ce n’est pas ce qui est proposé. L’Etat préfère que pouvoir d’achat et revenu soient des synonymes, ce qui lui permet d’ordonner aux « entreprises qui le peuvent » d’augmenter les revenus de leurs salariés. Cette augmentation des revenus entraînera d’ailleurs une hausse des recettes de l’Etat, l’impôt étant calculé sur le revenu et les principales taxes (TVA) sur les achats. L’intérêt de l’Etat est donc que les revenus augmentent et que les gens dépensent.
    Il intervient d’ailleurs dans ce sens, je repense à la loi qui limite les promotions des grandes surfaces : les produits sont donc de facto plus chers. Maintenant, c’est au retour gratuit des achats par correspondance que l’état va s’attaquer : ben voyons, gratuit = pas de TVA payée, pas bon, ça.
    Intervenir en réduisant le budget de l’Etat, en revanche, est bien sûr impossible.

    • Vous comptez le champagne et ma piscine dans les dépenses contraintes que je dois déduire de mon revenu pour enfin connaître mon pouvoir d’achat ?
      Je paye tout cela avec mes revenus, le pouvoir d’achat c’est un mythe on vous dit.

      • Je ne dis pas qu’à revenu constant on pourra acheter la même quantité de biens à des époques différentes.

      • Champagne et piscine sont-ils des dépenses contraintes ? Toutes les charges sociales en revanche le sont, vous n’avez pas le choix et c’est un pourcentage de votre revenu. Que l’état vous laisse gérer vos couvertures sociales auprès des opérateurs privés de votre choix, et, à revenu constant, vous aurez davantage de « pouvoir d’achat ». Celui qui, aujourd’hui, ne peut pas se payer le champagne, le pourra, à revenu pourtant constant.

  • Je vous remercie pour ce rappel très condensé de macroéconomie de Bac ES…Ou comment la contraction des idées à outrance en fait perdre le sens, et l’essence, au service d’une idéologie d’exploitation du salarié.

    Je vous cite « Pour augmenter le PIB il faut travailler plus et plus longtemps ». Euh….non en fait… sauf si l’on raisonne bêtement à productivité horaire constante, ce qui est peu probable du fait de l’automatisation sans fin des processus industriels (la productivité par heure travaillée en parité de pouvoir d’achat est passée de 20 à 50 euros de 1970 à 2015).
    Les gains de pouvoir d’achat faramineux qu’ont connus la génération des « boomers » s’explique au moins en (grande) partie par :
    – l’endettement, à partir des années 70 (par un curieux hasard le patrimoine des retraités Français correspond peu ou prou à la dette publique française)
    – l’exploitation outrancière des ressources naturelles dans leur phase d’exploitation la plus rentable
    – l’exploitation des pays en développement et/ou sous-développés
    – la mécanisation pour automatisation des processus de production (ces gains de productivité ayant été convertis dans un premier temps en réduction du temps de travail, puis dans un second temps vers une accumulation du capital pour les détenteurs des moyens de production).

    En résumé, « ceux qui tiennent les rond points » comme vous le dites avec mépris et condescendance peuvent bien travailler toujours plus pour augmenter le PIB, cela n’augmentera pas leur pouvoir d’achat pour autant car les gains de production s’évaporeront encore et toujours vers les détenteurs des moyens de production, vers les détenteurs des moyens de financement.
    Salariés, soyez plus productifs de 10% et j’augmenterai votre salaire de 2%, rémunèrerai mon outil de production de 4%, les actionnaires qui ont permis cela de 4%, et maintiendrai l’inflation en dessous de 3%, promis.

    -1
    • Ah, la rémunération de l’outil de production, qui lui permet d’emmener ses gosses à Disneyland à Noël… Le bac ES n’est plus ce qu’il était.

      • Je précise, pour les adorateurs de la CGT, que si une société ne rémunère pas son outil de production, c’est-à-dire n’amortit pas ses investissements dans cet outil et ne prépare pas son renouvellement pour faire face à la concurrence, elle fait faillite. Je précise aussi que si les apporteurs de fonds ne sont pas rémunérés par des plus-values, distribuées en dividendes ou non, ils gardent leurs fonds pour des sociétés plus raisonnables…

        • – L’adorateur de la CGT que je ne suis pas vous remercie pour votre condescendance et votre mépris
          – Visiblement vous croyez fermement à la théorie du grand ruissellement, dont les preuves empiriques sont au moins aussi solides que pour la théorie platiste
          – C’est toute la différence avec un capitalisme entrepreneurial d' »avant »(qui fonctionnait comme vous le décrivez, et plutôt bien d’ailleurs), et le capitalisme financier « de maintenant » qui pilote les multinationales (et qui fonctionne plutôt bien pour ceux qui ont, mais qui rémunère et valorise un peu moins nous dirons ceux qui « font »).

  • Avatar
    jacques lemiere
    8 juin 2022 at 7 h 41 min

    augmenter le pouvoir d’acahat….. de leur électorat…

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