À peine Elon Musk avait-il annoncé que son offre de racheter Twitter pour 44 milliards de dollars avait été acceptée qu’il s’est trouvé nombre d’obligeants commentateurs pour expliquer à quel point la somme était indécente et comment il aurait dû la dépenser s’il était vraiment sérieux et moralement engagé pour l’avenir de l’humanité et de la planète. Ajoutez à cela son intention d’élargir la liberté d’expression sur le réseau social et la conclusion s’impose d’elle-même : cet homme n’a qu’irrévérence pour les sensibilités légitimes de ses semblables.
La somme en jeu, astronomique, associée à la personnalité clivante et passionnée de celui qui, tel un héros moderne de Jules Verne, a décidé presque sur un coup de tête de l’investir dans une nouvelle aventure entrepreneuriale, fait évidemment fantasmer. Mais plus fondamentalement, les grincements de dents agacés qu’elle provoque reflètent les éternels débats entre socialistes et libéraux sur la propriété, la production et la redistribution des richesses, bien au-delà du seul cas d’Elon Musk.
Quoique acquis le plus légalement du monde par notre travail, notre argent nous appartient-il ? Pouvons-nous en disposer comme nous le souhaitons ? Eh bien, pas vraiment, pas totalement, estiment les sphères socialisantes, car il importe de le dépenser conformément à des objectifs souhaitables pour le bien commun de la société. Elon Musk rachète Twitter ? Que ne consacre-t-il pas plutôt ses abondants deniers à l’éradication de l’extrême pauvreté ou à la transition climatique ! Que n’augmente-t-il pas les salaires de ses salariés ! Que ne finance-t-il pas l’hôpital, le grand âge ou le théâtre de rue !
Et même, à supposer qu’il devienne mécène de telle ou telle activité à haute valeur sociale et morale, comment accepter qu’il se donne la stature d’un généreux donateur et exige en outre d’avoir son mot à dire sur la façon dont l’argent sera dépensé, comme il l’a fait récemment vis-à-vis du Programme alimentaire mondial des Nations Unies à propos de la faim dans le monde ?
Impossible. Pour éviter toute distraction par rapport aux fins sociales définies par les partis politiques et les gouvernements les plus convaincus de la qualité supérieure de leurs propres objectifs, et pour éviter toute ingérence déplacée dans l’utilisation des fonds, le mieux reste encore de prélever de l’impôt, beaucoup d’impôt, sur tout, partout, et de réaffecter les sommes conformément au plan gouvernemental sans interférences citoyennes malvenues.
Dans la vision parfaitement autoritaire des sphères socialisantes, dans leur esprit enragé de collectivisme, tout se passe comme si l’homme venait au monde non pas avec des droits naturels comme la liberté, la propriété et la sécurité, mais avec un devoir naturel qui primerait sur tout le reste, celui de tenir tout son revenu et tout son patrimoine à la disposition discrétionnaire d’un État omnipotent, omniscient et omniprésent. Un État qui est également gaspilleur et inefficace et qui ne rend jamais de comptes.
Tout ceci reposant sur l’idée que laisser aux gens le choix de disposer entièrement de leurs ressources reviendrait à leur permettre d’échapper aux principes qui guident les actions d’un tel État. Principes évidemment posés comme étant les seuls à même de faire descendre le beau et le bien sur la Terre.
En France, nous sommes particulièrement bien placés pour savoir que notre argent part dans des dépenses essentielles, santé, éducation et retraite notamment, sans que nous ayons notre mot à dire sur la qualité de ce que nous recevons en retour. D’où un énorme déficit de prospérité et de liberté. Mais, Madame MP, m’objecterez-vous, ce « mot à dire », nous le disons lors des élections ; et puis la Cour des comptes veille.
Eh bien justement, la Cour des comptes souligne assez régulièrement à quel point le « pognon de dingue » mis à la disposition du gouvernement est gaspillé par la mauvaise gestion chronique qui affecte immanquablement toutes les politiques étatiques décidées idéologiquement (quelques exemples ici, ici et là). Pognon de dingue en effet, puisqu’on parle de prélèvements obligatoires annuels de 1100 milliards d’euros soit 44,5 % du PIB, plus un stock de dette publique en pleine croissance de 2800 milliards d’euros soit 113 % du PIB à fin 2021.
Quant aux élections, oui, elles semblent confirmer l’attrait d’une majorité de Français pour un État devenu décideur principal de nos vies.
Et pourtant !
Prenons nos salaires, éléments indiscutablement très utiles à la conduite de nos vies. Une fois défalqué l’impôt destiné à financer les fonctions régaliennes de l’État, lesquelles ont pour mission de protéger les personnes et leurs propriétés, nous devrions pouvoir en jouir à notre guise. Or c’est très loin d’être le cas. Le régalien est devenu l’épaisseur du trait (60 euros sur 1000 euros) par rapport à tout ce que l’État dépense et nous impose de financer.
Nous sommes ainsi confrontés à titre personnel à un volume de dépenses obligatoires pour lesquelles nous n’avons aucun choix :
– Les cotisations sociales payées par l’employeur sur notre salaire complet financent notre santé et notre prévoyance via le monopole de la sécurité sociale : pas de choix, pas de liberté.
– Hors régalien, les impôts que nous payons financent en premier lieu l’instruction de nos enfants via le monopole de l’Éducation nationale et sa carte scolaire : pas de choix, pas de liberté (ou si peu).
– Ils financent aussi l’information, la presse et la culture. Qu’on le veuille ou non, nous payons pour des journaux, des expositions ou des films que nous n’achèterions, ne visiterions ou ne regarderions jamais, serions-nous libres d’affecter l’intégralité de nos revenus à ce qui nous intéresse vraiment : pas de choix, pas de liberté.
– Ils tiennent à bout de bras le monopole de la SNCF, passage obligé de nos « mobilités » ferroviaires. L’ouverture à la concurrence augmente la palette de prestataires mais ne supprime nullement notre obligation d’éponger les pertes.
– Ils permettent d’imposer le bio dans les cantines au détriment de l’agriculture conventionnelle et les énergies renouvelables au détriment du nucléaire, au nom d’un principe de transition écologique coûteux dont la cohérence ne saute pas aux yeux.
– Ils se substituent enfin à notre empathie personnelle, à nos capacités de partage et à notre sens de l’entre-aide. La « solidarité » est organisée d’en haut et à grands frais selon les fins sociales décidées par l’État : là encore, pas de choix, pas de liberté.
Obligation d’en passer par les monopoles d’État, limitation idéologique des choix, pas de possibilité réelle de contrôle de ce que deviennent les fonds abondamment prélevés malgré un bel empilement de rapports peu flatteurs de la Cour des comptes – voilà la France d’aujourd’hui.
Le projet libéral est l’exact contraire de tout ceci.
Posant pour limite infranchissable les atteintes aux biens et aux personnes, il considère d’abord que les individus sont les mieux à même de faire leur propre recherche du bonheur.
Il considère ensuite que la meilleure volonté étatique du monde ne parviendra jamais à prendre en compte l’infinie diversité des individus et l’infinie diversité de leurs aspirations.
Il considère enfin qu’une planification étatique trop étroite et trop fondée sur une idéologie qui s’autoproclame représentative du bien, risque de passer à côté d’idées et de solutions éminemment utiles au développement humain ; la répulsion envers le nucléaire civil répandue par les écologistes en est un exemple particulièrement frappant.
Loin de chercher à aiguiller les citoyens de force dans tel ou tel constructivisme prédéterminé et immuable, le projet libéral se donne pour objectifs de faire vivre un débat pluraliste nourri sur les grands sujets qui animent la société (environnement, santé, retraite, éducation, etc.), d’encourager les initiatives entrepreneuriales et associatives et de restituer aux citoyens la faculté de décider pour eux-mêmes et leur famille.
Notre vie, notre responsabilité, notre argent, notre choix, notre liberté.
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Joli cri du cœur, bravo!
Étonnons nous après cela que nombre de travailleurs pauvres aient recours au travail au noir tout en exploitant à fond les failles du système socialiste!
Moi ça m’évoque furieusement l’URSS avant la chute du mur ( bien que ça ne soit guère mieux maintenant!).
L’Etat fait semblant de te payer, fais donc semblant de travailler!
Le corollaire est l’établissement, peu à peu, d’une économie parallèle propre à faire de l’évitement (Le « black », le troc, l’échange de travaux…).
Et pour l’éviter une propension de plus en plus forte de l’état à tout contrôler, bien sur au détriment des libertés de plus en plus élémentaires.
Merci pour ces beaux rappels déprimants.
Je suis toujours choquée de voir que tous les revenus sont taxés, sauf à être en-dessous d’un minimum, ce qui montre bien que l’état a besoin de tous les sous possibles, au lieu de réduire ses dépenses. Par tous les revenus, je veux dire tous les revenus des personnes imposables, depuis la plus petite prime (hors pouvoir d’achat née avec le Covid, merci Monseigneur) jusqu’aux ventes de nos objets d’occasion si on a le malheur d’en vendre trop. Sur les successions, on atteint l’infâme.
La logique serait que l’état calcule un budget responsable et qu’en face il détermine le dû de chaque foyer en fonction de ses revenus et de son recours aux services dispensés par l’état à hauteur de ce budget et point. Bien sûr, ce n’est absolument pas libéral, mais ça en prendrait vaguement le chemin.
Je suis également choquée de voir qu’on transforme de plus en plus nos revenus en « chèques » divers, affectés à des dépenses précises. Un exemple ancien : les tickets resto. L’employeur est poussé à transformer une partie des revenus versés en tickets resto, lesquels sont réglementés. Une partie des revenus de ceux qui en ont est donc réglementée ! Et ça s’amplifie avec la multiplication des chèques.