Les liaisons funestes de l’Église orthodoxe et de l’État russe

Pour pénétrer la politique russe, il faut aussi se référer à la religion orthodoxe qui lie le cœur de la nation russe.

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Procession orthodoxe à Jérusalem en 2011 (Crédits : Beautiful Faces of Palestine, licence CC-BY-NC-ND 2.0), via Flickr.

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Les liaisons funestes de l’Église orthodoxe et de l’État russe

Publié le 24 avril 2022
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Un article de l’IREF Europe

Pour comprendre la guerre d’Ukraine, il faut prendre en compte les différences de mentalité. Les Russes ne raisonnent pas comme les Occidentaux. Après avoir abattu le communisme soviétique, une frange de jeunes Russes impatients ont cherché à prendre leur revanche sur le monde en s’enrichissant au-delà de l’outrecuidance.

Mais depuis que ces Slaves orientaux ont construit et étendu leur nation, ils l’ont fait avec le dédain du peuple et une certaine propension à l’arrogance et à la violence.

Les Russes ne comptent pas leurs morts

Pour Giulano da Empoli  :

« On n’échappe pas à son destin,et celui des Russes est d’être gouverné par les descendants d’Ivan le Terrible ». (Le mage du Kremlin, Nrf, 2022)

Pour les Russes, la sphère du pouvoir prévaut toujours sur celle des affaires privées. Ils ont une vision holistique et autocratique du pouvoir, une maladie commune semble-t-il à beaucoup de terres incommensurables et à de nombreux peuples vivant aux bords des très grands fleuves qu’il fallait dompter. Ils sont à ces différents titres encore très éloignés de la nouvelle civilisation occidentale qui défend la démocratie mais voudrait faire la guerre sans avoir de morts. Les Russes ne comptent pas leurs morts.

Pour pénétrer la politique russe, il faut aussi se référer à la religion orthodoxe qui lie le cœur de la nation russe. À l’inverse de l’Église catholique romaine soumise à l’autorité papale, les Eglises orthodoxes se revendiquent comme autonomes sur les territoires où elles vivent. Certes, l’Église orthodoxe prétend ne former qu’un seul corps dont le chef serait le Christ, mais autour des patriarcats, dont les principaux sont ceux de Constantinople et de Moscou, il existe des Églises autocéphales et des Églises autonomes, notamment en Ukraine. Ces Églises orthodoxes ont conservé l’esprit dans lequel elles étaient nées sous l’Empire romain ou sur ses cendres.

Certes, l’empereur Constantin (272-337) se montra tolérant à l’égard du christianisme sans vouloir en faire une religion d’État. Mais ses fils revendiquèrent la direction de l’Église et, contre l’avis de nombreux évêques, en firent un instrument de pouvoir. Après la chute de Rome, en 476, l’Empire poursuivit sa vie pendant encore un millénaire en Orient depuis Constantinople dans l’union étroite du sceptre et du goupillon. En Occident, dans les restes éparpillés de l’Empire, l’Église de Rome ne cessa jamais de résister à l’emprise du pouvoir temporel pour parvenir à s’en dégager au XIe siècle par la force du pape Grégoire VII obligeant, à Canossa, l’empereur à respecter ses prérogatives.

Les événements pourraient pousser les Russes à comprendre l’intérêt, voire l’urgence, de séparer plus définitivement l’Église et l’État

Cette séparation de l’Église et de l’État fut une grande victoire de la liberté en évitant la confusion des pouvoirs qui incline toujours au despotisme. Comme je l’ai écrit dans mon dernier ouvrage (Civilisation et libre arbitre), elle a sans doute permis à l’idée de laïcité, étrangère aux mondes antiques, de naître et de se glisser subrepticement dans l’Histoire. En dissociant la justice de Dieu de celle de César, la réforme grégorienne laissait sa place à la transcendance et à la résistance, mais aussi à la politique malgré la religion ou à la religion au-delà de la politique ; elle favorisait l’équilibre des ambitions et la tempérance. Elle évitait que l’autorité soit monolithique, elle érigeait chaque pouvoir en protecteur des individus contre les risques d’usurpation de l’autre, elle permettait qu’en droit, il y ait des forces de critique réciproque pour équilibrer la société et lui éviter de tendre aux extrêmes.

Mais cette garantie institutionnelle n’était acquise qu’en Occident tandis que l’empire d’Orient continuait la tradition romaine qui explique sans doute encore la proximité de l’Église orthodoxe et des princes de ce monde, quels qu’ils soient, notamment les complaisances que l’orthodoxie eut parfois avec le pouvoir soviétique et aujourd’hui la connivence avec Poutine du patriarche Cyrille reprenant les arguments du Kremlin pour soutenir que le conflit ukrainien était « un élément de la stratégie géopolitique à grande échelle visant, avant tout, à affaiblir la Russie ».

La guerre d’Ukraine illustre ainsi l’antinomie des deux catholicismes dans leur rapport au pouvoir. Mais elle fera peut-être évoluer les conceptions de l’orthodoxie au sein de laquelle des voix s’élèvent en Russie même contre le patriarche. Ainsi, cette lettre ouverte, début mars, signée par plus de 350 prêtres russes orthodoxes pour demander « la fin de la guerre fratricide » et un « processus de réconciliation ». Ainsi également la révolte contre le patriarche de Moscou de nombreux orthodoxes ukrainiens qui travaillent à la défense ardente de leur pays.

Les événements pourraient alors pousser les Russes et plus généralement les Slaves, souvent orthodoxes, à comprendre l’intérêt, voire l’urgence, de séparer plus définitivement l’Église et l’État. Ce serait un pas de géant vers l’idée que le pouvoir politique lui-même doit être divisé pour s’empêcher d’être despotique, vers l’État de droit et un recentrage de leur mentalité au profit de l’Occident.

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  • Que connaît-il à la Russie ce « brave » avocat? Rien, visiblement rien?

    • @petilu

      J’ignore quel est le degré de connaissance de la Russie (Histoire, civilisation, langue, etc.) de M. Delsol.
      En tout cas, pour autant qu’on puisse en juger sur la base d’une solide culture générale en Histoire et en géopolitique mais sans être spécialiste de la Russie, son article rappelle de manière argumentée des éléments pertinents, que l’on soit d’accord on non avec les conclusions qu’il en tire.
      Surtout, le ton méprisant (« ce « brave » avocat ») que vous vous permettez d’adopter constitue une agression gratuite, d’autant plus que :
      – de votre côté, vous n’indiquez pas si vous êtes un spécialiste de ces questions ;
      – surtout, vous n’apportez ni information ni argument montrant que telle ou telle assertion contenue dans cet article est erronée.
      Bref, vous crachez votre bile sans contribuer au débat sur une question qui le mérite particulièrement, vue sa complexité. Cela revient, en quelques mots, non seulement à agresser gratuitement l’auteur de l’article mais encore à mépriser les lecteurs, apparemment indignes de bénéficier de vos « lumières ».
      Un forum digne de ce nom sert à confronter les idées, y compris en exprimant des désaccords et non à faire le malin avec une remarque aussi petite sur la forme que sur le fond. En ce sens, le pseudonyme « petilu » vous va bien.
      Lu et réprouvé.

      -1
  • Avatar
    franc.clemente@gmail.com
    24 avril 2022 at 19 h 14 min

    Je suis en accord avec M Delsol ! Ces articles sont le point de depart de discussions sur des sujets d’actualité. Toutefois, cet article n’évoque pas le point de vue des Chrétiens Orthodoxes russes (et aussi des Catholiques ) sur les principes de moralité auxquels ils se rattachent. C’est pourquoi il ne me paraît pas étonnant que les orthodoxes russes soutiennent Poutine . L’Occident est en train d’introduire certains principes que l’Eglise Othodoxe russe n’accepte pas. Contrairement à l’Ukraine, où le LGBT s’introduit petit à petit.

  • Les commentaires sont fermés.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l'information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

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