Ukraine : le manichéisme contre le réalisme géopolitique

Dans le conflit en Ukraine, on assiste au retour du manichéisme plutôt qu’à du réalisme géopolitique.

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Ukraine : le manichéisme contre le réalisme géopolitique

Publié le 11 avril 2022
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Dans les années 1930, a-t-on négocié avec Hitler ? Si la réponse la plus évidente, la moins simpliste et donc par définition la moins séduisante sera l’affirmative pour ceux qui se souviennent des funestes accords de Munich, la pique adressée cette semaine par le Premier ministre polonais Mateuz Morawiecki à un président français qui ne s’est pas privé de répondre avec une saillie qui n’honore pas sa fonction montre l’incroyable manichéisme dans lequel se noie désormais la géopolitique mondiale relativement au conflit russo-ukrainien.

Un manichéisme totalement contraire à l’esprit même des relations internationales.

 

Un conflit anticipable

Si la perspective d’une nouvelle guerre de haute intensité, selon l’expression désormais consacrée, sur le sol européen est apparue baroque pour beaucoup, peu ont su l’anticiper, à la manière de Philippe Fabry dont les analyses ont pris une nouvelle ampleur depuis un mois.

Ce manque d’anticipation oubliait sans doute le cas yougoslave dont nous connaissons encore aujourd’hui des échos tant dans la géopolitique des Balkans que dans la sémantique politique. Malgré un silence assourdissant, le cas kosovar est toujours d’actualité. De même, et particulièrement à droite, les Balkans se disputent avec le Liban la place de modèle prédictif des théoriciens de la partition civilisationnelle.

 

Le retour de l’occidentalo-centrisme

Pourtant, la guerre est là, et si sa partie la plus médiatisée a seulement un moins, la guerre russo-ukrainienne dure depuis presque 8 ans depuis l’annexion de la Crimée par Moscou et la guerre au Donbass.

Dans ce conflit, le manichéisme international semble avoir pris le pas sur le réalisme propre au terrain géopolitique.

Ainsi, l’unanimité des États membres de l’Organisation des Nations Unies sur ce conflit semble avoir été particulièrement rapide. Votées le 2 mars, les sanctions contre la Russie ont réuni 141 États sur 193. Une majorité de façade, puisque ce vote a réveillé les vieilles notions de tiers monde et de pays non-alignés.

L’abstentionnisme a surtout été le fait de pays africains et asiatiques.

Les pays du Golfe ont ainsi refusé à la fois le deux poids deux mesures des Occidentaux et le risque d’hypothéquer leur avenir diplomatique avec la Russie et la Chine. Cette position se fait particulièrement sentir de la part des Émirats Arabes Unis et de l’Arabie Saoudite.

Du côté indien et turc, on tente une position neutre. Dans le second cas, on note ainsi une condamnation de l’intervention russe, mais un refus des sanctions à son encontre.

Ces pays ont été également animés par une exaspération contre la tentative américaine de réveiller les vieilles lunes d’une Guerre froide terminée depuis plus de 30 ans afin de ressouder un bloc occidental autour d’une hyperpuissance étatsunienne périclitante.

 

Une ONU absente

L’ONU en tant qu’entité s’est montrée aux abonnés absents. Son secrétaire général n’a jamais été aussi évanescent que depuis un mois, la contraignant à se limiter à être ce qu’elle a toujours été : un théâtre civilisé d’enjeux géopolitiques et civilisationnels qui n’ont jamais cessé d’innerver le monde.

Ainsi, ces conflits montrent particulièrement l’état de la diplomatie occidentale et en particulier américaine. Washington tente ainsi de reprendre l’avantage sur la scène internationale après un début de mandat marqué sur ce plan par le fiasco afghan pour le président démocrate. Le conflit russo-ukrainien est l’occasion rêvée pour l’administration Biden de redorer son image en soudant ses alliés du Vieux Continent. Il favorise une forme d’otanisation des États européens. Cette stratégie a pour conséquence notamment le réarmement inédit de Berlin et qui est largement aidée par un manichéisme indolent nourri par les massacres successifs de l’armée russe.

 

Une Russie marginalisée

Dernier acte en date : l’Ukraine a appelé ce mardi à exclure la Russie du Conseil de sécurité de l’ONU, une décision relevant de l’utopie, mais qui, si elle était acceptée, serait un pas vers l’isolement de la Chine, dernière superpuissance non occidentale à être présente au sein de ce Conseil.

Si cette exclusion semble écartée, l’Assemblée générale de l’ONU a voté ce jeudi la suspension de la Russie du Conseil des droits de l’Homme de l’organisation, et ce, sous impulsion des États-Unis.

 

Une Europe émiettée

Cette stratégie binaire met en porte-à-faux une posture européenne fondée sur un avant-gardisme entre les hyperpuissances américaines, chinoises et russes et manifestée notamment en matière environnementale et sociale.

Cette posture internationale semble voler en éclats lorsqu’il s’agit de conflits armés, à l’exception de la position française, saluée en interne y compris par Marine Le Pen.

Pour cause, cette posture est la plus proche de la tradition française d’après-guerre fondée sur l’expurgation de la question idéologique des conflits inter-États.

 

La réalité derrière l’idéologie

À l’heure des réseaux sociaux et de l’information en continu, le recul et la rationalité semblent être devenus des attitudes factieuses.

Pourtant, ce conflit devrait nous inviter plus que jamais à lire et relire Raymond Aron. Ce dernier nous a largement appris à lire l’histoire humaine avec les lunettes de la rationalité. Une rationalité qui ne nie plus la fatalité de la violence comme outil diplomatique, la diversité des formes de la guerre et l’objectif de puissance au cœur de la stratégie internationale des États.

Une telle prise de conscience devrait nous garder des grilles de lectures morales et dogmatiques servant souvent de prétexte pour masquer la réalité brute des instincts primaires des intérêts étatiques.

Puisse le conflit russo-ukrainien nous garder de l’oublier.

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  • Non, ce n’est pas du manichéisme, c’est de la stratégie de haut vol à haut risque pour la domination universelle par les USA, aucune notion de morale de tout cela. cette guerre a été voulue par les USA pour tous les résultats énumérés dans l’article; de ce point de vue c’est pour l’instant une réussite mais la messe n’est pas encore dite: il est toujours possible que l’on s’oriente vers un conflit de longue durée ou gelé et une division en deux du monde, division encore plus hermétique que l’ancien rideau de fer. L’occident risque de se retrouver limité aux ressources américaines et c’est bien insuffisant pour éviter l’effondrement économique.
    L’autre partie risque gros aussi avec un manque de débouché pour son économie, mais aussi pour d’autres problèmes comme la politique zéro covid chinoise pourrait leur exploser à la figure étant donné la souffrance de la population

    • L’Europe est à l’agonie, et malgré tout elle est toujours agenouillée devant les usa , disons plutôt les Anglo saxons… Le but est bien notre totale disparition, et ça marche.. Au pas de l’oie ?
      Les usa vont finir bien seuls…

  • Merci pour votre analyse qui a le grand mérite d’être dépassionnée et lucide.

  • Les commentaires sont fermés.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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