Révision de la Constitution par Marine Le Pen : pas si simple

Le projet de Marine Le Pen d’inscrire dans la Constitution la priorité nationale, par l’utilisation de l’article 11 de la Constitution du 4 octobre 1958 pose des problèmes juridiques.

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Révision de la Constitution par Marine Le Pen : pas si simple

Publié le 21 avril 2022
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Depuis les résultats du premier tour de l’élection présidentielle en date du 10 avril 2022, des critiques, émanant de grands juristes et constitutionnalistes (Dominique Rousseau, Olivier Beaud, Xavier Magnon), visent le projet de Marine Le Pen d’inscrire dans la Constitution la priorité nationale, notamment par l’utilisation de l’article 11 de la Constitution du 4 octobre 1958.

Cet article aura pour objet de montrer comment la révision de la Constitution s’effectue et montrera ensuite l’importance du contrôle juridictionnel dans la procédure référendaire.

L’impossible révision de la Constitution par l’article 11

En cas d’élection, Marine Le Pen prévoit de soumettre aux Français un référendum pour instaurer la préférence nationale, modifiant la Constitution pour y inscrire selon elle, « des dispositions portant sur le statut des étrangers et la nationalité et pour faire prévaloir le droit national sur le droit international ». Le problème est qu’on ne peut réviser la Constitution au travers de l’article 11, mais uniquement par l’article 89. En effet, celui-ci fixe les règles de révision de la Constitution qui ne peut avoir lieu que soit à l’initiative du Président de la République, soit à l’initiative du Parlement.

Dans ce domaine, les deux assemblées parlementaires disposent des mêmes pouvoirs, ce qui implique que le projet ou la proposition de loi constitutionnelle soit voté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat. Le texte est définitivement adopté soit par référendum (procédé utilisé une fois seulement lors de la révision constitutionnelle de 2000 visant à réduire à cinq ans le mandat du Président de la République), soit par un vote à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés des deux chambres du Parlement réunies en Congrès à Versailles.

Ce pouvoir de révision est limité par l’article 89 al 4 notamment quand il est porté atteinte à l’intégrité du territoire, lors de la période de vacance ou d’empêchement du pouvoir ou lorsque les pouvoirs exceptionnels de l’article 16 sont utilisés (décision, 93-312 DC, Maastricht II du 2 septembre 1992) ou encore l’impossibilité de réviser la forme républicaine du gouvernement, bien que cette limite soit avant tout théorique.

Concernant les liens entre le contentieux constitutionnel et la procédure de révision de l’article 89, on peut noter que le Conseil constitutionnel semblait avoir admis la possibilité de contrôler la procédure de révision adoptée par le Congrès sur le fondement de l’article 61 de la Constitution, en évoquant dans la décision pré-citée, « l’existence de limites » à ce pouvoir. Cependant, depuis la décision du 26 mars 2003 (2003-469 DC), le Conseil constitutionnel rejette la possibilité de se prononcer sur les révisions constitutionnelles adoptée à Versailles.

Si la procédure de l’article 89 est dite normale, celle de l’article 11 a entraîné de longs débats juridiques, bien qu’un consensus sur l’impossibilité de l’utiliser pour réviser la Constitution soit en train d’apparaître.

Quand on évoque l’article 11 pour réviser la Constitution, on fait référence à une procédure non prévue par les textes, à une sorte de coutume constitutionnelle instituée à l’occasion du référendum de 1962. Cependant et déjà à l’époque, seule une minorité défendait sa conformité à la Constitution.

La grande majorité des juristes considéraient que son utilisation n’était pas conforme à la Constitution, sauf si l’on en vient à considérer que le chef de l’État dispose d’un pouvoir souverain pour l’interpréter et la modifier à sa guise. La Constitution n’habilite pas à procéder à sa révision au travers de l’article 11, on ne peut pas dire que son usage a acquis une valeur coutumière car seules des règles prévues à cet effet permettent l’habilitation constitutionnelle, conformément à notre tradition constitutionnelle depuis 1791.

De plus, l’article 11 prévoit certains domaines, limitativement énumérés que sont l’organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique et sociale et aux services publics qui y concourent et la ratification d’un traité non contraire à la Constitution mais susceptible d’influencer le fonctionnement des institutions.

On voit donc bien qu’il n’est nullement prévu que la Constitution puisse être révisée par cet article 11. Son utilisation en 1962 et 1969 correspond à ce que Hans Kelsen pouvait désigner par « le cas de l’usurpateur » amenant à une « révolution juridique ».

L’usage du référendum fait l’objet d’un contrôle juridictionnel, évitant tout risque d’abus dans son utilisation.

Un contrôle juridictionnel permettant l’effectivité de l’État de droit

Si dans sa décision du 6 novembre 1962, le Conseil constitutionnel a clos le débat sur la justiciabilité de la loi référendaire en déclarant «qu’aucune des dispositions de la Constitution ni de la loi organique précitée prise en vue de son application ne donne compétence au Conseil constitutionnel pour se prononcer sur la demande susvisée par laquelle le Président du Sénat lui a déféré aux fins d’appréciation de sa conformité à la Constitution le projet de loi adopté par le Peuple français par voie de référendum le 28 octobre 1962 », déclinant sa compétence quant au contrôle de la loi adoptée par référendum, le débat n’est pas clos sur la justiciabilité tant du projet de loi que du décret de convocation.

Le Conseil constitutionnel, gardien de la Constitution, est une institution ayant pour mission d’assurer l’arbitrage entre les pouvoirs publics. Il a naturellement fait évolué sa jurisprudence vers un contrôle plus poussé du référendum, ou du moins des actes préparatoires, contentieux qu’il partage avec le Conseil d’État.

Depuis la décision Hauchemaille (décision n° 2000-21 REF du 25 juillet 2000) confirmée par les décisions « Larroutourou » et « Pasqua », le Conseil constitutionnel a accepté de connaître de recours dirigés contre les actes préparatoires au référendum, alors même que l’article 60 de la Constitution et l’article 46 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ne lui attribuent en principe de compétence que consultative.

Toutefois, cette compétence est en principe exceptionnelle et le Conseil constitutionnel ne peut l’exercer que « dans les cas où l’irrecevabilité qui serait opposée à ces requêtes risquerait de compromettre gravement l’efficacité de son contrôle des opérations référendaires, vicierait le déroulement général du vote ou porterait atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics »

Cependant, le Conseil constitutionnel a montré qu’il pouvait faire preuve d’une certaine générosité dans l’appréciation de sa propre compétence.

Ainsi, le fait que la priorité nationale telle que voulue par Marine Le Pen n’entre pas dans les critères de l’article 11 pré-cité, le décret prévoyant ce référendum serait entaché d’un vice d’incompétence ratione materiae, obligeant alors à adopter la loi soit en Parlement soit, si l’objectif est vraiment de réviser la Constitution, de passer par la procédure de l’article 89.

 

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  • Heureusement, les dernières années auront montré qu’on peut confortablement s’asseoir sur les principes généraux du droit et la constitution, et les gens trouvent ça très bien.

    • 4 membres (sur 9) du conseil constitutionnel n’ont jamais étudié le droit. Par contre 9 sur 9 sont Macrompatible.
      Quant aux gens…

  • Que le conseil constitutionnel commence déjà par s’opposer aux lois allant à l’encontre des libertés fondamentales incluses dans la constitution. On pourra ensuite reparler de son pouvoir de s’opposer à la volonté du peuple.

  • C’est marrant mais le Conseil Constitutionnel ; soi-disant « gardien de la constitution » ; n’a pas eu trop de mal à la déchirer et à s’essuyer avec en Mars 2020 quand il a refusé la QPC censurant la loi organique d’urgence face au COVID-19 qui s’affranchissait du délai légal de quinze jours ; réduit à vingt-quatre heures ; entre son dépôt et son vote à l’assemblée.

    « Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, il n’y a pas lieu de juger que cette loi organique a été adoptée en violation des règles de procédure prévues à l’article 46 de la Constitution. » explique-t-il dans sa décision. De qui se moque-t-on ?

  • Là je comprends pas ! l’article 89 attribue la possibilité de modifier la Constitution soit au Président (ou à la Présidente) soit au Congrès (les deux assemblées). Mais, le Président (ou la Présidente) peut faire approuver son initiative par référendum (honnêtement en court-circuitant les deux chambres). Mais c’est légal et possible. Où est la problème ? Expliquez moi ! Bon, la candidate a parlé d’article 11. Pourquoi ?

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