L’OTAN, Emmanuel Kant et nous

Si Emmanuel Kant revenait parmi nous, il reconnaîtrait sans peine en l’OTAN la Fédération qu’il appelait de ses vœux.

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Paix, lors d'une manifestation Je suis Charlie (Crédits : Emilien Etienne, CC-BY 2.0), via Flickr.

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L’OTAN, Emmanuel Kant et nous

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 3 avril 2022
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La crise ukrainienne est venue dissiper l’illusion selon laquelle la paix était une situation pérenne. Tout au plus assistions-nous depuis 75 ans, assis devant nos postes de télévision, à des conflits sporadiques dans des contrées lointaines. Or cette fois la guerre est à nos portes. N’est-ce pas le moment de relire Emmanuel Kant ? De comprendre pourquoi ce que nous avions crû être la « paix perpétuelle » qu’il nous annonçait dans son ouvrage éponyme de 1795 s’est transformée dans le cauchemar d’une confrontation à grande échelle.

 

Le rejet de la guerre par Kant

Le maître de Königsberg nous avait pourtant prévenus : les traités de paix du passé ne sont que la suspension des hostilités.

« La guerre elle-même n’a pas besoin de motif particulier, elle semble avoir sa racine dans la nature humaine… »

Les peuples vivent toujours dans l’état de nature qui n’est autre que l’état de guerre. Si la Constitution des États-nations est parvenue à pacifier les relations entre les habitants d’un même pays en les soumettant à une autorité commune, le droit des gens1 reste balbutiant.

La Charte des Nations unies a été une tentative un peu vaine pour doter le monde d’un embryon de droit cosmopolitique.

Mais l’essentiel est ailleurs.

Primo, c’est la dissuasion nucléaire qui a empêché jusqu’ici l’extension des conflits. Les règles du jeu en ont été parfaitement respectées : si une puissance nucléaire ne peut en attaquer une autre (cf. la crise des missiles à Cuba), elle peut s’en prendre à un État qui ne possède pas la bombe (l’URSS en Afghanistan, les États-Unis en Irak). Ce que démontre une fois encore l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe.

Secundo, la Guerre froide avait les apparences d’une confrontation de nature idéologique entre régimes collectivistes et États capitalistes. La nouvelle ligne de front sépare désormais les États de droit  (l’Union européenne, les États-Unis et quelques autres) et les États despotiques (Russie, Chine, Iran…) pour parler comme Kant.

Ainsi se dévoile la vraie nature de l’OTAN. Ce traité supposé défendre ses signataires contre les tentations hégémoniques de l’URSS, rassemble de fait des États mus par un même idéal. Son préambule l’énonce clairement :

« Les États parties au présent Traité, […], déterminés à sauvegarder la liberté de leurs peuples, leur héritage commun et leur civilisation, fondés sur les principes de la démocratie, les libertés individuelles et le règne du droit […] se sont mis d’accord sur le présent Traité de l’Atlantique Nord. »

Ainsi, aujourd’hui, la finalité défensive de l’OTAN s’efface derrière sa vocation à rassembler les peuples qui aspirent à une vie libre et bonne.

 

L’OTAN, la fédération voulue par Emmanuel  Kant

Si Kant revenait parmi nous, il reconnaîtrait sans peine en l’OTAN la Fédération qu’il appelait de ses vœux. Celle d’États-nations unis par « une alliance de paix (foedus pacificum) et qui diffère du traité de paix (pactum pacis) en ce qu’elle terminerait à jamais toutes les guerres, tandis que celui-ci n’en finit qu’une seule.»

Des États-nations dotés de la forme politique adéquate, celle de la République fondée sur le triple principe de la liberté des hommes, de la soumission de tous à une législation commune et de l’égalité de tous les citoyens. Car c’est à ces conditions que le droit, et non plus la force, pourra régir leurs relations et que la guerre cessera d’être une option.

En effet en République « La question de savoir si la guerre aura lieu ou non ne peut être décidée que par le suffrage des citoyens, il n’y a rien de plus naturel qu’ayant à décréter contre eux-mêmes toutes les calamités de la guerre, ils hésitent à s’engager dans un jeu si périlleux… »

Cette assertion est empiriquement vérifiée : dans l’histoire, il n’y a pas d’exemples de guerre qui ait opposé deux Républiques entre elles !

En ce début du XXIe siècle, où en sommes-nous sur le chemin la paix perpétuelle, entrevue par Emmanuel Kant ? Cette « fédération qui doit s’étendre insensiblement à tous les États », s’il s’agit bien de l’OTAN, ne réunit aujourd’hui environ qu’un milliard d’individus, soit 12 % de la population de la planète. Cependant, cet ensemble génère chaque année quasiment 50 % du PIB mondial. C’est dire l’efficacité des Constitutions républicaines, et de leur corollaire l’économie de marché. On comprend mieux le pouvoir d’attraction que ce modèle exerce sur tous les peuples du monde.

L’actualité en apporte la preuve quotidiennement.

Après la chute du communisme, les tentatives de secouer le joug des régimes despotiques se sont multipliées. Ce furent les Printemps arabes (Tunisie, Égypte, Syrie, et plus récemment Algérie) et les Révolutions de couleur dans les pays de l’ancienne URSS (Ukraine, Géorgie, et plus récemment les secousses qu’ont connu la Biélorussie et le Kazakhstan).

Plusieurs pays ont rejoint l’Union européenne, et quelques autres se sont portés candidats. L’adhésion à l’OTAN a suscité des vocations, suivies d’effet dans le cas de la Pologne et des pays baltes, en projet pour la Finlande et la Suède, contestées s’agissant de la Géorgie et de l’Ukraine.

Les flux ininterrompus de migrants, réfugiés économiques ou demandeurs d’asile, désireux de vivre en Europe ou aux États-Unis témoignent aussi de la fascination que les sociétés ouvertes continuent d’exercer sur le reste de l’humanité.

Kant avait clairement identifié les deux forces susceptibles d’accélérer le ralliement des peuples à son projet de Paix perpétuelle :

Les relations commerciales entre les nations

Il écrit : « L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes… ».

Les échanges interpersonnels entre citoyens de différents pays

« L’hospitalité est le droit qu’a tout étranger de ne pas être traité en ennemi dans le pays où il arrive. […] C’est de cette manière que des régions éloignées les unes des autres peuvent contracter des relations amicales, qui finissent par recevoir la sanction des lois publiques, et le genre humain se rapproche insensiblement d’une constitution cosmopolitique. »

Bref, Kant fait l’éloge du tourisme avant que le mot ne soit entré dans notre vocabulaire.

Hélas, 200 ans après la publication de son opuscule, la marche vers la constitution d’une Fédération de républiques liées par une alliance de paix est toujours entravée. Les autocrates et leurs affidés ne lâchent pas facilement leur proie. La répression s’est abattue avec une violence extrême pour venir à bout des soulèvements au Moyen-Orient. La Russie, sans doute dans la crainte d’une contagion démocratique, veut se doter d’un glacis de pays soumis. De même, l’Iran cherche à déstabiliser tout le Moyen-Orient pour sauver son régime théocratique. Il lui était nécessaire d’anéantir le Liban, naguère pays pluriculturel, ouvert sur l’Occident, un exemple fâcheux à ne pas suivre. La Chine a mis au pas Hong Kong, et s’apprête à faire main basse sur Taïwan pour la même raison.

Dès lors, faut-il désespérer de voir un jour la guerre bannie de l’histoire, comme l’ont été les sacrifices humains et l’esclavage ?

Le drame qui se joue en Ukraine est crucial à cet égard. La défaite du chef du Kremlin montrerait une fois de plus que la force ne paie pas, qu’on ne peut pas tout se permettre à l’abri d’un parapluie nucléaire. Elle signerait un pas en avant significatif dans l’édification d’un ordre international garant de la paix et de la sécurité des peuples. Kant nous a montré la direction à suivre. Il a seulement eu tort d’avoir eu raison trop tôt.

 

Article mis à jour le 04/04/22 à 13 h.

  1. Le Droit des gens (du latin jus gentium), Droit des nations ou Droit international est le système ou ensemble des lois qui régissent les rapports des Etats et des peuples entre eux. Il se compose de règles d’équité, d’usages généralement admis, et de conventions consignées dans des traités.
    Source : Droit des gens.
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  • Il me semble que Kant promouvait le libre et aimable commerce, tandis que l’OTAN promeut la paix armée. Ca n’est en rien la même chose.

  • Il faut un bon microscope pour détecter les états de droits dont la règle est le deux poids deux mesures

  • L’OTAN n’a rien à voir avec ce que préconisait Kant dans son projet de paix perpétuelle. L’OTAN n’est pas une fédération de pays ayant la paix comme idéal, mais une alliance militaire dirigée par le complexe militaro industriel américain qui se désigne des ennemis – au premier rang desquels la Russie – et ne cesse de conduire des guerres dans un espace géographique de plus en plus large.

  • Ce n’est pas Kant mais Montesquieu qui a dit que le commerce apporte la paix.
    Et comme souvent il n’y a aura pas une défaite totale. Vladimir Poutine ne va pas perdre totalement comme le dit l’article. Il va obtenir quelque chose. C’est certain. Si non il n’arrêtera pas.

    Montesquieu (1689-1755), De l’Esprit des lois, 1748. Livre XX, chapitre II.
    Texte intégral sur Gallica : Firmin-Didot frères, fils et Cie (Paris), 1857
    L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre ; et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels. Mais, si l’esprit de commerce unit les nations, il n’unit pas de même les particuliers. Nous voyons que, dans les pays où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, et de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celles que l’humanité demande, s’y font, ou s’y donnent pour de l’argent.
    L’esprit de commerce produit, dans les hommes, un certain sentiment de justice exacte, opposé d’un côté au brigandage, et de l’autre à ces vertus morales qui font qu’on ne discute pas toujours ses intérêts avec rigidité, et qu’on peut les négliger pour ceux des autres.
    La privation totale du commerce produit, au contraire, le brigandage, qu’Aristote met au nombre des manières d’acquérir. L’esprit n’en est point opposé à de certaines vertus, morales : par exemple, l’hospitalité, très-rare dans les pays de commerce, se trouve admirablement parmi les peuples brigands.
    C’est un sacrilège chez les Germains, dit Tacite, de fermer sa maison à quelqu’homme que ce soit, connu ou inconnu. Celui qui a exercé l’hospitalité envers un étranger, va lui montrer une autre maison où on l’exerce encore, et il y est reçu avec la même humanité. Mais, lorsque les Germains eurent fondé des royaumes, l’hospitalité leur devint à charge. Cela parait par deux lois du code des Bourguignons, dont l’une inflige une peine à tout barbare qui irait montrer à un étranger la maison d’un Romain ; et l’autre règle que celui qui recevra un étranger sera dédommagé par les habitants, chacun pour sa quote-part.

    Montesquieu (1689-1755), De l’Esprit des lois, 1748. Livre XX, chapitre II.
    Texte intégral sur Gallica : Firmin-Didot frères, fils et Cie (Paris), 1857

  • Plus la guerre continuera , plus la seule solution sera le démantèlement de l’Ukraine:
    – Novorussie de Catherine II, soit le sud d’une ligne approximative Kharkov-Transnistrie, très liée à la Russie comme la Biélorussie
    – Malorussie (Petite Russie), nord autour de Kiev, finlandisée
    – Galicie, indépendante sur le papier (intangibilité des frontières oblige) mais très liée à la Pologne
    – Transcarpathie, idem mais liée à la Hongrie

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