Liberté d’expression : précieuse comme jamais – on est le camp de la liberté ou pas !

La liberté d’expression qu’il est question de laisser ou pas aux médias de l’État russe opérant en Europe ainsi qu’aux personnalités politiques se pose.

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Liberté d'expression (Crédits :Demeure du chaos matttdotorg, licence Creative Commons)

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Liberté d’expression : précieuse comme jamais – on est le camp de la liberté ou pas !

Publié le 2 mars 2022
- A +

Mon précédent article consacré à l’invasion de l’Ukraine par la Russie s’intitulait « Comme si la Russie de Poutine pouvait être un modèle ! » et je l’ai conclu sur ce paragraphe :

Si l’Occident veut exister à la hauteur de ses valeurs libérales et démocratiques, ce n’est certainement pas sur la Russie ou sur la Chine qu’il doit prendre modèle […] C’est au contraire en s’éloignant résolument de l’autocratisme en vigueur dans ces pays. […] Ne nous transformons ni en Chine ni en Russie.

L’occasion de mettre en pratique ces bonnes résolutions s’est immédiatement présentée sous la forme de la liberté d’expression qu’il est question de laisser ou pas aux médias de l’État russe opérant en Europe ainsi qu’aux personnalités politiques ou autres qui en France parlent et agissent en soutien plus ou moins affiché de Vladimir Poutine.

Interdiction des médias contrôlés par la Russie

Dimanche 27 février au soir, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a en effet annoncé parmi les sanctions prises contre la Russie que l’Union européenne (UE) entendait « interdire la machine médiatique du Kremlin dans l’Union européenne ». De son côté, le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères Josep Borrell insistait sur la nécessité de mettre un terme au récit russe sur le conflit avec l’Ukraine :

Nous voulons casser le récit des médias contrôlés par l’État russe, qui diffusent désormais de la propagande de guerre. Poutine veut conquérir un territoire, mais aussi les esprits.

De la même façon, un sondage proposé par le compte twitter de l’émission de Cyril Hanouna « Balance ton post » demandait jeudi 24 février dernier, premier jour de l’offensive russe, s’il fallait « interdire d’antenne Éric Zemmour ». Sur plus de 30 000 votants, 41,6 % étaient favorables :

 

 

On est encore assez loin de la majorité, naturellement, et ce n’est qu’un sondage en ligne sans garantie de représentativité, mais cela forme néanmoins une minorité suffisamment étoffée pour que le résultat inquiète.

Il est vrai que depuis le début des tensions entre la Russie et l’Ukraine, Éric Zemmour et d’autres responsables politiques à l’extrême gauche et à l’extrême droite ont tenu des positions pour le moins alambiquées mais toujours conciliantes d’une façon ou d’une autre pour le leader du Kremlin, au point même qu’Éric Zemmour en est venu récemment à qualifier Poutine de « démocrate autoritaire » sous prétexte qu’il était élu. Un oxymore qui ouvre un vaste champ d’entorses possibles à l’État de droit…

Mais les esprits des citoyens, comme disait M. Borrell, seraient-ils si faibles, si peu doués de capacités critiques, qu’il faudrait en quelque sorte les protéger de tout contact avec des opinions non officielles, non validées par les autorités, sur les événements en cours ? Qu’il faudrait mettre en place des opinions barrières et des méthodes de distanciation idéologiques ?

Attention à ne pas devenir comme la Russie pour la liberté d’expression

Comment ne pas voir que cette censure de l’information et des opinions correspond précisément à ce que fait Poutine en Russie, ce Poutine dont on abhorre à juste titre le comportement autocratique ?

Depuis le début du conflit, les reporters de la télévision russe reçoivent leurs informations, non pas du terrain mais depuis leurs studios de Moscou. Pour les téléspectateurs, il n’y a pas de guerre en Ukraine mais une simple opération de maintien de la sécurité dans les régions séparatistes de Lougansk et Donetsk dont la Russie a reconnu l’indépendance la semaine dernière et une tout aussi simple « opération spéciale » de dénazification de l’Ukraine.

Surtout, ainsi que je l’ai déjà évoqué dans l’article précédent, la Russie figure en temps ordinaire au 150ème rang sur 180 pays pour la liberté de la presse selon le baromètre annuel de Reporters sans frontières, tandis que la France, sans briller comme la Norvège, la Finlande et la Suède, se classe quand même à la 34ème place. Le bon mouvement ne consisterait-il pas plutôt à essayer de rejoindre les Pays-Bas ou l’Allemagne, dans les 15 premiers rangs du classement ?

La censure de l’expression est l’arme délétère de qui ne supporte pas la contradiction et/ou qui n’a pas d’arguments valables à opposer aux opinions divergentes. S’agissant de RT France (ex-Russia Today), quoi de plus parlant que le libre choix de l’animateur Frédéric Taddeï de mettre fin à son émission « Interdit d’interdire » (titre d’une grande actualité) « par loyauté pour la France » ? De telles décisions individuelles sont largement plus significatives, exemplaires et légitimes qu’une censure globale venue d’en haut.

Sans compter que techniquement, on voit mal comment l’environnement numérique dont nous disposons aujourd’hui pourrait empêcher l’information de circuler en dehors des canaux officiels.

Il convient d’admettre que les paroles, même déplaisantes, même très éloignées des idées que chacun peut se faire sur toutes sortes de sujets ne sont pas des actes et ne sauraient être criminalisées. La seule attitude possible dans une société ouverte consiste à les combattre dans le cadre de débats ou de conseils, ou éventuellement à ne les considérer qu’avec indifférence, certainement pas en censurant ou en pénalisant les auteurs.

D’une façon générale, la liberté d’expression donnée aux individus leur fait rechercher par eux-mêmes, et non par un décret supérieur, ce qu’ils jugent bien et ce qu’ils jugent mal. De plus, dans la mesure où elle n’est pas seulement la possibilité qui nous est offerte de nous exprimer librement, mais peut-être surtout la reconnaissance des possibilités d’expression des autres, elle devient confrontation des idées, elle devient débat.

C’est ainsi que la liberté d’expression est la plus à même de faire émerger de nombreuses idées nouvelles parmi lesquelles on a le plus de chance d’aboutir à la vérité, tandis que la censure des idées qu’on qualifie de mauvaises n’aura jamais l’effet de faire disparaitre ces idées. Au contraire, elle risque de leur donner encore plus d’importance, encore plus de crédit, car on se demandera toujours au nom de quelle mauvaise conscience du censeur elles basculent dans l’interdit.

Il me semble que tout cela devient encore plus essentiel aujourd’hui, encore plus précieux à préserver, dans cette situation de conflit où la France, où l’Occident en général se sent solidaire des Ukrainiens par attachement à l’État de droit et au droit international. On est le camp de la liberté ou on ne l’est pas.

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  • Je ne crois pas que le sort des médias de l’ennemi en temps de (vraie) guerre soit comparable à celui d’un citoyen francais (Zemmour) en temps de paix.
    Couper le sifflet aux médias servant les intérêts de l’ennemi fait partie de la panoplie classique de la guerre. Poutine vient justement de détruire la tour de télévision de Kiev. Nos principes démocratiques ne sauraient s’exercer à nos dépens.

    -5
    • Avatar
      jacques lemiere
      2 mars 2022 at 7 h 23 min

      nous ne sommes pas en guerre, aussi simple que cela.

    • Selon vos principes, faudrait-il vous couper le sifflet ?

    • La guerre est, dans presque toutes ses applications, anti libérale. Le principe libéral devrait justement autoriser toute personne à combattre dans un camp, ne rien faire, ou combattre dans l’autre camp. Le fameux sentiment « patriotique » est plutôt de défendre ses possessions.
      Je remarque que les ukrainiens disent « quand les russes arriveront dans notre ville, nous la défendrons ». Ils ne disent pas « je pars à Kharkiv pour défendre le pays ». Devant cette réalité, les gouvernants essayent d’effacer les informations qui leur sont défavorables pour garder le pouvoir. C’est d’ailleurs beaucoup plus important quand il s’agit de mesures d’agression, où la « justesse » et le « ça vaut la peine » sont bien plus durs à maintenir.
      La majorité des français ne vont pas donner un kopek aux ukrainiens. Imaginez la réaction à une petite ponction, écrite noir sur blanc « aide aux ukrainiens » sur la fiche de paye de tous les français, du genre 5€..

      -1
      • Mais sans l’écrire l’UE va bien utiliser nos impôts pour payer aux marchands les armes qu’elle livre aux Ukrainiens…

      • Rien ne vous empêche de partir là bas vous battre aux côtés des Russes. Comme d’autres Francais sont partis aider les islamistes ici ou là.
        Ce faisant, rien n’empêchera la France d’utiliser le meme principe libéral à votre encontre, et de vous traiter en ennemi.

        -3
  • Liberté d’expression, camp de la liberté : vous avez hiberné ces deux dernières années ? Ces notions sont tellement ringardes, tellement « monde d’avant », c’est comme donner le prix de quelque chose en francs 😀
    Désormais, un Occidental vit aussi surveillé / assisté / guidé qu’un Russe ou un Chinois.
    La seule différence notable qui reste encore, c’est l’accès aux informations étrangères… mais ça ne devrait pas durer.

    • Homme de paille. Vous arguez des mesures liberticides prises ces deux dernières années pour en faire le reproche à Nathalie MP qui n’a pas cessé un instant de les dénoncer
      C’est très malhonnête.

      • On se détend le kid, faut pas sniffer l’aérosol, ça énerve ^^
        Je n’attaquais pas directement l’auteure, dont j’apprécie énormément le travail (probablement mon intervenante préférée avec h16).
        Mais crier à la liberté d’expression à ce stade, juste parce qu’on veut nous couper de 2-3 médias russophones, après les deux années qu’on vient de vivre, c’est à mes yeux tellement désuet : on a eu l’occasion de voir la haute opinion que les dirigeants occidentaux ont pour les libertés de leurs populations.
        Il est trop tard désormais pour juste se raccrocher à la liberté d’expression : elle a déjà disparu. Alors maintenant, soit on réagit pour de bon afin de récupérer les droits fondamentaux qu’on nous a volés, soit on continue à débattre philosophie, libéralisme et concepts rendus obsolètes par une pandémie en carton.
        La liberté d’expression de nos jours, elle se résume à la liberté d’échanger sur la fin de nos libertés.

  • Cette censure des médias nous infantilise une fois de plus. Et c’est Mme Von Der Leyen qui en a lancé l’idée ? De quel droit ?
    On fait comment pour débrancher cette va-t-en guerre ?
    Je constate que peu de gens savent comment ce conflit s’est développé et mesurent l’incompétence, voulue peut-être, des diplomates.
    On aurait pu éviter cette guerre. Se rappeler qu’on humilie la Russie depuis 30 ans. l’Ukraine bombarde ses frères du Donbass depuis 8 ans dans l’indifférence générale.
    En effet, vaut peut-être mieux nous empêcher de savoir l’avis du camp d’en face….

    • La propagande russe se repand absolument partout sans vergogne. Nos bisounours franchouillards se prosternent devant le maître du kremlin…..cette adoration du gourou fait penser à ces sectes dont les membres vouent une devotion sans borne a leur mentor…..

      -2
      • Avatar
        jacques lemiere
        2 mars 2022 at 17 h 17 min

        la propagande c’ets comme la pub..

        on a beau me bourrer le mou avec l’ecologise ça glisse sur moi..covid pareil..
        alors les médias russes et le chinois..

        par contre on a une partie de la population qui croit RT.. mais pas france info..

        • Et une infime partie de la population qui souhaite entendre les deux et se faire ensuite sa propre opinion à partir de ce qui transparaît des « évidences » contradictoires affirmées des deux côtés.

  • Je n’ai pas remarqué que sputniknews doit censuré, peut-être parce que je passe par tor pour éviter les mouchards.
    Et je ne reconnais à personne l’aptitude de décider à ma place de ce que je peux comprendre.

  • On assiste de plus en plus de la part des pays dits libéraux, à des mesures visant à restreindre l’expression d’opinions contraires. Les GAFA se sont souvent illustrés en en étant le bras armé voir même « l’avant-garde éclairée ».
    Cette pratique ne peut être qu’inquiétante, et le plus inquiétant en plus, c’est qu’elle ne suscite pas plus de réactions que cela, ni dans l’opinion, ni dans la classe politique.
    Le modèle de société défendu par l’occident apparaît de plus en plus comme un modèle autoritaire, sous des habits ouverts mais ne tolérant pas les avis contraires, ce qui ne me rassure pas pour l’avenir.

    • Allez jeter un oeil à l' »Indice de démocratie » des pays du monde.
      Les modèles autoritaires ne sont pas ceux de l’occident. Faut-il avoir le cerveau embrumé par un géocentrisme aveuglant, et une exagération pathologique de nos petites misères, pour croire qu’il n’y a qu’une feuille de cigarette entre nos démocraties et les dictatures ?

      -4
  • Hier soir j’ai pu voir des images de Kiev, il y avait le couvre feu mais tous les bâtiments civils étaient intacts, la liberté de la presse, par contre, il y a beaucoup de volontaires d’occidentaux dans les rangs Russes

  • Bonjour,
    Notre cher président ne nous disait-il pas, il y a peu, que nous étions une démocratie parce que nous l’avions élu.
    Sa définition était assez limitative lors de l’un de ces discours, il me semble dans mes souvenirs.
    L’Etat de droit, les libertés, les principaux principes de la Démocratie ont été bien piétinés ces dernières années (et le sont encore dans les faits). Je ne crois pas que ce soit l’apanage des extrêmes ou d’Eric Zemmour. Ils n’étaient pas et ne sont pas au pouvoir.

  • « On est le camp de la liberté ou on ne l’est pas. »
    Mais nous n’y sommes plus, Nathalie !

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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