La possibilité d’un scénario de surémission

Quelle est l’éventualité qu’une surexpansion bancaire se produise dans un système de banque libre ?

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BCE-Santi Villamarin-(CC BY-ND 2.0)

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La possibilité d’un scénario de surémission

Publié le 27 février 2022
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Aujourd’hui, nous aborderons deux points : l’absence d’un mécanisme de compensation dans un système de Banque Centrale, et l’éventualité qu’une surexpansion bancaire se produise dans un système de Banque libre à réserves fractionnaires. Ce faisant, cet article est dans la suite directe du précédent concernant la loi des compensations adverses.

Le problème de la connaissance : les Banquiers centraux ont besoin d’une information qu’ils ne peuvent pas obtenir

Un partisan de la Banque centrale ferait remarquer que celle-ci a accès à des informations supérieures à celles dont disposent les banques d’émission concurrentes, notamment des estimations économétriques élaborées de la demande de monnaie et des fluctuations saisonnières de la demande de monnaie. Mais comme le rappelle, à juste titre George Selgin (dans son Bank Deregulation and Monetary Order) si les banques libres ne peuvent effectivement pas se prévaloir de telles informations, elles n’en ont pas besoin non plus ; l’attention que les banques libres portent aux ponctions sur les réserves est suffisante pour les guider à fournir de la monnaie bancaire précisément en fonction de la demande des consommateurs.

L’absence de substituts de connaissances (knowledge surrogates) adéquats dans le cadre d’une émission monopolistique de billets conduit à des erreurs beaucoup plus graves que celles qui résulteraient d’une administration centralisée de tout autre industrie. En effet, la monnaie entre dans la quasi-totalité des échanges et des calculs économiques, de sorte qu’un déséquilibre monétaire fausse un large éventail de signaux de prix et de profits, c’est-à-dire fausse d’autres substituts de la connaissance. L’instabilité des taux d’intérêt en est peut-être l’exemple le plus important, lorsqu’on voit la stabilité qui caractérisait les taux d’intérêt dans les périodes de banque libre.

Comme nous l’avons vu dans le précédent article, le mécanisme de compensation permet aux banques d’émission en concurrence de découvrir la demande de monnaie bancaire de leurs clients. Les erreurs de jugement des banques en positions de réserve sous-optimales et donc en pertes économiques sont rapidement révélées et corrigées. Une banque centrale ne peut pas se gausser d’une procédure de découverte similaire ; elle doit s’appuyer sur des substituts de connaissance qualitativement inférieurs. Par l’action des compensations, les banquiers dans un système monétaire libéré obtiennent une connaissance tacite qui les aident à ajuster l’offre de monnaie et leur niveau de réserves.

Une possibilité d’expansion malgré le mécanisme de contrôle ? Le rôle des réserves de précaution

Les partisans de la Banque centrale soutiennent un autre point.

C’est l’éventualité soulevée par les banquiers centraux mais également par des partisans des réserves à 100 %, ou encore par Friedrich Hayek dans son Monetary Theory and The Trade Cycle, pour condamner ce système : un système bancaire libre sans réglementation pourrait conduire à un phénomène de cycle bancaire en permettant une expansion de concert. Ils prétendent que le contrôle interbancaire par le biais du mécanisme de compensation est en grande partie une illusion, et ne fonctionne que dans des circonstances très particulières. Si une banque augmente ses émissions dans une proportion donnée, ses affaires augmenteront dans la même proportion et par conséquent, le montant plus élevé des remboursements de prêts qu’elle aura à effectuer au cours d’une semaine lui donnera le même nombre de créances sur les banques rivales que celles-ci ont sur elle, de sorte qu’il n’y a pas de différences dans les compensations et pas de créances sur les réserves. Les partisans de la Banque centrale (et notamment Charles Goodhart) concluent que tout système bancaire sans banque centrale doit finir par souffrir d’importantes déficiences, et notamment de son incapacité à contenir l’offre de monnaie et de crédit dans des limites économiquement souhaitables.

Or, comme le soulève George Selgin, il est important de prendre en compte le fait que les banques libres détiendraient des réserves (nous l’avons déjà dit et redit) non seulement pour faire face aux pertes de compensation nettes attendues, mais aussi comme protection contre les fluctuations inattendues ou aléatoires des compensations nettes quotidiennes (pour se prémunir contre l’incertitude radicale, knightienne, qui caractérise le monde réel).

La demande de ces réserves de précaution tendrait à être proportionnelle au flux des engagements bancaires à travers le système de compensation et par conséquent (en supposant que ce flux est lui-même un multiple assez constant des dépenses globales en biens finaux), au revenu nominal. Les banques libres s’accommodent aisément d’un changement de demande (ou vélocité) de monnaie bancaire, permettant ainsi de stabiliser le revenu nominal à sa position d’équilibre unique, et ces ajustements dépendent de la demande excédentaire pour les réserves de précaution. Par ce mécanisme de compensation, les banques libres sur le marché jouent un rôle coordinateur, comme tout entrepreneur cherche à exploiter les poches d’opportunités occasionnées par la présence de prix de déséquilibre.

Ce mécanisme régulateur est unique à la banque libre, puisqu’une banque centrale est seule à fournir de la monnaie. Le mécanisme de compensation sert à décourager toute banque individuelle dans un système bancaire libre de développer son bilan de manière excessive par rapport à ses rivales, en confrontant la banque en expansion aux débits nets de compensation qui peuvent éventuellement la mettre en faillite en épuisant ses réserves. Cette contrainte diffère nettement de la situation dans le cadre d’une banque centrale, où ses passifs tendent à déplacer les actifs extérieurs comme moyen de réserve et de règlement, ce qui la rend particulièrement immunisée contre les limites imposées par le système de compensation à ses activités de prêt et de création de monnaie.

L’économiste Charles Goodhart pense que le mécanisme de compensation est incapable de contraindre adéquatement un système bancaire libre pour deux raisons.

Premièrement, Goodhart affirme que les compensations de routine dans un système bancaire libre « tendront à amener toutes les banques à se développer, ou à se contracter, à un rythme largement similaire » sans limiter le taux d’expansion du système dans son ensemble.

Deuxièmement, les banques individuelles peuvent contourner la capacité du mécanisme de compensation à limiter leur expansion par rapport à celle des banques rivales « en rendant leurs propres engagements [y compris les billets] plus attrayants. »

À la première critique, George Selgin fournit la réponse suivante : les compensations de routine limitent effectivement l’étendue globale de la création monétaire dans un système bancaire libre, en obligeant les banques à maintenir un certain ratio défini de réserves de précaution de monnaie extérieure par rapport à leurs engagements en billets et en dépôts. Ce ratio varie en fonction de l’environnement bancaire, mais il n’est pas arbitraire.

Ensuite, la demande de réserves de précaution reflète les variations aléatoires des soldes nets dus par les banques individuelles à la fin d’une session de compensation : même si un banquier est certain que sa banque gagnera des dépôts égaux à ses pertes dues aux retraits au cours d’une série de sessions de compensation, le banquier voudra avoir un certain coussin de sécurité de réserves pour protéger la banque contre les chances d’être un débiteur net des autres banques à la fin d’une session de compensation. Plus la valeur totale des transactions auxquelles une banque doit faire face au cours d’une séance de compensation typique est élevée, plus elle aura besoin de réserves de précaution, toutes choses étant égales par ailleurs. Comme le volume des transactions dépend du volume de la monnaie bancaire existante, aucune banque ayant des réserves limitées ne voudra émettre plus qu’une certaine quantité limitée de monnaie. Comme nous l’avons déjà mentionné, dans Ce que la loi de Say nous apprend sur la monnaie, la loi du reflux de Fullarton implique les banques qui n’essaieront d’attirer des dépôts et d’émettre leurs propres engagements bancaires que dans des limites économiquement définies. Il serait trop coûteux pour elles d’aller au-delà de cette limite.

Cette littérature n’est d’ailleurs pas particulière aux partisans de la banque libre, mais est plutôt implicite dans les écrits théoriques standards sur la demande de réserves. Une conclusion bien connue de la littérature sur la demande de réserves de précaution, à commencer par Edgeworth, est que la demande de réserves d’une banque sera proportionnelle à l’écart-type de ses pertes nettes de réserves. Le point de vue opposé de Goodhart reflète une idée fausse populaire qui a, malheureusement, été propagée même par des sommités telles que John Maynard Keynes et l’économiste de Chicago Lloyd Mints.

La théorie de la détention optimale de réserves reconnaît, outre les réserves obligatoires, deux sources distinctes de demande de réserves bancaires, chacune étant fonction des compensations bancaires.

La première est la demande de réserves moyenne nette. Elle reflète le modèle déterministe ou la valeur anticipée des compensations bancaires nettes.

L’autre est la demande de réserves de précaution. Elle reflète l’élément stochastique ou aléatoire des compensations.

Lorsque les banques se développent à l’unisson, aucune ne subit d’augmentation de la demande moyenne nette de réserves, car l’expansion n’entraîne aucun changement dans la moyenne ou la valeur attendue des compensations nettes pour aucune des banques en expansion. Ceci a été noté à juste titre par les partisans de la thèse de la surexpansion en concert. Toutefois, étant donné que la demande de réserves de précaution de chaque banque augmente avec toute croissance des compensations bancaires brutes, il ne s’ensuit pas que l’expansion à l’échelle du système est incontrôlée. La présence d’une demande de précaution pour les réserves suggère une valeur déterminée et finie pour le multiplicateur monétaire dans une banque sans restriction. Cela signifie que les banquiers poussés à se développer ensemble par un stimulus purement subjectif subiront un stimulus objectif compensatoire sous la forme de réserves insuffisantes.

Cela entre directement en conflit avec l’argument du style dilemme du prisonnier présenté par les partisans des réserves à 100 % (comme Philipp Bagus, Jesus Huerta de Soto ou encore Frank Van Dun). Si chaque banque fait face à sa propre fonction de demande de réserve et que celle-ci fait face à des fluctuations quotidiennes, la possibilité d’un cartel de banques qui visent à étendre le volume de leurs engagements est notamment instable et intenable dans le temps. Le mécanisme des compensations adverses joue donc toujours son rôle.1

Deux points supplémentaires sont mis en avant par George Selgin, au sujet des réserves dans un système de banque libre :

– Premièrement, le multiplicateur monétaire du système est indépendant des variations du ratio souhaité entre la monnaie et les dépôts. Cela provient du fait que la monnaie dans les mains du public est constituée uniquement de billets de banque, qui ne sont pas de la monnaie centrale et qui sont supposés nécessiter la même garantie de réserve fractionnaire que les dépôts. Si le public insiste pour détenir une certaine fraction Z de monnaie de base dans son portefeuille monétaire en plus des billets de banque et des dépôts, alors le multiplicateur monétaire s’ajustera inversement aux changements de Z, comme dans les modèles classiques des manuels. Cependant, le point est précisément que dans le cadre d’une banque libre, les consommateurs peuvent utiliser, et ont historiquement utilisé, des billets de banque émis de manière concurrentielle à la place de la monnaie de base pour répondre à la plupart de leurs besoins en monnaie qui changent régulièrement. En conséquence, le multiplicateur de la masse monétaire est stabilisé.

– Deuxièmement, le taux de réserves du système bancaire est déterminé même lorsque la perte nette de réserves de chaque banque a une valeur attendue de zéro pour la période de planification. Contrairement à ce que prétendent Goodhart et d’autres, cette constation implique que les banques libres ne pourraient pas étendre leurs bilans à volonté en agissant simplement de concert. Un tel effort concerté ne devrait pas conduire à des pertes de réserves à long terme par une banque ou un groupe de banques en particulier. Il augmenterait néanmoins les besoins en réserves de précaution de chaque banque en provoquant une augmentation des opérations de compensation, et donc une augmentation de l’écart-type des pertes nettes de réserves auxquelles sont confrontées les banques individuelles.2

 

Nous en avons désormais fini avec cet article qui a majoritairement évoqué le rôle que jouent les réserves des banques libres comme mécanisme de régulation de la monnaie.

  1. Comme l’a soulevé George Selgin, il est ironique que ces économistes autrichiens se servent de ces modèles issus de la théorie des jeux pour prouver leur argument, en sachant qu’ils sont profondément statiques, ne prennent pas en compte les notions de processus de marché, qu’ils ont tendance à être mis en avant pour justifier des interventions étatiques pour corriger les défaillances de marché.
  2. Comme l’a noté Larry J. Sechrest, cette argument de l’écart-type des réserves de précaution, soulevé par George Selgin, est un argument laissé de côté par les partisans des réserves à 100 %, et notamment par Jesus Huerta de Soto dans Monnaie, Crédit bancaire et Cycles économiques.

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