Présidentielle 2022 : les parrainages et le libéralisme

Le problème de l’antilibéralisme français ne provient pas du seul système actuel des parrainages, mais de causes autrement profondes.

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Rafik Smati (Objectif France) et Aurélien Véron (PLD).

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Présidentielle 2022 : les parrainages et le libéralisme

Publié le 24 février 2022
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À l’image de ses devanciers, l’élection présidentielle de 2022 n’aura pas été exempte de polémiques. Ainsi en a-t-il été du système des parrainages, critiqué de toutes parts ou peu s’en faut.

Des critiques multiformes

Déni de démocratie, violation de la volonté du peuple, risque d’une élection tronquée… Une pluie de critiques s’est abattue sur le système de présentation des candidatures à l’élection présidentielle, dit en langue vernaculaire système des parrainages. On n’a pas manqué de souligner qu’il était injuste, voire immoral, qu’une personne qui recueillait plus de 10 % des intentions de vote rencontre autant de difficultés à recueillir le sésame des 500 signatures pour participer à l’élection présidentielle, voire soit empêchée d’y participer. Et ce, d’autant plus lorsque d’autres personnes, pourtant à la traîne dans les sondages, y parvenaient sans difficulté.

Généalogie du système des parrainages

Il est impossible de comprendre les polémiques actuelles sans remonter à leur source, c’est-à-dire à la Constitution de 1958 et aux diverses modifications de la législation sur le sujet.

Notre Constitution se contente de renvoyer, par son article 6, à une loi organique. Initialement, le président de la République était élu au suffrage universel indirect, comme sous les républiques précédentes. En effet, aux yeux des républicains, il était inconcevable qu’il le fût au suffrage universel direct compte tenu des précédents napoléoniens de funeste mémoire. Il ne faisait alors aucun doute que Charles de Gaulle serait désigné et que ses éventuels concurrents ne feraient que des scores confidentiels. Le collège électoral était composé d’environ 80 000 personnes, essentiellement des élus ruraux. L’objectif était limpide : empêcher les parlementaires, donc les partis politiques, de jouer un rôle primordial et selon l’expression du Général, placer le chef de l’État au-dessus des partis.

Mais les réformes ultérieures, brutale en 1962, insidieuses ensuite, vont progressivement briser l’harmonie du système. Par la volonté du Président en exercice, essentiellement afin de pérenniser le nouveau régime et d’assurer à ses successeurs une indiscutable légitimité par les urnes, le chef de l’État serait dorénavant élu au suffrage universel direct en vertu de la réforme constitutionnelle de 1962. La loi du 6 novembre 1962 instaura alors le parrainage de 100 élus au moins pour être candidat à l’élection. L’objectif était d’éviter la multiplication des candidatures et la présence de candidats plus ou moins loufoques. L’élection présidentielle de 1965 vit s’affronter effectivement 6 candidats et 7 pour celle de 1969. Mais en 1974, dans le contexte trouble du décès du Président en fonction, ce furent 12 candidats qui sollicitèrent les suffrages des Français.

Le Conseil constitutionnel se permit alors d’intervenir pour suggérer diverses modifications. Procédé pour le moins audacieux qui fonctionna à merveille puisque la loi fut modifiée à peine deux ans plus tard. La loi organique du 18 juin 1976 haussa le nombre minimum de parrainages, non plus à 100, mais à 500. Le nombre des candidats diminua légèrement en se stabilisant : 10 en 1981, 9 en 1988 et en 1995. Mais, comme en 1974, l’élection de 2002 marqua une rupture avec la présence de 16 candidats. Un nombre jugé excessif, particulièrement à gauche, car la division de ce camp aboutit à l’élimination de tous ses membres à l’issue du premier tour, même si l’augmentation de l’abstention et le climat de cohabitation jouèrent également leur rôle. Les élections suivantes aboutirent à une nouvelle stabilisation à la baisse du nombre des candidats : 12 en 2007, 10 en 2012, 11 en 2017.

La seule modification, apparemment de détail mais le diable se cache souvent dans les détails…, provient de la modification du système des présentations.

La loi organique de 1976 avait, de manière étrange, rendu partiellement anonyme les parrainages. Partiellement car 500 signataires par candidat se trouvaient tirés au sort pour que leurs noms et parrainages fussent rendus publics. Atteinte évidente à l’égalité entre les candidats puisque, suivant ces derniers, les noms des présentateurs avaient la chance ou le risque d’être rendus publics à hauteur d’un peu plus de 10 % lorsque les parrainages étaient nombreux, mais de près de 100 % lorsqu’ils dépassaient à peine le nombre requis des 500 signatures.

Aussi la loi du 25 avril 2016 modifia-t-elle la règle en disposant que la publicité des présentateurs serait effectuée en continu au fur et à mesure de la réception par le Conseil constitutionnel des signatures et intégralement à l’issue du recueil des signatures.

Les récriminations des extrêmes

Lors de chaque élection présidentielle depuis des décennies, des candidats d’extrême droite et d’extrême gauche se lamentent du système de présentation. Les Le Pen, aujourd’hui rejoints par Jean-Luc Mélenchon ont mis en contraste l’importance des intentions de vote en leur faveur et les difficultés pour recueillir le nombre requis de signatures. Il est indéniable que ces candidats n’ont pas les facilités d’obtention des 500 signatures qu’ont les candidats de la droite et de la gauche classiques. Ainsi, en 2017, Jean-Luc Mélenchon obtient 805 signatures et Marine Le Pen 627, tandis que François Fillon dépassait les 3600 et Emmanuel Macron les 1800, Benoît Hamon les 2000.

Néanmoins, les récriminations des extrémistes traduisent également une certaine posture anti-système en brandissant la carte du peuple prétendu contre les élites et autres privilèges.

Les propositions de réforme

Tant l’exécutif que le législatif se sont penchés sur le système des parrainages, particulièrement depuis 2007.

Le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, dit Comité Balladur, proposa en 2007 une révision de l’article 7 afin que la sélection des candidats provienne d’un collège de 100 000 élus qui désigneraient, selon la loi organique modifiée, à bulletin secret le candidat qu’ils souhaitaient voir concourir à la présidence de la République. Le comité faisait bien état d’une autre solution : le parrainage direct par les citoyens, mais il l’écartait au double motif des difficultés techniques, notamment liées au contrôle des signatures, et de l’urgence en cas de vacance à la présidence de la République. La proposition anticitoyenne, si l’on peut dire, du comité explique la raison pourquoi elle est aujourd’hui largement laissée dans l’ombre.

Il n’en est pas de même des propositions du rapport de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique de 2012, dite Commission Jospin. Bien que les rapports soient intitulés de manière proche –Une Ve République plus démocratique dans le premier cas, Pour un renouveau démocratique dans le second-, les propositions diffèrent. Il s’agirait d’instaurer un parrainage des candidats par les citoyens, soit 150 000 signatures émanant au minimum de 50 départements ou collectivités d’outre-mer, dont au maximum 7500 signatures par département ou collectivité.

Une incohérence constitutionnelle

Plusieurs constitutionnalistes ont pu relever depuis longtemps une incohérence dans le texte de 1958 et dans la règlementation subséquente.

En effet, le système originel se défendait : lorsque le Président de la République se trouvait élu au suffrage universel indirect, il y avait identité entre ceux qui désignaient les candidats et ceux qui votaient pour le futur chef de l’État. Lorsque, en revanche, le président s’est trouvé élu au suffrage universel direct, il y a eu disjonction entre ceux qui choisissaient les candidats et ceux qui votaient. Les candidats sont désignés par des élus, mais ce sont les citoyens qui élisent le candidat qu’ils préfèrent.

Il n’est dès lors guère surprenant que les dernières propositions parlementaires, émanant des camps supposés défavorisés par les règles actuelles, aient souhaité que soient explicitement traduites les propositions de la Commission Jospin dans la loi organique, ainsi que les députés de la France insoumise en ont fait état le 26 octobre 2020, soit supprimer la publicité des parrainages en modifiant la loi, ainsi que, à l’autre spectre politique, la députée Emmanuelle Menard en a fait état le 8 février 2022.

Système des parrainages et libéralisme

Les extrêmes se plaignent de manière récurrente du système actuel des parrainages.

Pourtant, force est de constater qu’ils ne semblent pas mal lotis. L’extrême droite se trouve représentée par au moins un candidat lors de chaque élection depuis 1988. L’extrême gauche, plus morcelée, s’en sort encore mieux puisque la pluralité des candidatures est devenue la norme. En revanche, depuis le début de la Ve République, seul Alain Madelin a représenté les couleurs libérales lors des élections présidentielles. Cela semble bien peu, même s’il faut reconnaître que pour l’essentiel, ces soixante dernières années, le libéralisme a navigué entre l’ostracisation au mieux et l’indifférence au pis. Il est malgré tout légitime de se demander si le système des parrainages n’empêcherait pas l’existence d’une alternative libérale. Car enfin, qu’un candidat communiste voisine avec plusieurs candidats gauchistes qui ne représentent rien ou à peu près rien, tandis qu’il n’existe aucun candidat libéral, fait tâche !

Les causes de l’absence d’offre libérale

En réalité, les causes de l’inexistence d’une offre libérale sont plus profondes et elles proviennent d’une multitude de facteurs, cela dit en se focalisant sur les seuls facteurs institutionnels.

Lorsque la Commission Jospin propose en 2012 d’instaurer un parrainage des candidats à l’élection présidentielle par les citoyens, elle se garde bien de toucher à la règle du plafonnement des dépenses électorales, qualifiée de « puissant facteur de réduction des inégalités entre candidats ». La seule proposition qu’elle porte se réduit à modifier le calcul du remboursement public des frais de campagne. Or, l’objectif implicite du plafonnement est d’interdire l’émergence de candidats qui disposeraient de moyens financiers considérables. Et notamment d’interdire aux suppôts du capitalisme de bénéficier d’un avantage indu sur ses contempteurs. Il n’est donc pas question d’instaurer un système à l’américaine à base d’élections primaires compte tenu des dérives réelles ou supposées de ce mécanisme.

Associée à une droite souvent très conservatrice et viscéralement antilibérale, l’inexistence d’un  marché des idées en France joue également à plein : des enseignants politisés ou nettement à gauche dans le secteur public de l’Éducation nationale, du primaire à l’Université, des journalistes de la presse écrite comme de la presse parlée très majoritairement de gauche, un interventionnisme de l’État tous azimuts pour règlementer les médias et encadrer l’offre électorale. Il est ainsi peu évident que puisse émerger un candidat libéral, porté par une large fraction de l’opinion publique.

Un régime politique antilibéral

La France subit un régime politique unique au monde parmi les grandes ou les moyennes puissances : un régime parlementaire à présidence forte. On sait que cette dérive dans le sens de l’exécutif ou de la fonction gouvernante est venue en réaction à la prépondérance de la ou des assemblées lors des républiques précédentes qui a mené le pays à la ruine. Mais rien n’interdit de revenir sur le pli présidentialiste pris par nos institutions depuis la pratique gaullienne sur laquelle aucun de ses successeurs ne s’est évidemment empressé de revenir. Bien au contraire, puisque l’inversion du calendrier parlementaire, voulue par Lionel Jospin et qui lui a été funeste, a encore accusé les dérives de notre régime. Ainsi, le censeur du « coup d’État permanent » qu’était Mitterrand s’est-il parfaitement accommodé de l’hyperprésidence une fois parvenu au pouvoir…

Il n’y a dès lors pas besoin d’une VIe République, comme le souhaitent certains, surtout à l’extrême gauche. Il suffirait de lire notre Constitution avec d’autres lunettes et d’aligner notre pays sur les régimes parlementaires de certains de nos homologues, à commencer par l’Angleterre, de telle manière que le Premier ministre devienne l’organe prépondérant au sein de l’exécutif.

Le problème de l’antilibéralisme français ne provient pas du seul système actuel des parrainages, mais de causes autrement profondes, à commencer par un système institutionnel qui participe de l’exception française.

 

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  • La technocratie politique s’est approprié les institutions, elle met en oeuvre de nombreux obstacles à tout entrant qui ne ferait pas partie du système de l’entre-soi du pouvoir et de la rente :
    > Le président peut faire campagne pendant des mois aux frais des contribuables, alors qu’il censure Zemmour sur News par exemple.
    > La levée de l’anonymat des parrainages permet aux collectivités d’exercer un chantage aux subventions sur les maires.
    > Les citoyens n’ayant aucune conscience politique et constitutionnelle reprocheraient à leur maire un parrainage qui n’est pourtant pas une caution, mais l’ouverture démocratique au scrutin, le parrainage ayant juste pour objet d’éviter le fantaisites à la Coluche.
    > les candidats en mal de parrainages sont empêchés de mener campagne, mobilisés sur cette recherche.
    > Si des candidats légitimes n’obtiennent pas les 500 parrainages, la technocratie politique va être très surprise du mouvement des nombreux citoyens emp^echés de voter, qui ne tolèreront pas ce déni de démocratie.

    • A la place de MLP et Z. je me poserais des questions sur la couardise de mes soutiens qui hésitent à me signer des promesses, si ils existent.
      Ils ont peur de ne pas recevoir la subvention pour la piscine, de se prendre la liberté d’expression d’autrui dans les esgourdes, les pressions de la société civile, la responsabilité de leurs actes dans les urnes ?
      Nan mais lol.
      La belle affaire ces petits désagréments lorsqu’on se prétend les sauveurs de la France, je suis impressionné de tant de courage et de conviction.

      • Le parrainage des élus, c’est une sacrée prime aux partis établis. Zemmour n’a aucun élu local. Et pour cause, sa candidature est nouvelle. Le PS, qui en a plein, permet à une gourde, atteignant péniblement 2 %, de concourir.
        Encore un symptôme cruel de la fracture entre le peuple et l’establishment.
        Dans une élection au SU, l’argument de Feldman est imparable : les citoyens doivent avoir le droit de choisir qui peut participer.

  • Ce qui me semble effarant, c’est le poids des sondages dans l’élection présidentielle qui, de fait, justifieraient la candidature des prétendants ! Où est la démocratie dans cette façon de concevoir la représentation électorale?

    • Où serait-elle, la démocratie si des candidats à 0,5 % participaient sans que participent des candidats à plus de 10 % ?
      Le système des parrainages avait pour objectif d’empêcher des candidatures farfelues…
      Une candidature à 15 % d’intentions de votes peut-elle être qualifiée de farfelue ?
      Au passage, quelle serait la légitimité du président élu si certains de ses concurrents de poids étaient absents de la course ?

  • Ah non pitié ! Le libéralisme ne va pas verser lui aussi dans la victimisation ?!
    Quand un journaliste, certes connu, mais à rebrousse-poil de la gauchitude du pays, et dans le même cadre institutionnel que tous les autres, est donné à 15 %, on ne peut pas rejeter la faute sur les autres.
    Il y a un problème intrinsèque avec les parrainages. A minima, il faudrait revenir à un anonymat, au moins partiel. Ou à 100. Ou intégrer les centaines de milliers de conseillers municipaux. Ou faire participer les citoyens.
    Maintenant, pourquoi cette faiblesse de la proposition libérale ?
    J’y vois deux raisons, qui sont les deux côtés d’une même pièce :
    – nous ne sommes pas clairs, en tant que libéraux, sur ce qu’est le libéralisme
    – nous ne savons pas reconnaître un libéral quand il se pointe (ex Koenig).
    Sans doute parce que nous sommes encore infoutus de faire la jonction entre, pour faire court, le libéralisme de droite (économique) et le libéralisme de gauche (sociétal). Beaucoup n’arrivent pas à à s’affranchir de la fracture gauche-droite. Ainsi, ici, la méfiance considérable envers le candidat le plus libéral que nous ayons actuellement, parce qu’il est pour le RU et la libéralisation du cannabis…
    On est mal barré.

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