L’inflation législative : un danger pour l’État de droit (I)

L’inflation législative et réglementaire ou inflation normative, au sens juridique du terme, est l’un des maux qui frappe l’État de droit depuis plusieurs décennies.

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L’inflation législative : un danger pour l’État de droit (I)

Publié le 14 février 2022
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L’inflation législative et réglementaire ou inflation normative, au sens juridique du terme, est l’un des mal qui frappe l’État de droit depuis plusieurs décennies. Accumulation de textes, diminution de leurs qualités, textes bavards, neutrons législatifs, il semble bien que notre système juridique soit envahi de normes, paralysant l’action des citoyens et de l’action publique.

Deux articles seront consacrés à ce sujet. Le premier traitera de l’inflation législative en tant que telle, et le second concernera les remèdes à appliquer pour la réduire, renforçant ainsi l’État de droit.

L’inflation législative comme symptôme d’une passion du droit

L’un des plus grands juristes français, Jean Carbonnier, a dans son ouvrage Droit et Passion du droit sous la Ve République, parfaitement illustré ce « juridisme passionnel » qui frappe notre droit moderne. En effet, la passion du droit prend deux aspects : l’une active où l’on renvoie à l’envie de faire du droit ; l’autre passive où l’on renvoie ici à la passion de regarder du droit, d’attendre que tombe la règle de droit et de la voir comme solution à tous les maux.

La Ve République s’est faite soi-même droit, au point qu’elle a poussé la passion du droit jusqu’à s’identifier à lui. La passion du droit a envahi chaque pan de notre société. Aussi producteur qu’observateur, nous semblons vouloir voir du droit, voir des lois, sous peine de nous sentir livrés à nous-mêmes. Cependant, la loi ne semble plus refléter la sagesse d’antan.

Tandis que Portalis disait dans son Discours préliminaire sur le Code civil que « les lois sont des actes de sagesse, de justice et de raison », la loi semble devenue dans l’ère moderne, une forme de diktat de la majorité parlementaire.

Ainsi Bruno Leoni affirme notamment que le citoyen« s’adapte de plus en plus à l’idée que la législation ne correspond pas à une volonté commune, c’est-à-dire une volonté que l’on suppose partagée par tous, mais à l’expression de la volonté particulière de certains individus et de groupe qui ont eu suffisamment de chance pour mettre de leur côté une majorité contingente de législateurs à un certain moment ».

Comment se caractérise l’inflation législative ?

L’inflation législative prend deux formes : un aspect quantitatif et un aspect qualitatif.

Dans un aspect qualitatif, le droit se dégrade au niveau de la forme amenant à un changement fondamental, la loi n’est plus la proclamation d’une règle générale et pertinente mais devient un procédé de gouvernement ou de gestion, une sorte de note de service à réitérer et réadapter sans répit (Carbonnier)

Dans un aspect quantitatif, cela peut se mesurer aux nombres de nouvelles normes juridiques produites par le pouvoir législatif ou le pouvoir réglementaire.

Il y a inflation législative à partir du moment où la production législative est supérieure à la demande législative. La loi peut satisfaire un besoin réel. Mais c’est quand elle répond à un besoin artificiel que le mécanisme de l’inflation législative est enclenché et s’auto-alimente. Les exemples de besoins législatifs artificiels sont légion, pour ne prendre que des exemples récents, de la loi Halimi sur la responsabilité pénale à la loi Avia, en passant par la réforme de la procédure pénale de 2019, les lois s’enchaînent mais n’arrivent pas à trouver d’articulation entre elles.

Ainsi notre système juridique subit à la fois la prolifération de textes mais aussi la dégradation rédactionnelle de ces textes. Il n’est pas rare d’avoir des « neutrons législatifs » dont la « charge législative » est nulle (Jean Foyer) avec des « lois bavardes » qui ne recherchent qu’un effet d’affichage (Denoix de Saint-Marc). Ainsi, le nombre de textes obligatoires a augmenté de 50 % ces vingt dernières années, dans un contexte de recherche croissance de protection et d’élargissement de la responsabilité, pendant que la qualité rédactionnelle a chuté. Nous dénombrons par exemple plus de 60 000 pages publiées supplémentaires au Journal Officiel en 2021, 90 000 articles législatifs et 240 000 articles réglementaires et entre 200 à 300 modifications des différents codes chaque année.

Comme le rappelle le grand Portalis, « nous raisonnons comme si les législateurs étaient des dieux », or la loi et le règlement ne peuvent pas tout prévoir.

Il s’agit dorénavant de voir les effets de l’inflation normative.

Les conséquences néfastes de l’inflation normative

L’inflation législative a conduit à une instrumentalisation de la loi par le politique, amenant à une dépréciation de sa valeur dans la société. La mise en place au niveau rédactionnel de neutrons législatifs sans aucune charge législative certaine, a obstrué et complexifié les textes normatifs, empêchant une bonne assimilation de ces derniers.

La multiplication des textes et leurs plus grandes complexités ont donc diminué leur assimilation et ont donc conduit à un déficit d’exécution de ces mêmes textes. Enfin, les lois sont le plus souvent frappées par leur obsolescence du fait de leur inapplicabilité. L’activité incessante du législateur conduit à une baisse de la valeur que l’on accorde à la loi. Aujourd’hui le droit ne se découvre plus. Il est produit d’en haut de manière centralisée, en usant de l’argument du « vide juridique », argument fallacieux car le droit ce n’est pas que la loi.

La loi ne peut pas réglementer toutes les situations. Il peut donc exister un vide législatif, mais un vide juridique non. Si la loi n’est pas présente (ce qui est rare), la jurisprudence se chargera de fixer le régime général et les exceptions (comme pour le recours pour excès de pouvoir en droit administratif). Quand on a une loi générale, l’interprétation juridique et la jurisprudence vont occuper l’espace laissé par la loi, faisant de l’interprétation un acte d’intelligence collective.

L’inflation législative amène aussi à une ignorance de la loi du fait de son ineffectivité. C’est la fatalité de l’excès, trop de droit empêche son application totale. Rappelons que seulement 59 % des décrets d’applications nécessaires sont publiés.

La surabondance normative amène à une dévalorisation de la loi ce qui aboutit à deux conséquences : une désobéissance généralisée (je ne peux savoir la loi applicable) et paradoxalement, un besoin législatif qui se renforce car voyant que la loi est inappliquée, le citoyen va solliciter le législateur pour faire une nouvelle loi, qui ne sera pas appliquée non plus, mais l’effet d’affichage aura permis de limiter cette impression d’inefficacité. Ajoutons à cela des considérations économiques. L’OCDE a estimé le coût de la surabondance normative à 60 milliards d’euros.

Conclusion de ce premier article

Pour reprendre les mots de Jean Carbonnier :

« La législation est perçue moins comme la conséquence d’un besoin que comme une réponse à un appel ; la loi n’entend pas régler que les embarras d’un moment, elle entend fonder un ordre ».

Nous avons assisté progressivement à une sorte de « mithridatisation juridique », où « apprendre que la loi va changer, a changé, n’est plus source d’émotions ». La norme juridique doit cesser de chercher de combler des « vides juridiques » qui n’existent pas. Les besoins législatifs doivent être réels pour nécessiter une loi. C’est la prolifération de textes normatifs qui a affaiblit notre système du droit continental, c’est donc ce défaut qu’il convient de corriger.

 

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  • A cela s’ajoute, pour la France, une volonté de substitution de la constitution à la loi, les législateurs connaissant eux-mêmes leur statut de girouettes et tentant ainsi de rendre pérennes des décisions pourtant opportunistes ou imposées par des partenaires gouvernementaux mineurs mais indispensables à la majorité

  • Dans une démocratie libérale, il y a une séparation des pouvoirs. Le gouvernement français gouverne avec les lois, c’est voulu par la V° république. Le premier ministre est l’exécutif et le législatif. Au USA le POTUS est bien séparé du législatif.
    Il faut deux lieux de pouvoir bien séparés, pour permettre à des contre pouvoir de s’exprimer.

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