Le projet Hercule en suspens, un avenir incertain pour EDF

De nombreuses oppositions persistent à l’encontre du projet Hercules, qui permettrait une réforme de l’EDF.

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Le projet Hercule en suspens, un avenir incertain pour EDF

Publié le 31 janvier 2022
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Par François Turenne.
Un article de l’IREF Europe.

En 1946, le Parlement vota à une très large majorité la nationalisation de toutes les activités relatives à l’électricité. L’idée des députés était de créer une entreprise unique et intégrée regroupant les activités de production, de transport, de distribution et de fourniture d’électricité. Ainsi naquit EDF avec la mission de gérer tout le système électrique, de la centrale à la prise.

Puis la construction européenne a fait son œuvre et en 1999 les États membres de l’UE ont acté la libéralisation du marché de l’électricité. Depuis, la France tente de résister aux pressions de la Commission. En l’état, sur le segment de la production électrique, EDF est en situation de quasi-monopole puisqu’il en contrôle plus de 80 %. Cette position dominante déplaît fortement à la direction générale de la concurrence de la Commission qui souhaite y mettre fin.

Pour la satisfaire, le gouvernement de François Fillon est parvenu en 2009 à un compromis avec la mise en place du dispositif de l’ARENH (accès régulé à l’énergie nucléaire historique) mais 12 ans après sa création, il ne contente plus personne.

La Commission exige le démantèlement d’EDF pour garantir une concurrence non faussée

Le mécanisme de l’ARENH, qui doit s’éteindre en 2025, a poussé la Commission à revenir à la charge.

Elle demande la séparation du groupe EDF en plusieurs entités distinctes. L’État, forcé et contraint, avait concrétisé la filialisation – les activités de transport d’électricité au sein de RTE (réseau de transport d’électricité) et les activités de distribution au sein d’ENEDIS – en 2005. Mais la proposition n’était pas complètement en règle avec le droit de la concurrence. La Commission a donc exigé que le gouvernement d’Édouard Philippe lui soumette une feuille de route pour rendre effectif le démantèlement d’EDF.

Les premières esquisses du projet Hercule ont dessiné une séparation du groupe en deux structures : une structure de nature publique qui regrouperait les activités de production (nucléaire et barrages hydroélectriques) et les activités de RTE (réseau et transport d’électricité). L’autre entité devrait contenir les activités d’ENEDIS, renouvelables et rénovation énergétique. En outre, il était prévu que 35 % du capital serait ouvert aux investisseurs privés afin de financer le développement des énergies renouvelables

Cependant, Bruxelles et Paris se sont rapidement affrontés sur la question des barrages.

En effet, la Commission a exigé que les concessions hydrauliques arrivées à échéance fassent l’objet d’appels d’offres publiques. EDF n’en est que gestionnaire puisque les collectivités ou l’État en sont propriétaires. Au contraire de ce que les détracteurs de l’économie libérale professent, il ne s’agit pas d’une privatisation des barrages électriques mais simplement de mettre fin au monopole d’EDF sur leur gestion. Cette demande a fait bondir de nombreux politiques et tout autant les syndicats du groupe puisqu’une ouverture à la concurrence fait craindre que des entreprises chinoises, russes ou américaines puissent remporter des appels d’offres, mettant de fait notre souveraineté énergétique en danger. Cependant le droit de la concurrence permet de limiter les appels d’offres aux entreprises européennes, une solution acceptable en l’espèce. Le Portugal, par exemple, est allé plus loin que la libéralisation des concessions hydrauliques. Il a ouvert à des appels d’offres la propriété et l’exploitation des barrages, une option qui n’a pas été explorée par notre gouvernement. En réponse, Bercy souhaitait placer les barrages dans une quasi-régie publique, les excluant de fait du marché.

N’en déplaise à ses détracteurs, le projet Hercule est vital pour assainir le marché de l’énergie en France. En effet, l’intégration des activités de production d’électricité à base de nucléaire – sur lesquelles EDF est en situation de monopole – avec les activités de fourniture représente une distorsion importante de concurrence.

En premier lieu, parce qu’EDF est en mesure de compenser ses pertes dans le nucléaire avec les recettes provenant des énergies renouvelables. Le marché du renouvelable est juteux et sans risques car l’État garantit un tarif d’achat tout en compensant les pertes des producteurs lorsque les prix de marché sont bas.

En second lieu, parce qu’il vend à bas coût une électricité abondante, qu’il a lui-même produite contrairement à ses concurrents. Le projet Hercule répond donc à cet impératif de garantir une concurrence équitable entre les différents fournisseurs. Enfin, la Commission a exigé que la séparation entre les trois entités – que la direction d’EDF avait acceptée –  soit hermétique – ce qu’elle refuse, comme les représentants du personnel.

De nombreux blocages demeurent

Pour l’heure, le projet est au point mort. La Commission européenne et le gouvernement français achoppent encore sur la question des barrages. Plusieurs éléments empêchent la poursuite des négociations.

En premier lieu, nous entrons en période électorale et il n’est pas du tout porteur pour Emmanuel Macron d’annoncer le démantèlement d’EDF. Les Français restent très attachés à l’entreprise qui est considérée comme un fleuron industriel et une fierté nationale.

En second lieu, les syndicats du groupe sont fortement mobilisés contre le projet de la Commission.

Le gouvernement marche sur une ligne de crête car tout passage en force est exclu. La CGT est notamment majoritaire dans les centrales nucléaires et les barrages hydrauliques. Le syndicat a fait peser la menace d’une grève dans les installations nucléaires, dont l’importance dans la production nationale d’électricité n’est plus à démontrer. Inutile de préciser le pouvoir de nuisance dont ils disposent. Dans le passé, les syndicalistes n’ont eu aucun scrupule à couper le courant dans des grandes villes ou bloquer des centrales nucléaires pour faire entendre leurs revendications. Le gouvernement craint une mobilisation de grande ampleur et une médiatisation du débat à outrance.

Enfin, la classe politique est majoritairement opposée au projet Hercule. L’extrême gauche et la gauche sont opposées à toute libéralisation du marché de l’énergie. La droite souverainiste refuse toute ingérence de Bruxelles dans les affaires françaises. Quant à la droite modérée et au centre, les politiques sont partagés, tous sont attachés à EDF et peinent à voir les avantages du projet.

Pourtant, à terme, le projet Hercule permettra d’approfondir la libéralisation du marché de l’électricité. Il facilitera la transparence des prix et contribuera à limiter les distorsions de concurrence. Sans compter que le contribuable devrait y gagner sur sa feuille d’impôt car l’État sera moins présent au capital d’EDF notamment dans la partie renouvelable.

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