Déclin organisationnel : Florange, le « moment Kodak » du Parti socialiste

Comme Kodak et d’autres grandes organisations avant lui, le Parti socialiste a vécu une grande rupture dont les effets ont mis des années à se faire sentir.

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Arnaud Montebourg en 2013 by Parti socialiste(CC BY-NC-ND 2.0)

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Déclin organisationnel : Florange, le « moment Kodak » du Parti socialiste

Publié le 9 janvier 2022
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Le déclin des organisations s’étale souvent sur de longues périodes, ce qui contribue à rendre sa perception difficile. Mais il arrive qu’un événement particulier le rende évident aux yeux de tous. Cet événement n’est pas nécessairement important, mais sans qu’on sache vraiment pourquoi, il cristallise tout ce qui était en germe depuis longtemps. Pour le Parti socialiste, alors au pouvoir, il semble bien que cet événement soit la gestion calamiteuse de la décision par le groupe ArcelorMittal d’arrêter les hauts fourneaux de Florange en 2012.

« La plupart des gens ne meurent qu’au dernier moment ; d’autres commencent et s’y prennent vingt ans d’avance et parfois davantage. Ce sont les malheureux de la Terre. » Louis-Ferdinand Céline

Le reportage date de 2018 et s’intitule l’Adieu à Solférino. Pour le tournage, les dirigeants et cadres du PS se rendent une dernière fois au siège rue de Solférino. Après le désastre de la présidentielle et des élections législatives, le parti a dû le vendre. Leur interview entrecoupée de passages montrant le déménagement en cours, ils répondent à une seule question : comment avons-nous pu en arriver là ?

 

Florange : un symbole

Un épisode revient dès le début du reportage, celui de la crise de Florange, les hauts fourneaux d’ArcelorMittal. L’annonce de leur fermeture suscite de vives réactions dans le contexte de la campagne présidentielle de 2012. François Hollande, alors candidat, se rend sur les lieux et assure les ouvriers de son soutien. Élu président, il prend directement le dossier en main. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, défend l’idée d’une nationalisation.

Finalement, le 30 novembre 2012, Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, annonce que le site ne sera pas sauvé. Les hauts-fourneaux seront fermés.

Il déclare :

« La faible activité actuelle en Europe ne permet pas d’envisager un redémarrage des hauts fourneaux à court terme ».

Et il ajoute que le gouvernement n’a pas retenu l’hypothèse d’une nationalisation transitoire. C’est la conclusion d’un long et douloureux épisode social et politique, celui de la gestion chaotique d’une industrie en déclin comme notre pays en a connu beaucoup.

Montebourg fustige le manque de courage du gouvernement qui a refusé la nationalisation et conclut que « la fracture du quinquennat a eu lieu ce jour-là ».

Il ajoute :

« Ce jour-là, les ouvriers ont compris que les socialistes, ça ne servait à rien ».

Mais ce jour-là vient de loin…

 

La grande rupture de la gauche

Florange, c’est le révélateur d’une grande rupture que vit la gauche depuis au moins une vingtaine d’années. Une rupture, c’est un changement profond qui rend obsolètes vos modèles mentaux, c’est-à-dire votre façon de voir le monde. Le propre d’une rupture est que ses effets ne se font pas sentir immédiatement, rendant ainsi sa gestion difficile.

La photo numérique est inventée en 1975, mais elle ne tue Kodak, leader de l’argentique, que 30 ans plus tard.

Le low-cost aérien est inventé par SouthWest Airlines en 1972, mais il ne commence à avoir un impact sur les compagnies classiques que durant les années 1990. Quand celles-ci prennent conscience de ce qui se passe, il est trop tard : elles ont laissé le champ libre à Southwest depuis vingt ans.

Il en va de même pour Florange. Lorsqu’il évoque sa décision, Jean-Marc Ayrault indique que tout le monde savait que les hauts fourneaux n’avaient plus d’avenir et que leur fermeture était inéluctable. Il assume donc le fait d’avoir dû prendre une décision difficile, mais nécessaire.

Mais si tout le monde, et en particulier le Parti socialiste, savait depuis des années que ces secteurs étaient condamnés, pourquoi n’a-t-il rien fait ? L’instant Florange, ce n’est pas le moment où les socialistes auraient dû choisir une autre voie, mais le moment où les conséquences de leur absence d’action durant les vingt à trente années précédentes s’imposent à eux. Au moment du choix, il n’y a plus de choix car tout était déjà joué depuis longtemps.

 

Prisonnier d’un modèle mental obsolète

La gauche a bâti son modèle mental lors de la seconde révolution industrielle, celle de l’émergence des grandes entreprises dont il fallait défendre les ouvriers. Le modèle qui émerge est celui de la propriété collective des moyens de production. Il produit à la fois une théorie de création de richesse et une théorie d’un partage équitable de celle-ci. Mais la première se fracasse sur le mur de la réalité, en 1983 en France, et à la fin des années 1980 dans les pays socialistes. Désormais sans théorie de création de richesse, la gauche n’avance plus qu’avec une jambe, celle de la distribution d’une richesse créée par un système capitaliste qu’elle continue de refuser par le verbe, mais qu’elle accepte dans les faits. Mais celle-ci va aussi disparaître car la désindustrialisation, entamée dans les années 1970 et qui s’accélère dans les années 2000, fait disparaître la population ouvrière. C’est ce que documente très bien l’ouvrage La France sous nos yeux. La base sociologique de la gauche a disparu. Son modèle mental est celui d’un monde qui n’existe plus.

Mais comme souvent, le modèle mental de l’organisation en déclin s’est figé en certitude inébranlable, même s’il ne correspond plus à la réalité depuis longtemps, ce qui occasionne des catastrophes. En rendant visite en février aux ouvriers de Florange pour les assurer de son soutien, le candidat François Hollande y souscrit pleinement. Ce faisant, il fait de Florange un symbole, ce qui augmente considérablement l’enjeu du dossier et crée le piège qui se refermera sur lui neuf mois plus tard.

En proposant une nationalisation du site, Arnaud Montebourg y souscrit également pleinement, en entretenant l’illusion que l’État pourrait faire vivre un site en faisant fi de la réalité économique. Prisonniers de leur modèle qui ne correspond plus à la réalité, les socialistes se retrouvent ministres du verbe, chasseurs de symboles, constamment en réaction aux événements, à mener des combats d’arrière-garde, essayant de sauver des secteurs sans avenir.

 

L’exercice du pouvoir des bâtisseurs

La plus grande difficulté dans une crise, en dehors de sa gestion elle-même, est d’en tirer les bonnes leçons. À Arnaud Montebourg qui conclut au manque de courage du pouvoir socialiste face à l’obstacle, on peut facilement rétorquer que la nationalisation n’était qu’une fuite en avant. Elle aurait coûté très cher et n’aurait rien résolu : une manœuvre tactique sans espoir, un baroud d’honneur, face à un problème stratégique.

Il semble d’ailleurs l’admettre à demi-mot, résumant, bien malgré lui sans doute, la distance qui s’est créée entre le modèle mental et la réalité, lorsqu’il déclare :

« Tout l’exercice du pouvoir, non pas des gestionnaires, mais des bâtisseurs, des inventeurs – ce qu’a toujours été la gauche dans l’histoire – c’est d’imaginer comment faire coïncider nos valeurs avec la réalité qui s’y oppose. »

Sauf que Florange souligne combien le PS a cessé d’être un bâtisseur et un inventeur, et se contente désormais de réagir aux événements, et qu’on ne voit pas bien quelles valeurs il essaie d’opposer à la réalité dans cette affaire.

 

Moment Florange, Moment Kodak

Comme Kodak et d’autres grandes organisations avant lui, le Parti socialiste a vécu une grande rupture dont les effets ont mis des années à se faire sentir.

Florange est le moment qui révèle l’ampleur des dégâts et qui interdit de se voiler la face plus avant. Si, désormais, les ouvriers ont compris que « les socialistes, ça ne servait à rien », comme les photographes avaient compris que dans un monde numérique, Kodak ne servait plus à rien, la question de savoir à quoi peut servir le Parti socialiste est désormais une question existentielle. Comme Kodak, qui a échoué, ou son concurrent Fuji, qui a réussi, la seule façon de répondre à cette question est d’interroger son identité, c’est-à-dire de procéder à un examen de ses modèles mentaux à la lumière du monde tel qu’il est, de cette fameuse réalité qui s’obstine à s’opposer à ces valeurs obsolètes.

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  • Sans oublier la réponse très contreproductive de la Loi Florange qui donne à l’Etat le contrôle de sociétés sans avoir à en être actionnaire majoritaire (droits de vote doubles).
    Une spoliation du droit de propriété qui n’incite pas vraiment développer l’industrie.

  • Je pense que le declin du PS vient de plus loin: 1982. C est a l epoque ou Mitterrand tourne le dos a ses engagement et effectue « le tournant de la rigueur »
    A partir de ce moment le PS a vecu sur une dichotomie : un discours de gauche toute dans l opposition et une gestion a l inverse de ses discours une fois au pouvoir.
    Apres il s ajoute des modifications societales (l effondrement de industrie a fait disparaitre les ouvriers. Le PS a essayer de compenser en faisant comme les democrates US : recuperer les LBGT, les feministes, les non blancs). Resultat l electorat blanc populaire (qui lui n a pas disparu: il etait ouvrier, il est maintenant manutentionaire chez amazon) vote FN, les LBGT et autres ne pesent que 3 % et Hidalgo prend une veste comme Hillary Clinton

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