À quel point l’héritage d’Angela Merkel va-t-il peser sur le gouvernement d’Olaf Scholz ?

Il existe une relative continuité entre le gouvernement Scholz et l’époque Merkel. Néanmoins des changements et des défis sont à prévoir.
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Angela Merkel BY EU2017 Estonian presidence (CC BY 2.0)

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À quel point l’héritage d’Angela Merkel va-t-il peser sur le gouvernement d’Olaf Scholz ?

Publié le 2 janvier 2022
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Pierre Baudry.
Un article de The Conversation.

Angela Merkel a incontestablement marqué l’histoire moderne de l’Allemagne. Son arrivée au pouvoir en 2005 et son exceptionnelle longévité – comparable uniquement à celles de Konrad Adenauer (1949-1963) et de Helmut Kohl (1982-1998) – font d’elle une figure centrale de la politique allemande et européenne contemporaine.

Toutefois, après la fin de son dernier mandat en 2021, son parti (CDU-CSU, démocrate-chrétien) et son successeur désigné, Armin Laschet, ont été vaincus dans les urnes.

La nouvelle équipe dirigeante, emmenée par le social-démocrate Olaf Scholz, entend suivre une ligne quelque peu différente de celle des seize dernières années. Mais ce gouvernement, au sein duquel on retrouvera, outre les sociaux-démocrates du SPD, des Verts (Grünen) et des Libéraux (FDP), pourra-t-il totalement prendre ses distances par rapport à l’ère Merkel ?

Le nouveau gouvernement, héritier de l’ère Merkel ?

Il existe une relative continuité entre le nouveau gouvernement et l’époque d’Angela Merkel. La CDU/CSU a en effet souvent gouverné avec le SPD, les Verts et le FDP : Merkel s’était alliée avec le SPD entre 2005 et 2009 puis à nouveau entre 2013 et 2021.

Cette proximité se manifeste d’abord par une certaine continuité entre le style politique de Merkel et celui d’Olaf Scholz, qui fut, sous la chancelière sortante, vice-chancelier et ministre fédéral des Finances de 2018 à décembre 2021. Tous deux se caractérisent en effet par leur pragmatisme, leur sobriété et le soin porté à la maîtrise des dossiers. Cette « Sachlichkeit », mot qu’on peut traduire par « objectivité » et « sobriété », a marqué les négociations entre le SPD, les Verts et les Libéraux qui ont abouti à la mise en place de l’actuelle coalition.

Si Olaf Scholz a pu être qualifié de chancelier « rassurant », cela tient aussi au fait qu’il cherche à afficher la même sobriété que Merkel. De plus, sur le fond, les deux grands partis de gauche et de droite ont défendu sensiblement la même politique : réduction des dépenses publiques, amélioration de la compétitivité, soutien à la démographie, ouverture à l’immigration… Merkel a même repris certains thèmes du SPD pour mieux l’affaiblir et pour démobiliser ses électeurs, rompant ainsi avec les tabous de la droite sur plusieurs thèmes : annonce de la sortie du nucléaire en 2011, accueil d’un million de migrants en 2015, introduction d’un salaire minimum imposé par la loi en 2015.

Les démocrates-chrétiens allemands ont de cette manière fait leurs certaines des revendications historiques du SPD et des Verts. Au plan européen, Merkel a aussi bénéficié du soutien du SPD et des Verts, alors dans l’opposition, au plus fort de la crise de la monnaie unique en 2010. Sans leur soutien, il n’est pas sûr qu’elle aurait pu faire voter les plans d’aide à la Grèce ou la création du Mécanisme européen de stabilité visant à sauver l’euro.

Des possibilités réelles de changement

Mais le bilan de la chancelière ouvre paradoxalement de nouvelles possibilités pour le nouveau gouvernement.

Les nombreuses mesures défendues par la gauche initiées sous Angela Merkel – sortie de l’atome, ouverture à l’immigration, mais aussi mariage homosexuel – permettent à l’équipe Scholz d’aller encore plus loin : décarbonation prévue pour 2030, augmentation du salaire minimum à 12 euros par heure et investissements dans le numérique, l’éducation et la transition écologique qui pourraient s’élever à 100 milliards d’euros en tout.

Ces nouvelles dépenses sont rendues possibles par la bonne santé financière de l’État allemand, dont l’endettement a considérablement baissé sous Angela Merkel. Néanmoins, Olaf Scholz a prévu de maintenir le « frein à l’endettement » inscrit dans la Constitution allemande en 2009 avec l’appui du SPD et qui empêche l’État allemand de dépenser plus d’argent qu’il n’en récolte par les impôts. Les ambitions du nouveau gouvernement sont grandes, surtout en ce qui concerne les Verts qui veulent une économie décarbonée rapidement et prévoient dans leur programme des investissements bien supérieurs à ceux de leurs partenaires. Mais les contraintes légales héritées de l’ère Merkel risquent alors de poser des problèmes à terme.

Au niveau de la politique européenne, le nouveau gouvernement est héritier de la situation laissée par Merkel à deux niveaux. D’abord, il veut maintenir le pacte de stabilité européen et éviter toute augmentation de l’inflation en zone euro. Selon le contrat de coalition établi entre les trois partis, il s’agit même de renforcer les instruments de contrôle des dépenses publiques en Europe. En outre, Olaf Scholz et ses alliés souhaitent continuer à faire usage des souplesses budgétaires introduites lors de la crise du Covid-19 sous Angela Merkel. Sur ces deux points, le nouveau gouvernement s’inscrit dans la suite de la politique menée par l’ancienne chancelière.

Mais Scholz et ses alliés rompent aussi avec la politique de Merkel qui avait lourdement grevé les relations entre l’Allemagne et ses partenaires durant la crise de l’euro. Ils retrouvent une fibre fédéraliste qu’on n’avait plus entendue en Allemagne depuis les années 1990 et les ambitieux plans de Helmut Kohl et de François Mitterrand pour renforcer l’Europe.

Le contrat de coalition entre le SPD, le FDP et les Verts parle ainsi d’un « État fédéral européen ». Le texte affirme aussi :

Nous voulons accroître la souveraineté stratégique de l’Europe. Cela signifie en premier lieu mettre sur pied sa propre capacité d’action dans le contexte mondial et être moins dépendant et moins vulnérable dans des domaines stratégiques importants, tels que l’approvisionnement en énergie, la santé, les importations de matières premières et la technologie numérique, sans pour autant isoler l’Europe.

Olaf Scholz chancelier : quelles conséquences en Europe ? TV5 Monde Info, 8 décembre 2021.

Dans le même temps, Scholz et ses partenaires soulignent leur volonté de maintenir de très bonnes relations avec les États-Unis, comme l’avait fait la CDU/CSU sous Merkel. Ils rompent avec la ligne de relative indépendance par rapport à Washington initiée par Gerhard Schröder, qui avait refusé de participer à la guerre en Irak en 2003. Le ton change surtout sous l’influence de la dirigeante des Verts Annalena Baerbock, qui est désormais ministre allemande des Affaires étrangères et se montre déjà ferme face à la Chine.

Titulaire d’un diplôme en droit public international, elle est connue pour son engagement en faveur des droits humains même si elle fait partie des « realos » chez des Verts relativement pragmatiques. Ainsi, même si Pékin est le premier client des entreprises allemandes à l’international, le gouvernement veut désormais dénoncer les exactions commises contre les Ouïghours et les pressions exercées sur Taiwan. C’est là un tournant par rapport aux gouvernements menés par Angela Merkel.

L’échec de Merkel face à l’AfD risque de peser sur le gouvernement d’Olaf Scholz

Les résultats des dernières élections témoignent d’une volonté de changement de l’opinion publique allemande. Il reste que l’héritage de Merkel pèse lourd. Notamment parce que sa politique a involontairement provoqué l’apparition du parti antisystème Alternative für Deutschland (AfD). Scholz cherche à répondre aux causes qui ont provoqué la progression de ce parti, même s’il est passé de 12 % à 10 % des suffrages entre les législatives de 2017 et celles de 2021, en proposant des mesures de redistribution et un discours fondé sur le « respect » à destination de classes populaires qui se sentent souvent oubliées par les dirigeants politiques.

Mais certaines mesures prévues par Scholz comme la libéralisation des drogues douces, la création de nouvelles voies légales d’immigration ou la volonté que la puissante industrie automobile allemande passe au moteur électrique au risque de détruire des emplois pourraient amener les classes modestes à se braquer. Rien ne dit que Scholz trouvera de meilleures réponses que celles-ci au défi lancé par l’AfD. C’est aussi là que réside le bilan de Merkel…The Conversation

Pierre Baudry, Enseignant et agrégé d’allemand à l’Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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  • « Décarboner » sans faire appel au nucléaire n’est pas un objectif réaliste sauf à accepter la décroissance (corollaire obligatoire à l’écologisme) qui frapperait en premier l’industrie qui « nourrit » la nation Allemande.

    La demande en main d’oeuvre, y compris issue de l’immigration (peu qualifiée) pour remplacer des tâches devant être robotisées, ce dans un marché du travail rendu étroit par ailleurs (Cf ci-dessus), va chuter.
    Cela correspond à faire , quarante ans plus tard, la même erreur que la France, avec les mêmes conséquences: disparition de l’industrie qui sera alors délocalisée dans d’autres pays, perte de la souveraineté etc…
    Le tertiaire ne vit que par, et sur, les richesses des autres.
    Richesses qu’il faut extraire (naturelles) ou créer (transformation).
    Une société de tertiaire n’a pas de « fondations ».

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