Pourquoi vouloir à tout prix punir pénalement les ministres est une impasse

La confusion entre la responsabilité politique et pénale des ministres est source d’un grand nombre de problèmes.

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Screenshot_2020-12-28 (4) A l'Assemblée, colère d'Olivier Véran après le vote sur l'état d'urgence sanitaire AFP - YouTube - https://www.youtube.com/watch?v=XTTP65Pylsg

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Pourquoi vouloir à tout prix punir pénalement les ministres est une impasse

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 22 décembre 2021
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Toutes les crises amènent évidemment leur lot d’insatisfactions, de critiques, toutes légitimes. Mais aussi depuis peu, elles conduisent à une volonté de punir les dirigeants, leur faire porter une responsabilité pénale du fait de leur inaction ou du fait des actions de leurs ministères.

Cette volonté d’aller vers le tout-pénal mène à une impasse. Non que l’auteur de ces lignes soit opposé à la judiciarisation de la vie politique, il reste fermement opposé à la politisation de la justice pénale et considère que c’est au travers de la responsabilité politique que l’action des ministres en temps de crise doit être contrôlée et sanctionnée.

Ainsi, cette volonté de punir les ministres à tout prix, quelles que soient leurs actions, montre surtout la faiblesse de nos institutions dont notamment celle du Parlement qui selon l’article 24 de la Constitution du 4 octobre 1958, « contrôle l’action du gouvernement ». Le cas de la gestion de la Covid-19 offre des similitudes avec l’affaire du sang contaminé.

L’impasse de la responsabilité pénale des ministres

Comme le rappelle très bien Jean-Philippe Derosier :

Il faut éviter l’écueil, non de la judiciarisation de la vie politique, mais bien de la politisation de la vie judiciaire […] Lorsque les faits reprochés sont directement liés à l’exercice de l’action politique, on peut alors considérer que la faute du ministre, quand bien même qualifiée de pénale, n’est pas détachable de son action : c’est une faute de la fonction, rattachable à l’État, non une faute personnelle.

 

Or pour rappel, la faute pénale, seule à même d’enclencher la responsabilité pénale, est une faute personnelle. On ne peut être pénalement responsable pour le fait d’autrui. De plus, pour qu’il y ait infraction, il faut qu’elle soit caractérisée par la loi. Or, le simple fait de ne pas avoir agi vite, de ne pas avoir exprimé tous les problèmes que rencontrait le pays dans cette gestion de crise, ne constitue probablement pas une infraction.

Le Code pénal n’est pas un code moral. Le fait de mentir sciemment en conférence de presse ne peut en aucun cas engager la responsabilité pénale, peu importe le niveau auquel on se trouve dans la hiérarchie politique. Le cas de la responsabilité des ministres s’était aussi posé lors de l’affaire du sang contaminé. Mais encore une fois, la volonté de la « criminalisation de la responsabilité » (O. Beaud) a ici aussi conduit à une conséquence notable, celle de l’irresponsabilité pénale des ministres. Or, c’est au travers du droit constitutionnel et non du droit pénal que la responsabilité des ministres doit être engagée et jamais en temps de crise au travers les mécanismes du droit pénal. La responsabilité des ministres doit ici être politique et non pénale.

Or, pour rappel, on ne peut pas être responsable pénalement pour les faits commis par un ministère. Alors comment faire ? La criminalisation de la responsabilité mène à une impasse que seule la responsabilité politique peut résoudre.

La responsabilité politique comme élément fondamental d’un régime démocratique

L’idée que les hommes politiques doivent payer pour leur mauvaise gestion de crise n’a pas sa place dans un régime démocratique. Leur dette doit être payée non devant le pénal, mais devant les chambres représentatives ou à défaut, d’une chambre citoyenne créée à cet effet.

Or, comme le rappelle le doyen Vedel :

La responsabilité politique a à peu près disparu de notre horizon institutionnel. Actuellement, à l’irresponsabilité du chef de l’État garantie par la Constitution, s’ajoute celle du gouvernement irrenversable, des ministres intouchables. Alors les citoyens, surtout s’ils sont des victimes, remontent le cours de l’histoire. Là où il y a eu impéritie, ils voient, faute d’un aveu, un délit ou un crime. Ils ont tort, mais n’a-t-on pas tous fait pour qu’ils croient avoir raison ?

 

Comme le rappelle André Demichel, le fait de vouloir se rattraper sur le plan pénal est une impasse intellectuelle et une « régression du droit pénal » ou selon Olivier Beaud, « une régression du droit constitutionnel ». En effet, la séparation des responsabilités politiques et pénales des ministres est au cœur même des régimes démocratiques. La responsabilité politique peut se définir comme un mécanisme juridique d’affectation de valeur à une conduite gouvernementale. Elle implique l’obligation pour les gouvernants de répondre devant le Parlement des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions selon une procédure déterminée par la Constitution.

Selon Colin Turpin, deux obligations découlent de cela :

  • une obligation de répondre de ses actes devant le Parlement,
  • une obligation de démissionner si la représentation nationale n’est pas convaincue.

 

Cette responsabilité n’a pas besoin d’être sanctionnée par un juge. La responsabilité politique est « prospective » et « anticipatrice », de par cette souplesse, elle en tire sa force. À la différence de la responsabilité pénale, la responsabilité politique ne trouve pas son fondement dans la loi, mais dans le principe d’opportunité. Ainsi donc, la responsabilité politique d’un ministre pourra toujours être engagée alors même qu’aucun délit ni crime ne peuvent lui être reprochés. C’est ce qui s’est passé lors du sang contaminé et lors de cette pandémie.

L’importance dans ce mécanisme est celui du « principe constitutionnel d’adéquation politique » (Olivier Beaud), autrement dit, l’équivalence fonctionnelle entre l’action gouvernementale et la responsabilité politique. Le domaine de la responsabilité criminelle doit demeurer résiduel qu’en cas de conflit de responsabilité, la priorité doit être donnée à la responsabilité politique. Le juge pénal ne dispose pas quant à lui de la compétence nécessaire au sens technique du terme pour le faire, et le risque est de qualifier pénalement des faits qui ne relèvent pas du pénal, tout cela pour simplement satisfaire le citoyen en quête de réponse.

On ne peut pas souhaiter davantage de responsabilité de la part des ministres et ne le faire qu’en utilisant le droit pénal. C’est selon René de Lacharrière un retour à l’Ancien régime où les deux responsabilités étaient confondues. La responsabilité politique permet la médiation entre la responsabilité morale et la responsabilité pénale et elle permet d’engager la responsabilité des ministres du fait de leur ministère et de son administration.

Le nouveau procès manqué de nos institutions

Comme pour l’affaire du sang contaminé, le cas de la gestion de crise du Covid-19 et ses conséquences politiques montrent une fois de plus la faiblesse de nos institutions face à ces périodes exceptionnelles. La réponse politique fut la création de la Cour de Justice de la République.

Or cette instance a conduit à une criminalisation du fond du droit ce qui caractérise la dépolitisation du système et amené à une politisation du droit pénal par l’application des règles de procédures du droit commun.

La CJR doit être supprimée au profit du juge pénal de droit commun. La grande question est de savoir « qui arrêtera la course effrénée à la criminalisation ? » (Olivier Beaud). Il affirme très justement qu’on peut « faire confiance à l’imagination des procéduriers pour multiplier des plaintes et à l’habilité de certains avocats qui ont bien compris leur intérêt à voir se développer ce contentieux ministériel pénal. »

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  • C’est bien sympathique. Mais quand la négligence du respect de la mission (vérifier honnêtement les objections), doublé d’une connivence évidente à l’égard de conflits d’intérêts patents (cumul de la direction du comité Consultatif National d’Ethique et celle de directeur du Conseil Scientifique pour ne citer que celui-ci) sont mis en perspectives des pertes en vies humaines en toute impunité, consacrant ainsi une totale irresponsabilité politique (le contrôle parlementaire ne fonctionne plus depuis l’alignement des calendriers parlementaire et présidentiel) et un trouble à l’ordre public manifeste, il devient normal et légitime que les citoyens en appellent au pénal pour rétablir la justice et l’ordre public.

  • Sans doute l’action pénale est elle une impasse si l’on s’en tient à la lettre du Droit.
    Mais la lettre du Droit a été largement mise à mal ces dernières années, et plus particulièrement sous le gouvernement actuel : l’ « exécutif » n’est plus du tout un exécutif, mais bien plutôt le prescripteur de la loi, et le « législatif » une chambre d’enregistrement. Où en est le droit constitutionnel ?
    Très peu des ministres actuels convaincus d’illégalités diverses ont eu l’honnêteté de démissionner, où est la solution politique ?
    Si comme on l’entend, cet « exécutif » décide d’un vote électronique, ouvert à toutes les fraudes possibles, où sera la solution politique ?

  • Votre raisonnement est peut-être exact, à condition que nos représentants fassent leur travail.
    Depuis 2 ans, on est en droit de ne pas applaudir nos députés ou sénateurs, qui n’ont fait qu’entériner sans broncher les nombreux mensonges de nos ministres.
    Je veux bien admettre que Véran n’ait pas affaire à la justice, à condition qu’il assume ses mensonges et qu’il démissionne ou soit démissionné. Or, il est clair qu’il restera jusqu’au bout.
    On ne peut pas accepter un poste de ministre et avoir moins de responsabilités que n’importe quel chef d’établissement industriel !

    • désolé le problème est l’acceptation de la dérive institutionnelle.. donc la faute collective…
      c’est comme faire porter le poids de la violence policière aux usa sur le compte de mauvais policières;.

      la réalité est que si nous avons une forme de révolution reposant sur la volonté du peuple…

      nous aurons PIRE… le peuple ne veut plus de l’éat de droit..

  • La théorie juridique de l’auteur ne fonctionne que si le parlement est autre chose qu’une caisse de résonance de l’exécutif.
    Mis à part décaler les élections législatives de la présidentielle, je ne sais pas comment obliger les institutions à faire correctement leur travail.

    • Oui, sans doute le fond du problème.
      Redonner son sens à notre Constitution en restaurant les contre pouvoirs.
      Cela passe évidemment par la déconnexion des mandats du Président (7 ans) et des parlementaires, et par conséquent la nomination des membres du Conseil d’Etat et du Conseil Constitutionnel.
      Restaurer l’esprit de la Vème république, telle que souhaitée par son fondateur, c’est tout.

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