Défense européenne et OTAN : favorisons la décentralisation

Une réponse décentralisée, plutôt qu’une impossible défense européenne peut être la réponse à la nouvelle configuration géopolitique.

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Défense européenne et OTAN : favorisons la décentralisation

Publié le 10 octobre 2021
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Par Alexandre Massaux.

Les débats sur l’OTAN et la défense européenne n’en finissent pas. Le secrétaire général actuel de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a critiqué les pays désireux de renforcer la défense européenne, lié à une crainte de voir des organisations concurrentes émerger. Cette situation n’est pas nouvelle, la secrétaire d’État américaine de Bill Clinton, Madeleine Albright avait formulé les mêmes craintes à la fin des années 1990.

Mais dans le même temps, les États-Unis souhaitent que les Européens investissent davantage dans leur défense, une position qui n’était pas spécifique à Donald Trump.

Si les décisions de l’OTAN sont prises à l’unanimité, il n’empêche que la géopolitique interne à l’Alliance tourne en faveur des États-Unis. Quand ces derniers sont un bloc uni qui représente la majorité des dépenses de défenses des membres, il n’est pas étonnant qu’ils aient l’avantage sur une Europe désunie.

Néanmoins, face à des États-Unis qui se recentrent sur la Chine et qui sont entrés en guerre froide avec elle, on peut se poser la question du rôle des Européens dans l’Alliance. Le risque que ceux-ci soient poussés vers des conflits contraires à leurs intérêts peut devenir important.

Plutôt qu’une impossible réponse européenne, une politique décentralisée en matière de défense peut être la réponse à cette nouvelle configuration géopolitique.

L’impossible défense européenne

Il est courant de comparer la construction européenne aux États-Unis dont la puissance exerce une certaine attirance sur la scène internationale.

Sauf que l’histoire des États-Unis n’est pas celle de l’Europe. L’Amérique est une nation de colons liés par l’histoire de la découverte et la conquête du Nouveau Monde. Ce passé colonial les unit malgré la diversité des Américains.

Les pays européens ont une histoire millénaire marquée par de nombreux conflits et divisions. L’émergence des États-nations suite au traité de Westphalie de 1648 a renforcé cette pluralité de cultures et d’intérêts politiques.

S’il est tentant de vouloir surmonter le passé, ce dernier reste et continue d’influencer les situations actuelles.

Ce faisant, les intérêts des différents membres de l’UE sont très différents en matière de défense et sont liés à leur passé.

La France souhaite consacrer sa politique extérieure sur l’Afrique voire le Proche-Orient, à savoir son ancien empire colonial où elle conserve une influence.

À l’opposé, la Pologne reste préoccupée par la Russie, à la fois un de ses adversaires historiques et un envahisseur (avec le traumatisme de l’occupation communiste). Sans oublier la forte attention de Varsovie vis-à-vis de l’Ukraine qui fut jadis une partie du territoire polono-lithuanien.

Et au milieu, l’Allemagne reste frileuse sur redéveloppement de sa défense, toujours traumatisée par la Seconde Guerre mondiale.

Une telle situation aboutit pour la France à vouloir une Europe plus présente pour l’épauler en Afrique, la Pologne étant en recherche d’un protecteur face à la Russie, lequel pourrait être les États-Unis à travers l’OTAN compte tenu de la méfiance envers l’Allemagne et la France depuis la Seconde Guerre mondiale. Et l’Allemagne se satisfait du parapluie américain pour ne pas avoir à gérer la délicate question politique d’un développement militaire.

L’exemple de ces trois membres illustre toute la difficulté à obtenir une union en termes de défense. Sachant que l’UE en compte 27 depuis le Brexit, il est aisé de comprendre toute la difficulté d’établir une défense à son niveau.

Par conséquent, les initiatives européennes se révèlent très limitées et sont davantage des éléments de coopérations sur des points précis. Le fait est que rien ne remplace l’OTAN ou n’est susceptible de le faire dans un futur proche. Mais cette situation reste liée à la volonté de Washington qui est au final la clé de voûte des questions militaires quand celles-ci prennent de l’ampleur.

La décentralisation de la défense européenne

L’historien François Géré a proposé que l’Europe choisisse une stratégie de non-alignement. Ce choix intéressant permettrait effectivement aux pays européens de défendre leurs intérêts. Toutefois, pour les raisons citées ci-dessus elle ne pourra pas se faire au niveau de l’ensemble des membres de l’UE.

Le non-alignement devra suivre une logique de coopération entre les États membres voulant adhérer à cette stratégie. Une meilleure coopération politique entre ceux qui la partagent (et qui pourrait être formalisée par un traité, comme le propose François Géré) serait une piste potentielle. D’autant plus qu’à l’instar des non-alignés de la guerre froide, ce non-alignement pourrait être un vecteur d’influence qui permettrait d’y faire adhérer des pays à travers le monde. Cette logique géopolitique serait bien plus efficace que la « puissance normative ».

Néanmoins pour qu’une telle stratégie fonctionne et agisse dans l’intérêt des Européens certains critères doivent être respectés :

  • Réponse ferme envers les actions agressives de la Chine contre l’Europe et les pays nécessaires aux intérêts français. La réduction de la dépendance envers Pékin doit aussi être privilégiée.
  • Maintien des liens avec les États-Unis quand nos intérêts économiques, politiques et culturels concordent.
  • Rapprochement des pays d’Europe centrale qui tendent à se positionner derrière les États-Unis par défaut de confiance envers l’Europe de l’Ouest.
  • Stratégie avant tout nationale et non pas dépendante d’une autre grande puissance. La coopération est une chose, la dépendance en est une autre.
  • Coopération et non pas injonction entre alliés. L’une des plus grandes faiblesses de la politique européenne française est que son discours se transforme vite en injonctions mal accueillies par la critique (on l’a vu lors des discussions sur le budget).

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  • S’il est un domaine ou l’hétérogénéité de l’europe est magnifiée c’est bien la défense.

    Aller se battre et risquer sa vie ce n’est pas un métier, c’est aussi avoir la volonté d’aller jusqu’au sacrifice de sa vie. Même si la nation, et son corollaire le patriotisme, n’est, surtout à note époque, pas forcément une raison suffisante de risquer sa vie, l’europe est bien loin d’apparaître comme une incitation suffisante.

    Comme souligné dans l’article chaque pays européen, ayant une histoire, même récente, différente, n’envisage pas les risques de la même manière. Certains ont une tradition de neutralité, n’ont aucunement la volonté de devenir une « grande » nation.
    L’Allemagne à cet égard restreint cette notion à l’économie de manière exclusive.
    Parlons de la Pologne : comment les polonais pourraient ils oublier le fameux slogan : nous n’irons pas mourir pour Dantzig…

    A ce jour l’OTAN sert de ciment entre les pays européens !
    Hors OTAN aucune stratégie commune de défense n’existe.

    Il est temps de revenir à une politique volontairement nationale avec l’indépendance dans les moyens, de défense ce qui n’exclut pas, celles-ci étant impératives, des alliances raisonnées, s’appuyant sur des visions communes et des complémentarités.
    Le non alignement pourra alors exister.

    A titre d’exemple : le FAMAS (somme toute pas une mauvaise arme) était fabriqué en france. Depuis un peu plus d’un an nos forces sont équipées de fusil-mitrailleurs Allemands. Quid de l’approvisionnement en pièces, voir en armes en cas de conflit ? (Les respirateurs fabriqués en Allemagne ont eu bien du mal à franchir leur frontière à l’armée de l’épidémie de COVID en 2020…)
    De même les munitions pour ces armes sont TOUTES fabriquées à l’étranger (la comparaison avec les masques anti-COVID au printemps 2020 est encore pertinente).

  • Le seul frein à une Union de la Défense européenne est économique.
    Le France est un pays qui à une forte Industrie militaire et souhaite que son Industrie bénéficie de cette défense.
    La Pologne n’achète que du matériel américain, croyant ainsi (à tord) qu’en cas de conflit les États-Unis entreront en guerre à leur côté (mais les USA ne font que des guerres qui ne risquent pas de s’exporter sur leur territoire).
    Les Allemands achètent aussi leur armement principalement américain car les USA est le premier importateur de l’Allemagne. L’Allemagne ne veut ainsi pas fâcher son principal partenaire d’exportation (Trump n’a d’ailleurs jamais taxé les kolossal Wagen allemandes à l’importation car l’Allemagne aurait pu ne pas commander ses F35).
    Beaucoup d’autres pays européens achètent aussi le matériel américain pour pour ces 2 raisons.
    La France a pris conscience que les USA n’interviendraient pas en cas d’agression de la Russie contre l’Europe, et souhaiterait une Industrie de défense européenne qui aiderait sa propre industrie.
    Tant que ces 2 postulats (non intervention dans une guerre en Europe et fin du chantage à l’exportation vers les USA) ne seront pas acceptées par les pays de l’Europe, aucune défense européenne n’existera. Les autres raisons ne sont que conjoncture et bla bla.

  • Et l’Europe doit se défendre contre qui déjà ?
    Où est l’ennemi, ha oui, il est imaginaire, la Russie par exemple et on se demande bien pourquoi elle irait envahir quelqu’un, la Chine peut être.. Franchement, c’est du délire, de la paranoïa.

  • Quand j’entends à droite et à gauche dire que des militaires français, souvent de haut rang, se penchent très sérieusement sur la possibilité d’un conflit intérieur dans les dix ans, en lien évidemment avec la situation catastrophique au plan sécuritaire dans un nombre grandissant de « quartiers », je me dis qu’à un moment il faudra définir les priorités. Défendons-nous déjà nous-mêmes avant de songer à défendre les autres.

  • Il y a deux armées « réelles » en Europe: la française et l’anglaise!
    Jusqu’à présent, elles s’entendaient bien et se faisaient confiance.
    Espérons que ça continuera, sinon, les pays européens pourront dire adieu à leur existence. Il serait également bienvenu que les pays cessent d’acquérir du matériel américain croyant que les USA viendront à nouveau les sauver via l’Otan. Vous imaginez les turcs sauver les autrichiens par ex sans réimporter l’islam?

  • « Sauf que l’histoire des États-Unis n’est pas celle de l’Europe. » C’est exactement ça le problème que beaucoup négligent ou refusent de considérer et qui finissent par créer des tensions et des dissensions.

  • Les commentaires sont fermés.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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