Les maires français demandent plus de décentralisation

Les maires français ont soif de décentralisation, mais le manque d’autonomie et leur dépendance à l’égard de l’État constituent des freins considérables. Pour y remédier, Raul Magni-Berton propose de décentraliser par la subsidiarité ascendante.

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Source : wikimedia

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Les maires français demandent plus de décentralisation

Publié le 13 décembre 2023
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Être maire en France est de plus en plus difficile. Depuis juin 2020, on estime le nombre de démissions à environ 1300, soit plus encore que pendant la mandature précédente qui avait déjà atteint un record.

La récente sortie de la dernière vague de l’enquête de l’Observatoire de la démocratie de proximité de l’Association des maires de France, et du CEVIPOF sur les maires de France offre quelques informations utiles pour comprendre ce qu’il se passe.

Pourtant, les éléments qui ressortent semblent à première vue contradictoires.

 

Les maires veulent plus de décentralisation ?

D’un côté, trois maires sur quatre pensent qu’il faut « aller plus loin dans la décentralisation » et, parmi eux, 59 % pensent même qu’il faut « aller beaucoup plus loin vers plus de libertés (ou compétences) locales ». Ils sont 84 % à penser que les communes doivent pouvoir choisir librement les compétences qu’elles transfèrent à l’intercommunalité.

Aussi, placés face au dilemme entre différencier les décisions politiques locales au nom l’efficacité, et les uniformiser au nom de l’égalité, 86 % des maires choisissent la première option. Clairement, la décentralisation plaît aux maires, et ils sont prêts à assumer davantage de responsabilités.

D’ailleurs, ils voient les contraintes posées par l’État central comme un obstacle majeur.

Les relations de plus en plus complexes avec les services de l’État sont mentionnées en deuxième position (par 12,3 % d’entre eux) pour expliquer la démission massive qui a touché les maires ces dernières années. Cette complexité de la relation peut en partie s’apprécier par le fait que 64 % d’entre eux pensent qu’il y a trop de doublons entre les services de l’État et ceux des collectivités territoriales.

 

Un divorce entre les maires et leurs administrés ?

De l’autre côté, beaucoup de problèmes des maires viennent des administrés.

D’après 71,7 % d’entre eux, le niveau d’exigence des citoyens est trop élevé. Depuis 2020, ce score n’a pas cessé d’augmenter. Ce qui est d’ailleurs la principale raison (selon 13,6 % d’entre eux) pour laquelle ils tendent à massivement démissionner.

Mis côte à côte, ces deux constats affichent une information paradoxale : d’un côté, les maires désirent avoir davantage d’autonomie et de liberté dans leur fonction ; et de l’autre côté, ils désirent être moins tenus pour responsables par leurs administrés, qu’ils considèrent trop exigeants.

Un esprit malintentionné pourrait les soupçonner de vouloir la liberté sans responsabilité, et en faire, en fin de compte, des irresponsables. En réalité, pour ceux qui connaissent la réalité dans laquelle évoluent les maires, ces réponses sont tout à fait logiques, et il n’y a pas lieu d’être soupçonneux.

 

Des maires submergés par l’administratif…

Les réformes territoriales qui ont commencé sous le quinquennat de François Hollande et qui se sont poursuivies jusqu’à aujourd’hui ont modifié par le haut l’organisation et les compétences territoriales. Les communes ont perdu toute marge de manœuvre financière, avec les suppressions successives des taxes qui bénéficiaient aux communes, comme la taxe professionnelle ou la taxe d’habitation. Cette dépendance accrue des revenus de l’État a été associée à la perte d’un grand nombre de compétences qui ont été transférées aux intercommunalités ou à d’autres échelons territoriaux.

Dans l’ensemble, le travail d’un maire n’a pas diminué, mais sa partie purement administrative a augmenté au détriment de sa dimension politique. Avant toute action, un maire doit étudier les milliers de lois, décrets et circulaires qui encadrent l’action des communes, il doit demander l’autorisation de l’État, et parfois des régions et de l’intercommunalité, il doit siéger non seulement au conseil municipal, mais aussi au conseil communautaire.

Pour autant, ces réformes territoriales n’ont pas été suivies par des réformes électorales. Les citoyens votent toujours directement aux élections municipales, et non aux élections intercommunautaires, car ce sont les élus municipaux qui siègent aux conseils communautaires. Or, les citoyens demandent des comptes à ceux qui ont été élus par eux, non aux autres. C’est le principe même de l’élection : rendre les élus responsables devant les électeurs.

 

L’insoutenabilité de la dépendance des maires à l’égard de l’État

Que se passe-t-il quand les élus ne peuvent plus rendre des comptes aux citoyens, simplement parce qu’ils sont privés des compétences pour pouvoir choisir leur politique ?

Tout d’abord, ils souhaitent retrouver les responsabilités suffisantes pour pouvoir rendre des comptes à leurs électeurs. Ou alors, ils souhaitent que l’attribution des responsabilités soit plus claire aux yeux des citoyens, afin qu’ils puissent adresser leurs demandes aux personnes réellement responsables.

Aujourd’hui, il est impossible de prédire l’organisation territoriale française à partir des élections. Du fait de leur invisibilité électorale, certains corps prennent des décisions importantes sans faire face à la sanction électorale – parmi lesquels les conseils communautaires, et plus traditionnellement les préfets. À l’inverse, les maires sont tenus responsables de ce que l’État ne leur permet pas de faire. Il est évident que cette situation est intenable.

 

Vers une décentralisation basée sur le principe de subsidiarité ascendante ?

Concentrons-nous, alors, sur la demande la plus massive qui ressort de cette enquête.

Pas moins de 84 % des maires souhaitent que les communes doivent pouvoir choisir librement les compétences qu’elles transfèrent à l’intercommunalité, en assumant la différenciation entre communes qui s’ensuivrait. Cette demande appelle au principe de la subsidiarité ascendante, qui consiste à initier les transferts de compétences par le bas, plutôt que par l’État central. Ces choix – qui est compétent et pour quoi – sont cruciaux, et les laisser aux maires – qui sont surveillés de près par leurs conseils municipaux, et sanctionnés par leurs électeurs – serait une garantie de bon sens et de transparence dans leur gestion.

Une évolution vers ce type de décentralisation basée sur le principe de subsidiarité ascendante n’est pas seulement une demande des maires, mais aussi des citoyens.

D’après un sondage du CSA mené il y a trois ans, au début de la pandémie du covid, les mêmes questions posées aux maires l’ont été à un échantillon représentatif de Français. Si 74 % des maires veulent davantage de décentralisation, parmi les citoyens cette opinion identique est partagée par 75 % d’entre eux. Pour une fois qu’aucune fracture est observée dans les opinions des élus et les citoyens, il faut s’en féliciter, et se mettre au travail pour décentraliser la France de façon plus consensuelle.

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  • La décentralisation a la française consiste à transférer des activités vers les communes mais l état garde un droit de regard a travers ses services déconcentrés autour des préfectures
    Face à cet échec patant, seule la subsidiarité peut réussir avec la suppression des préfectures et des annexes et donc une bonne cure light
    Vu la propension française a l irresponsabilité, cette solution que tous nos voisins ont adopté va demander une grande révolution culturelle car elle va concerner tous les domaines l EN la santé la culture les transports le logement la police la justice le travail…..
    Notre bureaucratie et notre corporatisme vont frénétiquement des 4 fers……

    • Un droit de regard tout théorique si j’en crois ce qu’a pu faire une commune de ma connaissance.
      En toute impunité.
      Et dont les conséquences pourraient être dramatiques – genre fatales – pour certains administrés.

  • Surtout pas.
    Ils sont déjà suffisamment puissants, surtout retors, comme cela. Et bien trop nombreux.
    Un bon maire est un maire sans pouvoir.

    • Tout à fait d’accord. Quand on voit que sur certaines communes, tout les 400m il y a un rond point et des dos d’ânes illégaux sur chaque voix ; ou que les maires se considèrent au dessus des lois. Pendant que les gueux sont tondus et doivent prendre les magnifiques transports en commun, nos maires ont une voiture de fonction avec chauffeur. Quand on voit comment Paris, Nice, Lyon, etc se sont endettés pour des délires de mégalomanie des maires, il est urgent de les mettre sous tutelle. Car ils ne risquent aucune sanction pour créer de la dette aux habitants.

      • Tous les maires ne sont pas ainsi. Le mien est très bien et travaille parfaitement pour sa commune. Ses administrés, dont il est proche, lui font confiance depuis plusieurs années et sont toujours très nombreux à venir voter lors des élections municipales.

        • Que diriez-vous de l’échanger contre le nôtre ?
          Trêve de plaisanteries, ça montre que la subsidiarité n’est pas la réponse…

          • Comment se fait que tous nos voisins européens ont adopté la subsidiarité avec un plein succès ????
            Les conservateurs français parfois reactionnaires osent s appeller libéraux….

        • Il faut lui demander de donner des cours à Estrosi, Hidalgo, et autres parasites mégalomanes.

  • Quand en 2020 le maire de Sanary confinait à 10m des maisons, cela ne donne pas envie de leur donner les pleins pouvoirs. Prudence.

  • Je pense, que les gens ont vu le pouvoir des maires pendant la covide du moins je l espère.
    De toute façon, président, député, maire ect
    une fois élus , je décide circuler rien à voir cher citoyens .

  • Les hommes ont la volonté de rendre service jusqu’à ce qu’ils en aient le pouvoir (Vauvenargue)
    Tout homme tend à aller jusqu’au bout de son pouvoir (Thucydide)
    Tout est dit.
    L’honnête citoyen n’a que faire de responsables politiques disposant de plus de pouvoir. Bien au contraire.

    • La France a besoin d actions pas d adages……quelle appétence insatiable pour perorer et pour couper les cheveux en quatre pour ne strictement rien faire……
      Bel exemple de la procrastination française que l on retrouve partout

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