Les États-Unis, la puissance et la guerre (1)

Comment la guerre a fait grossir l’État américain depuis sa fondation.

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Les États-Unis, la puissance et la guerre (1)

Publié le 7 septembre 2021
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Par Gérard-Michel Thermeau.

La guerre est associée à la puissance des États depuis les débuts de l’histoire.

Les États-Unis ne font pas exception à la règle. L’évacuation catastrophique de l’Afghanistan par les forces américaines marque-t-elle le début du déclin de la puissance américaine ? S’il est difficile de le dire, ce cafouillage peu glorieux est l’occasion de revenir sur l’irrésistible extension de la puissance de l’État américain associé à la guerre depuis le début du XIXe siècle.

Cette montée en puissance est étroitement liée à l’ascension du président dont les pouvoirs constitutionnels, vagues et incertains à l’origine, ne vont cesser de se renforcer. En fait, l’histoire militaire américaine est faite pour l’essentiel de guerres menées à l’initiative personnelle du président.

Chaque guerre, ou presque, a renforcé le pouvoir présidentiel au détriment des autres organes constitutionnels. Le nombre des fonctionnaires fédéraux, les dépenses de l’État et les champs d’intervention du gouvernement fédéral ont augmenté en proportion.

Cet article en deux parties ne vise pas à donner un tableau exhaustif de la politique étrangère américaine mais à mettre l’accent sur le rôle des guerres et de la rhétorique guerrière dans la montée en puissance de l’État fédéral et du pouvoir exécutif.

 

La guerre de M. Madison

Dès 1812, trente ans après la reconnaissance officielle de leur indépendance, les États-Unis se lancent dans leur première guerre agressive à l’initiative du président Madison (1809-1817). La tentative de « libérer » le Canada de la domination britannique sera un fiasco. Les Américains se révèlent incapables d’empêcher l’armée anglaise de prendre et d’incendier Washington. Mais en août 1814, il n’y avait pas grand-chose à brûler à Washington si ce n’est quelques édifices officiels plantés au milieu de nulle part.

La ville ne compte guère plus de 15 000 habitants soit moins que Saint-Étienne à la même époque. L’ascension de Washington va être tributaire de la puissance croissante de l’État fédéral. Elle sera d’abord très lente : la reconstruction du Capitole n’était pas achevée en 1860.

 

La guerre de James Polk

Jusqu’à la guerre civile, l’armée américaine compte des effectifs insignifiants.

La seule guerre sérieuse devait consister à envahir le Mexique et à prendre Mexico en 1847. Elle fut plus heureuse que la « guerre de M. Madison ». Derrière cette première mise en application de la « Destinée manifeste », l’expression était neuve, nous trouvons un président aujourd’hui bien oublié, James K. Polk (1845-1849). Ce misanthrope sournois à la santé chancelante n’avait, semble-t-il, vécu que pour exercer un mandat présidentiel, qu’il avait annoncé unique et qu’il voulait pour cela exceptionnel.

Pour joindre les deux rives océaniques, le président avait proposé aux Mexicains d’acheter leurs vastes territoires du Nord, très peu peuplés et mal contrôlés. La manœuvre ayant échoué, un prétexte habilement mis en scène par les gringos permit de justifier une nouvelle guerre agressive. Une armée de 60 000 hommes, en grande partie constituée de volontaires, suffit pour balayer des adversaires mal armés, mal équipés et mal commandés. Les Mexicains durent céder la moitié de leur territoire qui vont constituer huit des actuels États américains.

Pour le reste, l’armée américaine menait des escarmouches contre les nations indiennes au fur et à mesure de la progression vers l’Ouest. La variole et le whisky se révélaient toutefois plus efficaces pour faire disparaître les « sauvages » devant l’avancée impitoyable de la civilisation.

 

La guerre civile, un moment fondateur

La guerre civile qui éclate en 1861, provoquée par l’élection d’Abraham Lincoln (1861-1865), va changer la donne.

L’armée régulière comptait moins de 20 000 hommes. Pour la première fois, l’État fédéral doit mettre sur pied des armées de type napoléonien comptant des centaines de milliers de combattants. Au volontariat, dont l’efficacité diminue avec la durée et l’intensité du conflit, l’État fédéral se voit contraint de mettre en place une conscription impopulaire.

La faiblesse de la cavalerie et la médiocrité de l’artillerie expliqueront largement le caractère peu décisif de la plupart des très nombreuses batailles de cette guerre confuse qui va durer quatre longues années. Les Américains apprennent à faire la guerre « à l’européenne ». Mais cette armée, devenue endurcie à la fin du conflit, est dissoute dès la paix obtenue.

 

Une tyrannie limitée

En dépit des discours contre la « tyrannie » de Lincoln, le rejet de la conscription fut beaucoup plus fort dans le Sud que dans le Nord. De même, l’interventionnisme étatique devait se manifester avant tout dans la Confédération. Le Sud défendait l’État limité en paroles mais dans les faits, une économie planifiée était mise en place avec des résultats désastreux. Au Nord, l’État laissa le secteur privé libre d’agir et la prospérité n’empêcha nullement de fournir tout ce qui était nécessaire à la guerre. Mais une des conséquences les plus importantes fut le développement du papier monnaie, les fameux « billets verts », quasiment inexistants jusqu’alors.

Sinon, les élections eurent lieu régulièrement et comme chacun sait, les soldats de l’Union votèrent massivement en faveur de Lincoln en 1864. En tout cas, le débat entre les droits des États et l’autorité de l’État fédéral était clos. Les armes avaient parlé. Si à la veille de la guerre de Sécession, Washington n’avait guère plus de 75 000 habitants, la population a presque doublé dix ans plus tard.

 

La fin de la frontière

Les officiers qui demeurent dans la minuscule armée professionnelle se voient rétrograder : les généraux se retrouvent capitaines. Durant les vingt années qui suivent la seule activité militaire consistera à refouler les Indiens et à achever la conquête de l’Ouest. Une armée de 25 000 hommes est alors bien suffisante. Les affrontements importants sont rares.

L’humiliante défaite de Little Big Horn (1876), la veille de la célébration du centenaire de l’indépendance, résulte de circonstances exceptionnelles. Plusieurs nations indiennes s’étaient pour une fois alliées et avaient combattu des forces américaines dispersées. Le dernier Indien à résister, l’Apache Geronimo, mènera une « guerre » avec une poignée d’hommes pourchassés par plusieurs milliers de soldats américains avant de se rendre en 1886. Pendant le siècle de luttes contre les Amérindiens le nombre total de tués et blessés de l’armée américaine ne dépasse guère 2000.

Mais c’est avec la fin proclamée de la « frontière » que le destin international des États-Unis va se manifester.

 

Le goût de l’Empire

En 1898, les Américains chassent les Espagnols de Cuba et des Philippines. Comme devait l’écrire un journaliste du Washington Post : « Le goût de l’Empire est sur nos lèvres ».

À Cuba, Théodore Roosevelt bâtit sa légende de héros qui lui permettra d’accéder à la Maison Blanche. Il devait être le premier président ouvertement impérialiste. Sur le continent américain la doctrine Monroe va servir de prétexte à des interventions directes ou indirectes.

Le fameux discours du président Monroe (1823) était resté longtemps lettre morte. Il avait été réactivé au lendemain de la guerre de Sécession pour contraindre Napoléon III à évacuer le Mexique occupé par les Français (1867). Mais désormais résumé au slogan « l’Amérique aux Américains » la doctrine permet de faire de l’Amérique latine la chasse gardée des États-Unis.

 

La Destinée manifeste à l’échelle du continent

Le continent américain est baptisé « l’hémisphère occidental » dans le langage diplomatique de la Maison-Blanche. Théodore Roosevelt (1901-1909) lance la construction du canal de Panama et inaugure la politique interventionniste en Amérique centrale à Saint-Domingue, à Haïti, au Nicaragua et à Cuba.

Comme il le déclare devant le Congrès en 1904 :

Dans l’hémisphère occidental, l’adhésion des États-Unis à la doctrine de Monroe peut les pousser… à exercer, bien qu’à contrecoeur, un pouvoir de police internationale.

En 1912 le secrétaire d’État Elihu Root, le modernisateur de l’armée américaine, en ajoute une couche :

Notre destinée manifeste comme contrôleur du destin de toute l’Amérique est un fait inévitable et logique.

Le capitalisme de connivence connait ses beaux jours avec la United Fruits qui fonde un Empire en Amérique centrale assurant 60 % des importations de bananes. Les Banana wars (1898-1935) amènent les Marines à intervenir régulièrement en Amérique centrale pour préserver la sécurité des intérêts américains.

Dans l’Entre-deux guerres, les firmes yankees supplantent les Européens comme fournisseurs en produits manufacturés et le marché américain devient le marché principal pour les matières premières. La diplomatie du dollar s’accentue : Standard Oil domine l’industrie du pétrole, La National City Bank contrôle les banques centrales des pays caraïbes.

 

La puissance impériale, fille des guerres mondiales

L’arrivée dans le Pacifique, rêve ancien, coïncide en revanche avec l’éveil militaire de l’Empire du Soleil Levant qui annexe la Corée et convoite la Chine. Si les Américains participent à la prise de Pékin aux côtés des Européens et des Japonais pour libérer les légations assiégées par les boxers (1900), ils se montrent hostiles au dépecage de la Chine. Partisans de la « Porte ouverte », ils songent avant tout au marché chinois qui se révèle à cette époque une chimère. Mais ils vont, dès lors, se trouver en rivalité avec un Japon aux appétits insatiables.

De 1890 à 1950, Washington connait sa plus forte croissance de 230 000 à 802 000 habitants. Ensuite, le centre-ville va perdre des habitants au profit de la périphérie. C’est durant le New Deal de Roosevelt que la ville voit la construction du plus grand nombre d’édifices officiels, de mémorials et de musées. Les deux guerres mondiales transforment la grande puissance économique en grande puissance impériale.

 

Wilson premier président messie

Entrainé malgré eux dans la Grande Guerre en 1917, en raison de la guerre sous-marine menée par l’Allemagne et des tentatives malheureuses du IIe Reich d’entraîner le Mexique dans un conflit avec leur grand voisin, les États-Unis apportent un appui décisif à l’Entente au printemps 1918. Pour la première fois, un président américain quitte le sol des États-Unis pour l’Europe.

Woodrow Wilson (1913-1921), le grand homme de la Conférence de Paris, impose aussi l’anglais comme langue diplomatique aux dépens du français. Mais les rêveries fumeuses du presbytérien de Virginie se heurteront au machiavélisme des politiciens européens. S’il obtient le Nobel de la Paix, son projet de Société des Nations est rejeté par le Sénat américain.

Dominé par les républicains, la grande république semble retourner aux délices de l’isolationnisme sous les présidences de Harding et surtout de Coolidge. Dès la guerre gagnée, « L’armée nationale » avait été dissoute, comme en 1865. En réalité, les États-Unis, soucieux de se faire rembourser les dettes contractés par les alliés, ne pouvaient rester insensible à la question des « réparations » allemandes.

 

Le rôle fondamental de Frankin Delano Roosevelt

Mais l’Empire américain connait avant tout son envol avec le second Roosevelt, Franklin Delano (1933-1945).

Porté au pouvoir par la grave crise des années 1930, il en profite pour renforcer le pouvoir fédéral aux dépens des États. Il contribue aussi à faire du président le personnage essentiel des institutions américaines en se faisant élire quatre fois. La Maison Blanche prend le pas sur le Capitole. Le président ne supporte aucune opposition, pas même celle de la Cour suprême. Il menace d’augmenter le nombre des juges pour la soumettre.

La « guerre » contre le chômage en particulier et la pauvreté en général justifie le « Big government ». Sous le New Deal, diverses mesures plus ou moins improvisées vont dessiner les contours d’un État-providence. Les fonctionnaires fédéraux se multiplient. La politique rooseveltienne tant vantée, et qui bénéficie de films de propagande hollywoodiens, ne saura pourtant guère un succès et la Seconde Guerre mondiale, avec le réarmement, en masquera l’échec. Seule la mise en place d’un service militaire pour la première fois dans l’histoire américaine enraye la remontée du chômage qui se manifeste dès 1938.

Si côté Amérique latine le « bon voisinage » succède au « big stick » cher au premier Roosevelt, les États-Unis vont être entrainés dans la Seconde Guerre mondiale.

 

Une guerre soigneusement prévue

À la différence de la Grande Guerre, le président s’était parfaitement préparé au conflit. Même s’il avait tenu des discours lénifiants pour se faire élire une troisième fois en 1940, rompant avec la tradition limitant à deux les mandats présidentiels, il n’en croyait pas un mot. Dès septembre 1940, le service militaire permet de mettre sur pied les premiers éléments d’une armée de guerre.

Le président obtient du Congrès le vote de la loi prêt-bail du 11 mars 1941. Le pays livre ainsi armes, produits et même renseignements et brevets sans exiger de paiement immédiat aux Britanniques. Le 10 avril 1941 les États-Unis prenaient en main la défense du Groenland qui restait sous souveraineté danoise et le 8 juillet des troupes américaines débarquaient en Islande. Le 11 septembre Roosevelt donnait ordre aux navires de guerre d’attaquer tout navire de l’Axe pénétrant la zone de défense américaine.

Il ne restait plus qu’à attendre l’occasion favorable pour se concilier l’opinion américaine. L’attaque surprise japonaise sur Pearl Harbor le 7 décembre 1941 suivi de la stupide déclaration de guerre d’Adolf Hitler laissaient les mains libres à Roosevelt. L’armée américaine devait atteindre des effectifs jamais vus avec plus de huit millions d’hommes.

 

Les conséquences de la Seconde Guerre mondiale

Le financement de la guerre se fait non seulement par l’emprunt mais aussi par la généralisation de l’impôt sur le revenu et la mise en place de taxes sur les sociétés. Les États-Unis vont fournir 60 % des avions et des munitions de la Grande Alliance. S’ils paient largement en vies humaines le combat contre l’Allemagne nazie, les soviétiques bénéficient de plus de neuf milliards de dollars de matériel de guerre américain. Par ailleurs, avec les travaux sur la bombe atomique, les programmes de recherche fondamentale prennent des dimensions gigantesques.

Les Américains dessinent surtout le monde de l’après-guerre enterrant l’isolationnisme. Les accords de Bretton-Woods, le FMI et l’ONU en sont les fruits.

Pour la première fois dans l’histoire américaine, le président « regarde l’ensemble de ses citoyens comme un « potentiel humain » qu’il convient d’employer au mieux des intérêts militaires »1. C’est la conséquence de la « guerre totale ».

 

Les États-Unis n’ont pas fini d’intervenir

Soucieux d’économiser les vies américaines, d’en terminer au plus vite et d’empêcher les Soviétiques de s’impliquer dans la guerre du Pacifique, Truman autorise le largage de deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki le 6 et le 9 août 1945. Désormais l’Océan Pacifique est, pour plusieurs décennies, un lac américain.

Mais le conflit a mis en lumière le rôle stratégique du pétrole. Les États-Unis vont mettre les pieds au Moyen-Orient et se trouver confrontés à des intérêts contradictoires. D’un côté, ils veulent sécuriser les approvisionnements pétroliers, par des liens étroits avec l’Arabie saoudite. De l’autre, ils vont adopter une attitude pro-israélienne. Cela va les obliger à de grands écarts. Ayant mis au pas les anciennes puissances coloniales qui croyaient pouvoir jouer dans la cour des grands en 1956, les États-Unis n’ont pas fini d’intervenir, surtout pour le pire, dans cette région du monde.

Le champ d’action de l’armée américaine était désormais mondial. Nous en verrons les conséquences dans la seconde partie de cet article.

  1.  Bertrand de Jouvenel, Du pouvoir.
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