Par Philippe Silberzahn.
Un modèle mental plane sur les efforts de transformation organisationnelle, en particulier sur ceux qui ne progressent pas, celui de la faute des autres. Lancé en fanfare par la direction générale, le plan est mené par un cadre plein d’avenir qui, assez rapidement, fait face à ce qu’il nomme une résistance au changement.
Il s’aperçoit que malgré des messages positifs son grand projet ne soulève guère l’enthousiasme et s’en trouve fort marri. Il se retrouve en général seul à la cafétéria à manger ses carottes ou face à sa bouteille pour ressasser ses échecs. Il n’y a pas de fatalité, mais pour éviter de telles tragédies, celui qui essaie de transformer doit commencer par admettre qu’il est souvent son pire ennemi, et le pire ennemi de la transformation.
Le rituel est immuable. Chaque fois que j’anime un séminaire sur la transformation organisationnelle ou sur l’innovation, je commence toujours par demander aux participants, typiquement des cadres dirigeants, de m’indiquer la raison qui explique, selon eux, le blocage actuel de leur organisation. Qu’est-ce qui les empêche de se transformer ou d’innover ? Au hit-parade des réponses, la « résistance au changement » figure en haut du tableau.
Ainsi, Étienne est cadre dans une grande entreprise française du CAC40. Il y a quelques mois, il a été chargé par la direction générale de piloter un projet de transformation digitale très important. Mais ce projet s’est rapidement enlisé et Étienne a été invité à se mettre au vert en suivant une formation pour approfondir ses connaissances en management.
Quand je lui demande les raisons de cet échec il m’explique : « J’ai été victime de la résistance au changement. Je pensais que les gens comprendraient la nécessité de changer. »
Transformation organisationnelle : le modèle mental de la résistance au changement
Le terme de résistance au changement est très révélateur d’un modèle mental particulier. Aidé du reste des participants, nous faisons vivre un moment un peu difficile à Étienne en le creusant.
D’abord il traduit la croyance selon laquelle il suffit que les gens comprennent la nécessité de changer pour qu’ils le fassent. Si c’était vrai, les régimes amincissants marcheraient à tous les coups.
Il s’agit là d’une conception purement intellectuelle du changement, et partant très réductrice. Je peux penser que le changement est nécessaire, mais ne pas agir parce que ce n’est pas mon intérêt ou parce que je trouve le risque trop important, entre autres causes.
Ensuite, et sans remonter à la Seconde Guerre mondiale, résistance au changement évoque un rapport de force entre ceux qui progressent et ceux qui résistent. Les gentils et les méchants. Ceux qui savent ce qu’il faut faire et ceux qui ne savent pas ou pire qui ne veulent pas, alors qu’ils savent aussi. Les innovateurs et les conservateurs.
Pas un seul instant Étienne ne doute de la justesse de son diagnostic et de ce qu’il doit faire. Et d’ailleurs, il agit à la demande de la direction générale, ce qui devrait suffire à ce que tout le monde se mette au garde à vous ! Pas une seule fois il ne se met à la place de ceux qui ont à subir sa volonté de changement et qui, surtout, en subiront les conséquences lorsqu’il en aura terminé et qu’il sera passé à un autre poste, fort de son succès dans le projet de transformation.
En formulant ainsi l’enlisement de son action, il ne se met pas à leur place et ignore que même s’ils sont conscients de la nécessité de changer, ils ont aussi des contraintes de gestion au quotidien sur lesquelles ils sont évalués.
Par exemple, personne ne sera contre la modernisation de la gestion des commandes grâce à un système informatique connecté au site internet. Mais le responsable des commandes aura avant tout pour mission que le flux des commandes ne soit pas perturbé par le projet.
Il percevra donc clairement le risque de celui-ci à court terme, même s’il lui est favorable dans le principe. Ce n’est pas de la résistance au changement, c’est une attitude responsable de prudence de quelqu’un qui a une lourde responsabilité au sein de l’entreprise.
En substance, ce responsable a deux engagements sincères : un engagement de progrès par la modernisation du système de commandes, qu’il partage explicitement avec Étienne, et un autre engagement, qui sera sûrement plus implicite parce qu’évident pour lui, de protection du flux actuel de commandes. Il existe un conflit entre les deux. Mais, il faut insister sur ce point, le responsable les marque tous les deux de façon sincère.
Il est exactement dans la même situation que ceux qui veulent sincèrement maigrir, mais qui craquent régulièrement pour un cocktail, un plat de pâtes ou une tablette de chocolat pour se remonter le moral, et se font d’amers reproches le lendemain. Maigrir et avoir bon moral sont deux engagements sincères, mais conflictuels, dès lors que l’on croit qu’une bonne dose de calories est la seule façon de se remonter le moral.
Ensuite, en concluant que si son projet échoue, c’est à cause de la résistance au changement, Étienne invente une faute qui n’existe pas et la rejette sur les autres. Son modèle mental lui ferme des portes de progrès possible. Cela lui procure certes un confort psychologique et une rationalisation, mais infondées : l’échec est en fait de sa faute.
J’ai connu beaucoup d’Étienne : c’est de la faute de mon chef, c’est de la faute de la finance qui bloque tout, c’est de la faute des investisseurs qui ne pensent qu’au court-terme (très à la mode en ce moment), du marketing qui ne comprend rien, de mes collègues qui refusent de collaborer, des clients qui ne comprennent pas le génie de mon produit. Enfin bref, c’est toujours la faute des autres.
Le premier travail dans une démarche de transformation consiste toujours à commencer par reformuler le modèle mental pour quitter le diagnostic binaire bien/mal, méchants/gentils, et surtout s’affranchir de l’idée qu’il y a quelque part un coupable, que c’est la faute de quelqu’un. C’est très rarement le cas, ou plutôt s’il y a faute, c’est celle de celui qui formule le problème en ces termes.
Ne pleurez pas sur ce que vous aimeriez avoir, faites avec ce que vous avez
Le second travail, très lié au premier, est de se remettre dans l’équation. Quelles que soient les erreurs des autres, leur mauvaise volonté, leur stupidité, leur soi-disant résistance au changement ou leur court-termisme, Étienne doit comprendre qu’ils ne sont pas dans la pièce. Il se complait à pleurer sur ce qu’il aimerait avoir, « Ah si seulement mon chef était comme ci, si le marketing était comme ça… » Mais il doit comprendre que ça ne servira à rien. Il n’a pas la main sur ces gens-là . Il n’a aucun contrôle sur eux. Il se trompe en outre sûrement complètement sur leur véritable motivation.
Ne soyez pas comme Étienne, ne pleurez pas sur ce que vous aimeriez avoir, faites avec ce que vous avez. Ne cherchez pas un coupable ou un responsable d’une situation donnée, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour la changer. La seule question à se poser pour commencer à changer les choses, c’est « Qu’est-ce que j’ai sous la main et qu’est-ce que je peux faire avec ça ? »
Essayez de construire des petites victoires en trouvant des alliés, plutôt que de vous attaquer à un ennemi imaginaire.
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Le responsable de l’échec de 99 % des projets de transformation n’a rien d’imaginaire, c’est le chef d’entreprise qui se la joue Ponce Pilate en ne soutenant pas le changement.
Si j’en crois ce billet , le porteur du changement devrait être une sorte de superman mélange improbable de Talleyrand, Machiavel et Boudha capable de transcender l’organisation sans aucune sorte de pouvoir effectif sur les autres.
Good luck with that…
Une organisation qui dépasse les 30 personnes subit la loi des grands nombres ou vous aurez FORCEMENT des gens qui seront contre votre idée de changement pour les raisons les plus diverses ,et ce quelle que soit votre charisme.
Donc oui, la réalité sans filtre , c’est qu’un changement réussi passe par la coercition, et c’est le chef d’entrerpise qui a ce pouvoir car la quasi totalité des blocages seront causés par les cadres intermédiaires, pas par les gens de terrain.
Et rien ne dit que l’idée du porteur de changement est bonne.
Les salariés « géniaux » sont aussi nombreux que les sélectionneurs d’équipe de France.
Non rien ne le dit. Mais quand on apporte le changement on doit se battre constamment dans la pente pour le faire accepter du début à la fin.
Rien ne dit non plus que les contradicteurs sont géniaux non plus , mais eux n’ont jamais à se justifier.
Les Marines disent qu’un leader doit cultiver un biais pour le changement parc qu’une organisation par nature se conserve elle même et décourage le changement, même pour son bien.
Quand on se lance dans un projet de changement , on met ses bijoux de famille sur la table comme on dit.
C’est très rarement du génie, ou même de l’originalité.
C’est très souvent voir les mêmes problèmes que tout le monde mais avoir le courage de les prendre à bras le corps plutôt que de regarder ailleurs.
Dans mon expérience il y a très peu d’employés qui font ca . Peux être 3 ou 4 pour 1000 pas plus.
Très bonne idée de la part du management de les envoyer au hachoir.
L’article ne dit pas si Etienne avait le soutien ou non de sa hiérarchie. On peut supposer, contrairement à ce que vous dites, qu’il l’avait ; mais que le projet a échoué malgré ca. Dans les très grosses organisations, souvent les leaders ont moins de pouvoir de coercition et d’action qu’on ne l’imagine ! Ce que peut faire un patron de grosse PME n’est pas toujours à la portée d’un grand patron, par exemple d’Air France, d’Areva ou d’Airbus !