Par Cécile Philippe.
Un article de l’Institut économique Molinari
À rebours de l’idée dévastatrice d’une « société sans usine », où la valeur se créerait d’abord dans la recherche, la communication et le marketing, Xavier Fontanet montre que la créativité opérationnelle, financière, marketing, informatique, juridique et technologique se nourrissent mutuellement, et qu’elle repose sur un sens du collectif.
Onze ans après avoir quitté ses fonctions de président directeur-général, Xavier Fontanet a pris la plume pour expliquer dans un ouvrage l’essor fulgurant d’Essilor au cours des deux décennies pendant lesquelles l’entreprise se mondialise et devient un leader incontesté du marché du verre ophtalmique.
Cela ne s’est pas fait sans gros efforts, nous dit l’auteur, mais ce qui émane avant tout de ce livre, c’est un enthousiasme sans limite pour l’exploration et la conquête de parts de marché qui alimenteront une croissance industrielle durable, capable d’aligner les intérêts de toutes les parties prenantes : clients, collaborateurs, partenaires, fournisseurs, et actionnaires.
Essilor, entreprise provinciale
Essilor est une entreprise provinciale devenue leader mondial. En cette période difficile qui pose question sur la capacité française de préserver sa souveraineté, cet ouvrage est rafraîchissant. Il n’est sans doute pas possible de bien comprendre l’entreprise Essilor si on ne comprend pas bien les intérêts qu’elle sert.
Elle est au service des personnes qui ne voient pas bien. Globalement, les Asiatiques sont assez myopes, en particulier les Chinois qui ont des yeux trop longs. À l’inverse, les Indiens auraient plutôt les yeux trop courts, c’est-à -dire qu’ils sont hypermétropes et deviennent presbytes.
Partout, il faut pouvoir traiter les différents problèmes de vue qui varient aussi en fonction de l’âge. Or, nous explique Xavier Fontanet, des technologies différentes répondent à ces problèmes qui obéissent, qui plus est, à des structures de marché distinctes selon les pays.
Verre ophtalmique
À partir de la décision de recentrer l’activité d’Essilor autour du verre ophtalmique en abandonnant les contacts et les montures, l’entreprise va se focaliser exclusivement sur les verres. Elle va investir massivement dans le remplacement du verre minéral (celui de nos vitres) par des verres organiques et le verre progressif.
Ce que l’on voit bien dans le livre, c’est comment ces innovations augmentent le service rendu aux individus. Le verre CR39 inventé par René Granperret, co-fondateur d’Essilor, « ne cassait pas, était beaucoup plus léger et coupait mieux les UV que les verres minéraux. » Ce sont eux qui ont rendu possible la réduction de l’épaisseur des verres des personnes souffrant de myopie.
Quant aux progressifs, il va sans dire que le service rendu par ces verres qui permettent de voir de près, de loin et de manière intermédiaire est lui aussi indéniable.
Le succès d’un collectif
C’est autour de ces atouts qu’a pu s’exprimer le génie de personnes comme Xavier Fontanet et celui de cette multitude de collaborateurs que l’ancien PDG nous fait découvrir, dans un hommage qui donne presque le tournis. Cela enfonce bien l’idée dans la tête du lecteur que la réussite d’Essilor est avant tout celle d’un collectif.
Comme le précise Fontanet : « On vous dit souvent : Attention, personne n’est irremplaçable… Je ne suis absolument pas d’accord, les personnes sont clés. »
Et effectivement, la conquête par Essilor des marchés américains, chinois, indien, coréen, japonais, australien sud-américain reposait, au-delà des joint-ventures et acquisitions, sur les personnes que l’entreprise a su s’attacher.
La description de l’embauche de He Yi pour la direction en Chine est particulièrement savoureuse. Il avait implanté les yaourts Danone dans l’Empire du milieu et semblait ouvert à de nouveaux défis.
Fontanet raconte, qu’informé de l’opportunité un vendredi soir alors qu’il est en voiture avec toute sa famille pour aller passer un week-end en Normandie, il n’hésite pas à faire demi-tour sur l’autoroute pour prendre un avion pour Hong-Kong le soir même et boucler l’embauche le lendemain. Quand Fontanet parle de travailler dur, il le sait et incarne et ce dont il parle.
Et c’est d’ailleurs une des marques de fabrique de la maison, dont on peut espérer qu’elle est toujours à l’ordre du jour, celle d’être véritablement capable de pratiquer la méritocratie.
Comme l’écrit l’auteur :
« Ce qui compte, c’est d’avoir contribué […] Cela me rappelle mon arrivée en 1991… On ne me présentait pas les gens en me donnant leur poste – directeur de ceci ou directrice de cela, on me disait : celui que vous allez rencontrer, c’est celui qui a démarré l’usine de Manaus, c’est celle qui a conçu le soft qui a permis dans les années 2000 de gagner un jour sur les livraisons… Essilor est une vraie méritocratie. »
Deux clés essentielles
Ouvrage de stratégie
La saga Essilor est un ouvrage de stratégie décrivant les enjeux liés à la mondialisation d’une entreprise. Mais c’est aussi l’histoire d’une entreprise industrielle allant à l’encontre de l’idée dévastatrice d’une « société sans usine », où la valeur se créerait avant tout dans la recherche, la communication et le marketing.
Comme le montre bien le livre, la créativité opérationnelle, financière, marketing, informatique, juridique et technologique se nourrissent mutuellement. Séparer la production du reste, c’est se couper les ailes de la créativité.
La France est aujourd’hui l’un des trois pays les plus désindustrialisés d’Europe et n’arrive pas à organiser une décrue massive de ses impôts de production, en dépit des ravages qu’ils font. Elle devrait méditer ce bel exemple français de création d’un champion industriel national devenu mondial et se demander comment faire en sorte d’en avoir plus.
—
Retrouvez ici les articles de Xavier Fontanet dans Contrepoints.
Le titre du livre ne serait-il pas « Conquérir le monde avec son équipe : La fabuleuse histoire d’Essilor (1990-2013) » ?
Sauf erreur de lecture trop rapide, pas indiqué dans l’articulet qui donne envie de le lire.
Il y a quand même une petit aspect “capitalisme de connivence” dans la réussite d’Essilor. Les verres ophtalmiques en France sont à un prix astronomique. Acheter des lunettes de lecture : Sur prescription médicale (remboursé par la Sécu et les mutuelles – zéro reste à charge – c’est gratuit ! – Non ce sont nos cotisations qui payent) c’est 200 € plus. Les mêmes sur Internet c’est 30 € max. ce qui permet aux opticiens d’être rentables avec quelques (une certains disent) paire de lunettes par jour.
La réussite d’Essilor, c’est d’avoir transformé cette base nationale (aucun risque et des marges hallucinantes) en succès international dans un monde compétitif.
C’est le même principe pour les grands des travaux publics, mais aussi pour des entreprises qu’on n’attendrait pas là (SNCF et RATP à l’international qui répondent à des appels d’offres vraiment compétitifs, en s’appuyant sur des bases arrières (en France) assises sur des situations monopolistiques. Ça marche aussi pour EDF, avec de temps en temps des déboires.
Ce n’est pas immoral, les américains font pareils. Mais ce n’est pas non plus le libéralisme éthéré.
C’est pas faux. J’achète des lunettes de lecture à 2 € sur le marché et on devait trouver des lunettes pour myope au même tarif.
Heureusement il y a internet..
une réussite avec nos impôts en somme ?
L’industrie de la Suisse de 8 millions d’habitants a dépassé en valeur absolue celle de la France de 67 millions.
C’est aussi grave que ça.
Cet article tombe à un moment où Essilor est en train de se faire manger par Luxottica. “Conquérir le monde avec son équipe” devrait être changé en “comment se faire absorber quand on est numéro 1”.
De Profundis : Essilor est devenue Luxottica. Fermez le ban…
une de plus …