Derrière le problème des « trolls de brevets », celui des brevets eux-mêmes

OPINION : le rôle théorique des brevets n’est pas celui qu’ils ont dans la réalité. Le problème n’est donc pas les trolls de brevets, mais le concept de brevet.

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Derrière le problème des « trolls de brevets », celui des brevets eux-mêmes

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 13 mai 2021
- A +

Par Thomas L. Knapp.
Un article du Center for A Stateless Society

Selon Apple Insider :

Alors qu’Apple se prépare à se défendre dans une affaire de violation de brevet en Europe qui pourrait lui coûter des millions, la compagnie et son rival Google sont tous les deux allés demander à la Cour Suprême des USA de permettre d’infliger des pénalités sévères à l’encontre des plaintes triviales.

Eh bien, il était temps. Mais le problème avec la position d’Apple est qu’une plainte pour violation de brevets – ou un brevet en lui-même – qui ne soit pas triviale, ça n’existe pas.

Il est vrai que les litiges sur les brevets sont devenus de plus en plus absurdes ces dernières années, mais en tant qu’acteur majeur dans cette absurdité (ayant, entre autres idioties, déposé – et reçu ! – un brevet sur les appareils rectangulaires avec des coins arrondis), Apple n’est pas vraiment en position de se plaindre.

Leur produit vedette, la gamme Macintosh, a commencé par une copie, trait pour trait, de l’interface utilisateur aux périphériques (vous avez entendu parler des souris ?) du système 1981 Star de Xerox. Et ils ont rapidement poursuivi (avant de s’arranger avec) Amazon pour leurs « droits » sur le terme app store. Alors s’il vous plait, ne donnons pas trop de crédit aux inquiétudes d’Apple sur les « trolls de brevets ».

Même si les brevets remplissaient le rôle que l’on nous vend, à savoir « sécuriser pour un temps limité un droit exclusif pour les inventeurs sur leurs créations » comme écrit dans la Constitution américaine, ils resteraient une très mauvaise idée. Que l’on puisse posséder un idée est absurde, et personne n’y accorderait la moindre crédibilité si ce n’était pas appliqué le flingue sur la tempe par l’État.

Mais le rôle théorique des brevets n’est pas celui qu’ils ont dans la réalité.

Leur utilité réelle est de restreindre la compétition et de limiter l’innovation afin de fournir un avantage économique – c’est-à-dire un monopole sur la fixation du prix – pour établir quelles firmes, grâce à leur capacité de payer (pardonnez mon manque de délicatesse ; je crois que le terme que je cherche est lobbying) des politiciens, bureaucrates et juges, peuvent alors s’offrir le plaisir d’éviter la compétition du marché sur le prix ou la qualité.

Il y a quelques dizaines d’années, je travaillais pour un constructeur de bateaux connu. Un été, j’ai passé plusieurs semaines à faire de la manutention – remorquer des bateaux pour maintenance et les ramener, ce genre de choses – pour le nouveau designer de bateaux que la compagnie avait recruté pour assembler un prototype « suffisamment différent » du dernier bateau qu’il avait conçu pour une autre firme afin d’éviter ou tout du moins pouvoir facilement gagner des procédures de « violations ». Je ne sais pas combien cette « mise en conformité » (et tout litige futur) représente sur le coût de chaque nouveau bateau, mais il n’y a aucun doute que le prix de vente en était affecté.

En d’autres termes, les brevets sont une taxe indirecte pour les consommateurs. Les monopolistes des brevets peuvent faire payer plus cher car le gouvernement se charge de leur supprimer toute concurrence. Et si ces concurrents arrivent à mettre des produits sur le marché, ces produits sont plus chers car il aura fallu dépenser davantage pour les licences d’exploitation ou pour contourner les « violations », ou pour payer des assurances afin de se protéger contre le risque de litige sur les brevets.

La plainte d’Apple, au fond, est que les trolls de brevets se contentent d’acheter des droits, puis cherchent des infractions sur lesquelles ils peuvent récupérer de l’argent, au lieu de s’embêter à créer de nouveaux produits. Mais pourquoi ne devraient-ils pas le faire ? Si comme Apple voudrait nous le faire croire les brevets sont un instrument de marché légitime, alors les trolls exploitent cet outil plus efficacement qu’Apple ne le fait, n’est-ce pas ?

Le problème n’est pas les trolls de brevets, le problème est le concept de brevet.

Traduction de The Problem Isn’t “Patent Trolls.” The Problem Is Patents. par Thomas L. Knapp.

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  • « Que l’on puisse posséder un idée est absurde »

     » Un pour cent d’inspiration, 99 / 100 de transpiration »

    • Une idée n’est pas une invention. Les idées ne peuvent pas être brevetées. L’auteur de l’article fait preuve de mauvaise foi sur ce point. Ou alors il n’a pas compris ce qu’est un brevet.

      • « Les idées ne peuvent pas être brevetées »
        Ne devraientpas être brevetables.
        Anecdote parmi des dizaines: IPIX qui vendait cher un abominable logiciel de construction de panoramiques à partir de photos a réussi à breveter non pas son procédé minable mais l’idée même de mettre à disposition, y compris en freeware, tout programme concurrent. Il a fallu attendre la faillite de ce monument de médiocrité pour voir émerger le superbe Hugin panorama creator gratuit qui circulait jusque là sous le manteau.

  • Même bonne, une idée n’est pas forcément commercialisable immédiatement. Il faut passer par toute une phase d’étude du produit lui-même et de son processus de fabrication. Cela peut revenir cher.
    Le monopole conféré par le brevet permet de vendre le produit à un prix relativement élevé, permettant de rentabiliser sa production.
    Sans le brevet, il suffirait aux concurrents d’acheter quelques exemplaires du produit pour le copier, et le vendre à un prix concurrentiel car ne prenant pas en compte les frais de recherche et développement. Le créateur initial en serait pour ses frais. En conséquence, personne ne se risquerait dans l’innovation.

  • Merci en tout cas pour l’illustration, je n’avais jamais remarqué auparavant combien la pomme pouvait ressembler sous certains angles à un doigt d’honneur…

  • Il est 2 sortes de brevets : ceux des pauvres et ceux des riches . . . .

  • Sans vouloir donner un cours de droit de la propriété industrielle, il me semble indispensable de fournir les éléments suivants afin de permettre une réflexion sur des bases présentant un minimum de solidité.

    1) Le droit de la propriété intellectuelle dispose que les idées sont de libre parcours et que seule leur matérialisation – à condition qu’elle réponde à un certain nombre de critères – peut faire l’objet d’une appropriation, en application de l’un ou l’autre des droits de propriété intellectuelle, essentiellement un droit d’auteur, un brevet ou un dessin ou un modèle.

    Regretter que l’on puisse posséder une idée témoigne simplement d’une méconnaissance totale des principes élémentaires du droit de la propriété intellectuelle qui ont été définis depuis de nombreuses décennies pour ne pas dire de tous temps.

    2) Il ne faut pas confondre « Patents » [brevets] et « Design Patents » [dessins & modèles] qui sont deux droits tout à fait différents.

    Précision nécessaire pour corriger la regrettable sémantique anglophone, source de confusion en raison de la polysémie du terme « Patent » :
    – le terme anglophone « Patent » signifie « Brevet » ;
    – le terme anglophone « Design Patent » signifie « Modèle » (lequel, pour être précis, se subdivise en 2 catégories qui sont régies par les mêmes textes, à savoir :
    . les « Dessins » [outil de protection des créations à caractère esthétique en 2 D ; ex : un motif de tissu] et
    . les « Modèles » [outil de protection des créations à caractère esthétique en 3 D ; ex : la forme d’un flacon].

    3) Une des différences fondamentales entre les brevets et les modèles est que les premiers protègent une invention, à savoir une « création » (objet ou processus) à caractère technique alors que les seconds protègent l’aspect esthétique d’un objet (en 2 D ou en 3 D) à l’exclusion de ses caractéristiques techniques ou utilitaires.

    Dans les litiges à répétition entre Apple et Samsung relatifs à la forme de leurs ordiphones respectifs, le droit concerné est celui des modèles (protection de formes à caractère esthétique en 3 D).

    Fondées en grande partie sur des prémisses juridiquement fausses ou confuses, les thèses soutenues dans cet article sont pour le moins fragiles et contestables.

    4) Enfin, fondamentalement, les droits de propriété intellectuelle représentent un compromis entre deux impératifs opposés :
    – garantir un retour sur investissement aux inventeurs, auteurs et autres créateurs, faute de quoi personne ne consacrerait du temps ou de l’argent à inventer ou à créer, fait contraire à l’intérêt général : cette garantie se matérialise par l’octroi d’un droit exclusif de durée variable selon les catégories (brevet, dessin ou modèle, marque, droit d’auteur, etc.) ;
    – assurer une mise à disposition de tous de ces nouvelles créations et inventions en évitant que les titulaires de droits de propriété intellectuelle abusent de leur monopole : cela se manifeste essentiellement par une limitation des droits exclusifs dans le temps et/ou des conditions au maintien de certains droits, comme la possibilité de faire radier une marque si elle n’a pas été utilisée au cours des 5 dernières années.

    En clair, il s’agit non de « valeurs absolues », comme l’égalité entre les sexes, mais de compromis entre des intérêts antagonistes qui peuvent différer selon la situation des pays : on concevra que la France soit particulièrement motivée pour protéger les appellations d’origine, que les pays économiquement avancés souhaitent donner la plus grande étendue possible aux brevets dont leurs entreprises tirent des revenus conséquents tandis que les pays les moins développés préfèrent que la protection des brevets soit limitée le plus possible parce qu’ils n’en « produisent » guère et que l’importation de produits ou services brevetés leur coûte cher. Il n’existe donc pas de solution parfaite ou incontestable : récuser cela est faire preuve d’enfantillage ou de mauvaise foi.

    Cette opposition et d’autres critères, y compris philosophiques, expliquent la vigueur des débats : il faut simplement être conscient que le curseur entre droits exclusifs et absence de protection peut être positionné de multiples façons selon le point de vue de la personne promouvant telle ou telle solution. En clair, il s’agit d’arbitrages et de compromis donc d’une pluralité envisageable de solutions juridiques matérialisées dans les textes (lois, traités, etc.) Tout compromis est par nature « boiteux » et « contestables » : les décisions de justice (la jurisprudence) permet parfois de préciser voire de facto de rectifier tel ou tel point.

    • @Liger Merci, vos commentaires devraient tout simplement remplacer l’article original dont la thèse est mal définie et contestable.

      • @Sagal : merci de cette flatteuse appréciation.

        J’exerce depuis 35 ans le métier de conseil en propriété intellectuelle et ai donné pendant 20 ans des cours de sensibilisation à cette matière à des non juristes dont le travail est impacté par cette matière. De ce fait, seul ou lors d’échanges enrichissant avec mes auditoires, je suis amené régulièrement à réfléchir sur le bien-fondé de ces droits.

        Tout cela ne fait pas de moi une référence absolue, bien sûr ; mais, simplement, je ne pouvais laisser passer les affirmations sommaires et infondées contenues dans ce texte qu’il faut qualifier non pas d’article mais de diatribe, dont le seul mérite est d’être bref…

    • @ Liger

      Oui, la perfection n’est pas de ce monde.

      Mais le libéralisme n’a jamais promis un monde parfait, par contre, il promet une justice et une morale qui sont objectives car fondées sur le droit naturel et non sur des délires humains. Or le droit de copier est un droit naturel, le brevet est une violation de ce droit, il est donc issu d’un droit positif, d’un délire humain de plus, et tout libéral digne de ce nom devrait le dénoncer.

      L’argument qui prétend que sans brevet, il n’y aurait pas d’innovation, est un sophisme. Je l’ai expliqué sur un autre sujet, je peux le refaire ici. Déjà, le brevet est une invention récente, et il y a quantités d’innovations qui ont pu se faire sans que l’on ait nécessité des brevets. Ensuite, les riches n’ont pas besoin d’avoir un retour financier sur investissement pour investir dans de la recherche. Il suffit que cette recherche corresponde à un rêve cher et ils seront près à perdre de l’argent pour voir se réaliser ce rêve. Evidemment, si le brevet leur permet en plus un retour énorme d’investissement, ils ne vont pas s’en plaindre.

      • @schelten : avez-vous une connaissance pratique (= résultant notamment d’une pratique professionnelle dans l’industrie, dans la recherche ou dans le conseil en propriété industrielle) de la genèse des inventions et des conséquences pratiques de la protection par brevet ou, au contraire, des effets de l’absence de cette protection ? Connaissez-vous concrètement ce qu’est la contrefaçon des inventions, sa source et ses effets ?

        Franchement, vous avez une vision irréaliste de ces questions. Ce n’est pas un hasard si la sophistication du droit de la propriété intellectuelle va de pair avec le niveau technique et économique d’un pays : il est particulièrement frappant de mettre les deux en corrélation lorsque l’on constate l’évolution parallèle du progrès économique et du perfectionnement progressif du droit de la propriété intellectuelle et de son application en pratique (notamment devant les tribunaux) dans des pays comme la Corée du Sud ou la Chine ; certes, dans ce dernier, les failles, voire les abus, ne sont pas rares : mais on peut maintenant y obtenir dans un certain nombre de cas – surtout lorsque la partie adverse n’a pas de fortes relations avec le pouvoir politique local ou national, il ne faut pas être naïf ! – de bonnes décisions de justice bien motivées dont on n’aurait même pas oser rêver il y a 10 ou 15 ans. C’est en tout cas mon expérience professionnelle de juriste en propriété intellectuelle au cours des 35 dernières années.

        Méfions-nous comme de la peste des idéologies qui ont tendance à ne pas (assez) prendre en compte les réalités, phénomène pour le moins curieux mais très français (l’esprit de système tendant à se déconnecter des réalités du terrain et qui nous pousse alors à des divagations de la pensée) et en tout cas regrettable lorsqu’il émane de tenants du libéralisme économique, lesquels devraient en principe avoir un attachement très fort aux réalités concrètes avant de théoriser…

        • @ Liger

          Le fait que vous soyez juriste en propriété intellectuelle ne joue pas en votre faveur sur ce sujet, puisque cela implique un parti-pris assez évident.

          Le droit naturel prend totalement en compte la réalité telle qu’elle est observable dans la nature. Or ce qu’on observe, c’est que la libre copie est la clause fondamentale de la survie. Un petit doit copier ses parents et ses congénères pour pouvoir survivre, si vous lui retirerez ce droit, vous lui nuisez de manière évidente. C’est donc de manière observable un droit naturel et toute attaque contre ce droit est fondamentalement immorale.

          Si l’informatique n’avait pas été créé par des idéologues qui se sont battus pour mettre en place des licences libres, dites copyleft, Internet n’existerait pas, et nous ne pourrions même pas discuter de tout cela.

          Au contraire, la seule vraie invention géniale de Bill Gates, qui est d’avoir breveté les logiciels a coincé le monde entier avec un windows bourré de failles, et qui permet encore aujourd’hui à des gens malhonnêtes d’en profiter.

          • @schelten : en somme, parce que j’ai une certaine compétence en propriété intellectuelle, je suis un profiteur qui en défend le bien-fondé de ce droit afin de pouvoir en tirer de l’argent (gagner ma vie) alors que la propriété intellectuelle est nuisible à l’économie. En d’autres termes, les juristes en propriété intellectuelle seraient des parasites ce qui disqualifie ab initio leurs prises de position.

            Je passe sur ce peu aimable sous-entendu pour vous demander si, selon vous, plus on est compétent dans un domaine, moins on doit s’exprimer sur son fonctionnement.
            Sérieusement, je sais les abus de certains juristes, notamment aux États-Unis où leur pratique pollue régulièrement la vie économique et multiplie les frais juridiques de façon extravagante ; mais de telles dérives ne sont pas une fatalité ni même une généralité : ainsi, sans jouer les parangons de vertu, il m’arrive régulièrement, contre mon intérêt, de déconseiller à des clients le lancement de recherches parmi les droits antérieurs ou des dépôts de marque parce que la valeur ajoutée de ces travaux ne le justifie pas. C’est autant du bon sens – vendre des services inutiles à des clients risque de les révulser à juste titre et de les faire fuir – que de la vertu.

            Concernant la brevetabilité des logiciels, la situation est complexe et évolutive. Ainsi, aux États-Unis, pendant très longtemps, la question de l’utilité a primé sur celle de la technicité. Cette vision très libérale permettait l’obtention de très nombreux brevets sur les logiciels, et ce quel que soit le domaine, y compris la finance et l’économie. Aujourd’hui, la situation s’est inversée : il est devenu presque plus difficile d’obtenir un brevet dans le domaine du logiciel aux États-Unis qu’en Europe.
            Cela confirme ce que j’ai précédemment écrit : le droit de la propriété intellectuelle n’est pas une  » valeur absolue  » mais un compromis susceptible d’évoluer.

            Enfin, la notion de  » droit naturel  » est floue ; et dans votre propos, vous assimilez l’éducation et la formation à la copie, ce qui est réducteur. En outre, pas si mal conçus que cela, les droits de propriété intellectuelle, par exemple le droit d’auteur, admettent la copie à usage privé ou à des fins d’enseignement, ce qui diffère de la copie consistant à piller le travail d’autrui pour s’enrichir sans bourse délier en concurrençant déloyalement les inventeurs puisque les copieurs n’ont pas à répercuter les frais de R&D, ce qui leur permet d’avoir des prix inférieurs à ceux des personnes ou entités qui ont suivi le lourd et coûteux processus de l’invention.

            Je vous repose la question : avez-vous une expérience concrète de l’innovation technique, de la R&D, de la production industrielle ou du droit de la propriété intellectuelle ? Cela constitue une meilleure base de raisonnement que le douteux procédé consistant à vouloir disqualifier des personnes ayant une certaine expérience en la matière (cf. supra).

            Je resterai modéré dans mon expression : mais je n’admets pas que vous recourriez à de douteuses insinuations au lieu d’essayer de vous informer sérieusement puis de raisonner en connaissance de cause, tout en étant prêt à reconnaître ses limites, voire des erreurs.

            • @ Liger

              Vous me prêtez des sous-entendus que je n’ai pas. Je ne vous considère pas comme un parasite et votre prise de position est tout-à-fait légitime.

              Quand vous mettez en avant votre qualité de juriste en propriété intellectuelle pour appuyer votre position, j’aurais pu simplement vous rétorquer qu’il s’agissait d’un argument d’autorité. Au lieu de cette banalité, j’ai trouvé plus amusant de faire remarquer que cet argument vous desservait, car il révélait un conflit d’intérêt.

              Mais ce n’est pas pour autant que je m’arrête à cela, car c’est la cohérence du discours qui doit convaincre et non la qualité de celui qui l’énonce, c’est pour cela aussi, que je ne vois aucun intérêt à en dire plus sur ma personne.

              Le libéralisme n’évolue pas, parce que le droit naturel est figé par l’ordre naturel. C’est ce qui fait sa force et son objectivité. A l’inverse, le droit positif évolue en fonction des intérêts, des époques, de la mode actuelle, de la raison du plus fort. Dès lors que vous parlez d’un « compromis susceptible d’évoluer », vous êtes assurément, par définition, dans un droit positif.

              En tant que libéral, je me bats contre les droits positifs, ce sont ces droits qui sont des parasites. Je ne me bats pas contre des personnes qui essayent de s’en sortir au mieux dans un monde difficile qui paraît souvent flou.

      • Non, le brevet n’est pas une « invention récente ». On trouve un prototype dans l’Antiquité.

        « Si l’un des cuisiniers ou chefs arrive a créer un mets original et élaboré, personne n’a le droit d’utiliser cette recette avant qu’un an se soit écoulé, exception faite pour l’inventeur lui-même, afin que celui qui l’a créé le premier en tire profit pendant cette période, et cela dans le but que les autres, s’appliquant eux aussi, se distinguent par des inventions de ce genre. »

        Cette loi nous est parvenue grâce a Athénée de Naucratis, qui a cité dans son ouvrage « Le Banquet des sophistes » un passage de l’historien Phylarque dans lequel celui-ci comparait l’austérité de Ia vie a Syracuse au raffinement de Sybaris.

        Nuno Pires de Carvalho – que Liger connaît peut-être – a même trouvé un ancêtre de la propriété intellectuelle dans le Code de Hammurabi : si un père met son fils en apprentissage chez un artisan, il peut le reprendre, sauf si l’artisan lui a commencé à lui enseigner ses secrets.

        • @Seppi : merci de ces fort intéressantes informations que je ne connaissais pas et que j’ajouterai à ma documentation ; êtes-vous actif d’une manière ou d’une autre dans la propriété intellectuelle ou dans un domaine connexe ?

          Cordialement,

          Liger

        • @ Seppi

          Quand on voit comment a fini la Grèce antique, ce n’est pas franchement encourageant.

          Cette loi stupide a empêché de nombreuses personnes de profiter de mets originaux pendant un an, quelle belle avancée pour l’humanité… Elle encourage aussi le chef en question à ne pas inventer de nouveaux mets tant qu’il peut profiter du brevet sur son met original. Cela freine clairement l’innovation.

          A l’inverse, sans brevet, un chef qui invente régulièrement des nouveaux mets en fera profiter toute la profession, et lui-même va acquérir une notoriété qui sera suffisante pour lui assurer la célébrité et un revenu en conséquence.

      • @schelten
        Libéralisme à géométrie variable… 🙂
        Le copiage n’est en rien un « droit naturel ».
        Vous pouvez copiez bcp de chose sans problème des choses libres de droit mais si copier revient à voler la propriété d’un autre, cela revient donc à être contraire au respect de la propriété privée (un des points clés de la philosophie libérale) . Il faut là aussi, suivant les sujets, distinguer le copiage à usage personnel (qui est toléré dans certains domaines) et celui à usage commercial.

        Je ne sais pas dans quelle branche professionnelle vous travaillez, mais si quelqu’un copie votre travail pour son propre compte, vous trouverez cela normal car cet individu que c’est son droit naturel »? Je serai curieux de voir votre réaction…
        🙂

        • @ cyde

          Si le copiage n’était pas un droit naturel, les brevets ne s’éteindraient pas avec le temps. Le fait qu’ils s’éteignent pour quand même laisser copier un jour montre de manière évidente que la norme naturelle est le copiage et non le brevet, et que le brevet est une entorse ponctuelle à la norme naturelle.

          Pour voler une propriété, il faut que l’autre en soit délesté. Le copiage n’est jamais du vol, puisque le copié n’est jamais délesté de sa propriété.

          Pendant des siècles, le copiage était considéré comme un hommage envers celui que l’on copiait. Bach copiait Vivaldi, car il aimait les œuvres de Vivaldi. Puis, Bach s’est fait copié à son tour, car ses copieurs aimaient les œuvres de Bach.

          Ensuite, les brevets ne protègent pas réellement le travail des auteurs. Steve Jobs se vantait de piller les idées qu’il trouvait géniales et Apple l’a fait depuis ses débuts. Les petits développeurs n’ont souvent aucune chance contre les avocats d’une grande entreprise et nombreux ont vu Apple copier leurs idées de gréé ou de force.

          Les brevets ne protègent pas les inventeurs, ils accordent plutôt une rente monopolistique qui profite essentiellement aux riches investisseurs et aux grandes entreprises, les brevets sont des parasites qui tuent l’innovation et enrichissent les gens déjà riches au détriment des gens plus défavorisés. La gauche ne s’y trompe pas en dénonçant une injustice et en prétendant la corriger.

          Après, il faut faire une distinction entre copier et usurper. Si quelqu’un me copie en mentionnant qu’il s’est inspiré de moi, je serai surtout flatté et s’il a un meilleur succès que moi, je risque d’en profiter aussi, même sans brevets ou royalties. Mais si quelqu’un me copie et prétend qu’il est l’auteur de mon travail, là ce n’est plus un droit naturel, car déformer un fait dans le but de vendre revient à une forme d’escroquerie, ce qui est différent d’une atteinte à une propriété intellectuelle.

    • Il faudrait juste ajouter que la contrepartie du droit exclusif conféré par le brevet d’invention est l’obligation de publier une description de l’invention suffisamment claire et complète pour qu’un homme de l’art puis la reproduire.

      Fort de cette connaissance, les concurrents ne perdront pas de temps et d’argent pour « percer » le secret et seront incités à construire un nouveau progrès technologique sur la base de l’invention, soit en la développant, soit en essayant de « contourner » le brevet.

      Le brevet d’invention est aussi un instrument permettant une exploitation efficace de l’invention. Accorder une licence, ce n’est pas seulement toucher des royalties, mais aussi permettre au licencié de faire des investissements sécurisés par le brevet lui-même et par l’organisation du marché permise par le brevet.

      J’ai, incrustée dans ma mémoire, l’image d’un livre d’histoire de France de cours élémentaire. Après « nos ancêtres les Gaulois », il y avait Bernard Palissy brûlant ses meubles pour redécouvrir les secrets des faïences italiennes. Une illustration cinglante du gâchis de ressources intellectuelles et matérielles (et imaginez que, du côte de Faenza, on devait aussi en gâcher pour maintenir les secrets de fabrication).

      Les « bonnes âmes », surtout dans la recherche publique, pensent que les inventions devraient être « mises dans le domaine public » et rendues accessibles à tous, sans conditions. Le résultat pratique est souvent que cela n’intéresse guère de monde. Qui prendrait l’initiative des investissements de départ si, une fois l’invention mise sur le marché, n’importe qui peut aussi se présenter sur le marché sans avoir pris les risques initiaux ?

      Le brevet d’invention n’est certes pas la panacée, il donne parfois lieu à des abus, mais c’est ce qu’on a trouvé de mieux pour promouvoir le développement technologique.

      • @Seppi : merci d’avoir ajouté ces fort pertinentes observations.

        Un point à noter : en général, la durée d’un brevet (20 à 25 ans) suffit à  » rentabiliser  » une invention et, en tout cas, cette durée couvre la période pendant laquelle une invention fournit un avantage compétitif : au-delà, les progrès de la recherche et de la technique ôtent une grande partie, voire la totalité de l’intérêt de beaucoup de brevets car ils protègent des techniques vieilles de 20 ans qui sont souvent devenues obsolètes.

        Mais il y a des cas où les propriétaires d’une invention ne la protègeront pas dès le départ parce que l’intérêt économique de celle-ci dure largement plus de 20 ans : c’est notamment le cas des formules de parfum : cf. par exemple  » Chanel N° 1 « , parfum créé en 2021 et qui est toujours l’un des plus vendus dans le monde.
        Dans ce cas, au lieu de déposer un brevet qui expliquerait publiquement l’exacte composition du parfum, le titulaire adopte la stratégie suivante (que je simplifie volontairement) : il garde la formule éternellement secrète, ce qui permet à quiconque de tenter de copier le  » jus  » (chose quasiment impossible vue la complexité des arômes : sinon, les chimistes sauraient produire du Pétrus ou du Château Yquem par citernes). Par ailleurs, il reste interdit de copier les marques tant qu’elles restent en vigueur, la forme du flacon (si elle est protégée par une marque 3 D car la protection par le droit des modèles ne dure que 25 ans) ou les autres visuels caractéristiques car il existe des outils juridiques variés pour les défendre très longtemps (droit d’auteur dans certains pays) voire éternellement (droit des marques classique, notion de marque de haute renommée, concurrence déloyale ou parasitaire, …)

        • @Seppi
          De plus, en l’absence de brevet protégeant l’innovation, les industriels dépenserait en protection et sécurité de leur R&D, dépenses qui seront répercutées sur le prix de vente. Ensuite, dans la conception même de leur produit, il mettrait au point de protections et construction parasitant l’analyse du princeps et des éléments importants du produit d’où un cout supplémentaire.
          Enfin, la concurrence devrait attendre la commercialisation pour mettre la main et analyser le produit innovant (sauf à utiliser des techniques d’espionnage industriel couteux).
          Alors qu’avec un brevet, l’entreprise concurrente a une vue directe sur l’invention de l’autre lui permettant de mener ses propres recherches pour rapidement contourner le brevet ou trouver un produit innovant proche qui sera meilleur.

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