Par Antoine Picron.
Un article de Trop Libre
En avril dernier, la société Uniloc poursuivait Apple pour avoir utilisé sans autorisation des technologies brevetées dans le développement de Maps, de l’IOS 7 et de la mise à jour de ses logiciels.
Apple rejoignait entre autres LG, Motorola, Microsoft, Amazon et Google au rang des firmes poursuivies par cette même société pour violation de brevets d’invention. Pourtant, Uniloc n’est pas tant l’une des entreprises les plus innovantes du moment que – et surtout – un exemple typique de l’inadéquation du cadre légal des brevets d’invention à l’économie du XXI.
La Révolution numérique et le passage d’un modèle d’innovation fermée à celui d’innovation ouverte, à un modèle qui repose sur l’utilisation des idées externes pour accélérer l’innovation interne1, ont exacerbé l’utilisation détournée des brevets d’invention au détriment de leurs logiques initiales de protection et d’incitation à la création.
Le rôle des patents trolls
La prolifération des patents trolls, des firmes spécialisées dans la collection de portefeuilles de brevets dans le but unique de procéder à l’octroi de licences d’exploitations ou à des poursuites judiciaires, en est une illustration flagrante. Aux Etats-Unis, le nombre de poursuites judiciaires engagées par les patents trolls a triplé entre 2010 et 20122. Rien qu’en 2011, le coût de ces procès atteignait plus de 29 milliards de dollars3 soit plus de 10% des dépenses annuelles en R&D des firmes américaines4. Mieux encore, ce coût est majoritairement supporté par des startups5 !
L’obstacle à la concurrence
En somme, en plus de profiter d’un système au sein duquel ils ne créent rien, les patents trolls inhibent une concurrence fondée sur l’innovation en renforçant les barrières à l’entrée du marché pour les acteurs disrupteurs.
Au-delà des seuls patents trolls, les critiques vont bon train quant aux pratiques abusives permises par le monopole lié au brevet d’invention, à l’image de celles portées par Joseph Stiglitz à l’encontre du secteur pharmaceutique6. Le lauréat du prix Nobel d’économie 2001 dénonce notamment les inégalités dans l’accès aux technologies et médicaments générées par les valorisations excessives et artificielles pratiquées par certains laboratoires.
De sorte que pour le citoyen, dans bien des cas, le bénéfice est nul et la sanction double. En tant que contribuable d’abord, il paie le prix du monopole conféré par l’Etat. En tant que consommateur ensuite, il paie au mieux l’utilisation d’une technologie dont le brevet est détenu par le patent troll, au pire la seule valorisation artificielle de l’innovation permise par l’existence du monopole.
Des solutions contre les excès des monopoles
Face à ces excès, les réponses, bien que tardives, émergent. Par exemple, Tesla a annoncé rendre ses brevets accessibles à tous, son fondateur, Elon Musk, considérant que : « si une entreprise dépend de ses brevets, c’est qu’elle n’innove pas ou alors qu’elle n’innove pas assez rapidement » et Google s’est engagé à ne plus déclencher de procédures défensives en matière de propriété intellectuelle.
Du côté des pouvoirs publics, les réformes entreprises apparaissent trop timorées et se contentent d’ajuster à la marge un cadre légal dépassé. Aux Etats-Unis, si les réformes engagées ces dernières années permettent de combattre les patents trolls, elles ne règlent pas vraiment le problème des valorisations excessives.
Au sein de l’Union européenne, la mise en place du brevet unitaire, prévu pour 2017, devrait abaisser les coûts de dépôt et faciliter l’entrée sur le marché des nouveaux entrants, mais n’envisage que trop peu la montée en puissance des patents trolls.
Compromis moral et utilitariste
Pris en tenaille entre les tenants de l’existence d’un droit naturel sur les créations intellectuelles et ceux qui, à l’image du Président américain Thomas Jefferson (1743-1826) considèrent que « Celui qui reçoit une idée de moi reçoit un savoir sans diminuer le mien » les brevets d’invention se sont développés selon un compromis moral et utilitariste.
L’octroi d’un monopole temporaire à l’inventeur doit permettre selon les termes de John Stuart Mill de le « compenser » et de le « récompenser » tout en incitant à l’innovation. Quant au droit d’exclusion conféré par le monopole, il est perçu comme inférieur au bénéfice de la création pour l’ensemble de la société.
L’application de ce compromis est aujourd’hui clairement mise à mal : la société paie le prix fort d’une incitation qui n’incite que trop peu l’inventeur à inventer. S’ils veulent libérer l’innovation, les pouvoirs publics n’ont donc d’autres choix que celui de repenser les brevets d’invention pour les adapter aux évolutions de l’économie du XXI siècle.
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- Sur ce point voir par exemple Henry Chesbrough, Open Innovation : The new imperative for creating and profiting from technology, 2003. ↩
- National Economic Council and Office of Science and Technology Policy, Executive Office of the President , Patent Assertion and U.S. Innovation, Juin 2013. ↩
- James Bessen and Michael Meurer, “The Direct Costs from NPE Disputes,” Boston University School of Law, 25 juin 2012. ↩
- Brink Lindsey, Low-Hanging Fruit Guarded By Dragons : reforming regressive regulation to boost U.S. economic growth, Cato Institute, 2015. ↩
- Santa Clara Univ. Legal Studies Research Paper No. 09-12, Startups and Patent Trolls, 13 septembre 2012. ↩
- Par exemple : Joseph Stiglitz : How Intellectual Property Reinforces Inequality, The New York Times, 2013. ↩
Peut etre faut-il diminuer la durée de validité des brevets ?
Je ne sais pas de combien elle est actuellement.
Mais dans un monde où tout va plus vite et devient plus immédiat, la question se pose.