Par Alain Goetzmann
Après avoir modérément encouragé le télétravail comme moyen de lutter contre la circulation de la Covid-19, madame la ministre du Travail, son cabinet, les hauts dirigeants de son administration, accentuent maintenant leur pression sur les entreprises pour qu’elles y recourent de façon plus massive, commençant même à menacer les récalcitrants de sanctions.
Une fois de plus, l’administration, qui ne connaît rien à l’entreprise et à son fonctionnement, met en œuvre des mesures bureaucratiques à court terme, sans se donner la peine d’en mesurer préalablement les effets sur le long terme.
Il est vrai que le parcours brillant de la ministre : X-ponts, collège des ingénieurs, préfète, SNCF, cabinets ministériels et, dernière étape avant un ministère, présidente de la RATP, ne la porte pas, instinctivement, à s’intéresser aux enjeux des PME de Guéret, Plougastel ou Argenteuil et de leurs salariés, pas plus que son entourage, d’ailleurs constitué, cela va sans dire, d’énarques bon teint.
Il ne s’agit pas, ici, de s’opposer au télétravail. Bien au contraire, il constitue un progrès indéniable dans l’organisation du travail, mais lorsqu’il devient utile de l’envisager, il faut que ce soit avec prudence, à l’issue d’une réflexion approfondie sur ses enjeux et ses objectifs, entreprise par entreprise.
D’abord, sur le plan humain, c’est une véritable rupture avec l’usage, tant pour les salariés que pour les employeurs. Les liens sociaux qui se nouent par le travail en commun, au service d’un projet, constituent un volet non négligeable de la bonne santé mentale des salariés et du succès des entreprises.
Qu’on le veuille ou non, les mini-réunions improvisées autour d’un problème simple, mais urgent à résoudre, les échanges devant la machine à café, souvent d’ordre professionnels, les pots, célébrant les quick-wins, constituent des marqueurs indélébiles du travail en équipe. D’ailleurs, un nombre croissant de salariés en télétravail imposé n’aspire qu’à revenir au bureau, las de l’inconfort fréquent du travail à domicile et désireux de renouer le fil de relations conviviales.
L’esprit collectif, la culture partagée, les échanges impromptus sont générateurs d’enthousiasme. Et s’il est une ligne qui n’apparaît dans aucun bilan comptable mais qui fait les résultats flatteurs des entreprises, c’est bien l’enthousiasme.
Ensuite, le télétravail constitue, au sein des organisations, une source d’inégalité qui ravive la vieille querelle entre cols bleus et cols blancs. Les premiers, à l’action, sur place ; les seconds chez eux, devant leur écran. La question se pose alors : à quel niveau s’arrête la présence effective des cols blancs auprès des cols bleus ? Il y aurait donc, dans les entreprises, une séparation nette entre ceux qui font et ceux qui les accompagnent ?
C’est éminemment contradictoire avec la volonté de réindustrialiser notre pays par la relocalisation d’activités autrefois externalisées.
Enfin, justement, se pose dès lors un vrai problème. Le télétravail ne fait-il pas peser une menace grave sur l’emploi ainsi externalisé ? D’abord, la relation employeur/employé fait progressivement place à une relation client/fournisseur.
Avec les moyens de suivi qu’autorisent les outils numériques, le travail à la tâche revient insidieusement et l’évaluation de la qualité de l’action individuelle en est facilitée.
Mais surtout, une fois le lien social estompé, le télétravailleur isolé va progressivement être mis en concurrence avec des freelances, locaux d’abord mais pourquoi pas ensuite avec des freelances plus lointains, du Maghreb ou d’Afrique francophone, à l’efficacité identique mais dix fois moins cher et exonérés des lois sociales complexes et rigides de notre pays.
Tim Ferris, auteur américain célèbre pour avoir écrit The 4-Hour Workweek y détaille, dès 2007, le processus qu’il a engagé pour travailler moins en utilisant des freelances du monde entier. Alors, attention ! La bonne mesure est sans doute un mélange entre présentiel et distanciel, que seules les entreprises et leurs salariés peuvent concevoir à l’aune des particularités de leur métier.
Laissons donc la liberté aux entreprises de s’organiser comme elles le jugent utile, dans un esprit d’efficacité et de compétitivité. Les oukases venus du pouvoir provoquent la plupart du temps plus de dégâts qu’ils ne règlent de problèmes.
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La vieille règle du 1 + 1 = plus que 2 n’est valable que si, en plus de connaissances professionnelles / techniques additionnées il y a compatibilité humaine entre les acteurs – et organisation suffisamment peu rigide pour pouvoir profiter des points forts sans souffrir des points faibles de chacun, ce que l’externalisation ne permet pas, sauf pour des activités très annexes.
Quand le lis que l’orchestre de Vienne sélectionne ses candidats derrière un paravent, je m’inquiète pour son avenir parce qu’il ne se base que sur la technicité de la fonction mais aucunement sur la personnalité du candidat en relation avec la personnalité du groupe.
en musique le visuel engendre beaucoup de biais. Seule l’écoute à l’aveugle, que ce soit pour un musicien, une interprétation, un instrument, ou même une électronique permet de se faire un jugement objectif. Pour l’OPV, c’est aussi pour éviter les discriminations, l’orchestre a longtemps été exclusivement masculin.
mon Dieu, épargnez nous les ministres au parcours brillant…!
“… accentuent maintenant leur pression sur les entreprises pour qu’elles y recourent de façon plus massive, commençant même à menacer les récalcitrants de sanctions.” Vous avez de la chance: en Belgique, c’est déjà le cas.
“Pourquoi pas ensuite avec des freelances plus lointains, du Maghreb ou d’Afrique francophone”
Vous êtes un peu en retard, cette situation a déjà été vécue, et figurez-vous que l’on commence un peu à en revenir.
PS: Je suis moi même freelance 🙂