La situation est préoccupante, personne ne peut le nier, mais la solution ne passe pas par la suppression de la dette Covid-19.
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Par Jules Devie.
Un article de l’Iref-Europe
La crise économique liée au Covid-19 a forcé les États à multiplier les dépenses publiques, selon le principe du « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron. En parallèle, l’effondrement de l’activité économique a provoqué une baisse des recettes publiques.
Le résultat, c’est l’explosion de la dette publique française en 2020 (figure 1) qui devrait atteindre plus de 120 % à la fin de l’année.
Certains responsables politiques et certains économistes s’interrogent donc sur la possibilité de rembourser cette dette . L’endettement français est d’autant plus inquiétant aujourd’hui qu’il était déjà très important avant la crise. S’endetter pour soutenir les ménages et sauver des entreprises se justifie bien sûr dans ce cas exceptionnel, mais il aurait fallu diminuer l’endettement du pays lors des périodes où l’économie ne souffrait pas. Cela n’a pas été fait, d’où la situation très compliquée à laquelle nous faisons face aujourd’hui.
Pour en sortir, ne suffirait-il pas simplement d’effacer ces 120 % de dette et de repartir comme avant ? C’est ce que prône une partie des politiques (Montebourg, Mélenchon) et des économistes. Précisément, ils proposent de supprimer la dette contractée auprès de la Banque centrale européenne (BCE). Afin de financer les déficits accumulés lors de la crise, les États européens ont émis des titres de dette, massivement rachetés par la BCE sur le marché secondaire (par l’intermédiaire des banques privées). La BCE détient donc une partie de la dette française, que certains voudraient simplement effacer de son compte.
Aspect légal
Une telle opération est totalement illégale dans le cadre juridique actuel, elle violerait les traités européens qui condamnent tout financement monétaire des dettes publiques des États membres. Par exemple, l’article 123 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne adopté en 2009 stipule qu’il est interdit
« d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales des instruments de leur dette est également interdite ».
Tout de même envisageable en pratique ?
Les traités européens interdisant la monétisation de la dette ont en réalité déjà été contournés : les programmes de rachat massif de dette que mène la BCE depuis la crise de 2008 et poursuivis pendant la crise Covid en sont un exemple. Certes, la BCE n’achète pas directement les titres de dette des pays membres, mais elle les rachète massivement aux banques privées sur le marché secondaire. Le procédé permet de garantir des taux très avantageux pour ces titres, un contournement des règles qu’avait contesté la Cour constitutionnelle de Karlsruhe en mai 2020.
Cependant, annuler purement et simplement la dette est bien plus ambitieux. Il faudrait l’accord de l’ensemble des pays membres européens sans exception, ce qui est absolument inenvisageable maintenant. En réalité, il n’y a qu’en France et en Italie que cette option est défendue. La majorité des autres pays y est totalement opposée.
Une solution qui n’en est pas une
Sur le court terme, l’idée peut paraître très attractive car elle permettrait à la France de se débarrasser d’un poids qui est susceptible de devenir insoutenable, et donc éviter le surendettement. Cependant, la suppression de la dette aurait des conséquences trop néfastes sur le long terme , que ses partisans négligent. Leur principal argument est que contrairement à tous les autres acteurs économiques, la BCE a le monopole de la création monétaire et ne peut donc jamais faire faillite. Le déficit engendré par la suppression d’une partie de ses actifs (les dettes publiques qu’elle a rachetées) ne serait en conséquence pas un problème.
Ce raisonnement ne tient cependant pas compte du fait que bien qu’indépendante, la BCE est la propriété exclusive des États membres dont le bilan, dans une opération comptable de suppression de dette publique, ne sortirait pas gagnant pour autant : les comptes publics enregistreraient certes une baisse de l’endettement, mais également une baisse des revenus que leur verse la BCE. Concrètement, la BCE verse des dividendes aux États membres chaque année (3,5 milliards d’euros à la France en 2019) en fonction des revenus de ses actifs, et notamment des intérêts reçus au titre de ses créances.
Ce qui a permis jusqu’à maintenant d’affronter la crise du Covid sans crise de l’endettement est la volonté des marchés financiers de continuer à prêter aux États membres à des taux très bas, voire négatifs , malgré des comptes publics très dégradés. Cela s’explique par la conviction qu’ils ont que les États seront en capacité de rembourser la dette. Par ailleurs, les investisseurs prennent aussi en compte la valeur des actifs publics. Ils verraient d’un très mauvais œil la suppression de la dette, car cela témoignerait de l’incapacité de la France à la rembourser et signifierait une baisse des actifs publics. Ainsi, leur confiance s’éroderait, ce qui ferait remonter les taux et pourrait transformer la situation déjà très compliquée en crise des dettes souveraines.
De plus, une suppression de la dette entraverait l’action de la BCE en cas de retour de l’inflation. Aujourd’hui, l’inflation quasi inexistante et la confiance lui permettent d’afficher des taux modestes, voire négatifs. Cela veut dire que les banques commerciales payent pour qu’elle garde leur argent. Mais si l’inflation revient, un scénario de plus en plus envisagé par les économistes, la BCE devra rémunérer les banques privées à des taux élevés. Elle utilisera ses actifs, dont les actifs publics (dettes d’État). Ainsi, si l’on enlève à la BCE ces actifs, on l’empêche d’agir contre l’emballement de l’inflation.
Bien plus, la suppression des dettes favoriserait cette inflation. En effet, le bilan de la BCE dispose pour plus de la moitié de dépôts des banques privées correspondant au prix de rachat des créances acquises par la BCE auprès des dites banques dans le cadre de ses programmes de rachat (QE). En cas d’annulation des dettes, la banque centrale se trouverait dans l’incapacité de rembourser ces dépôts aux banques commerciales sauf à créer massivement de la monnaie générant de l’inflation. Ces risques seraient en outre suceptibles de créer ou d’aggraver la crise de confiance et de susciter la fuite des capitaux et une nouvelle crise financière.
Au-delà de ces aspects techniques, c’est la responsabilité des dirigeants politiques qui est en jeu. Comme nous l’avons rappelé, la hausse de la dette publique n’est pas l’apanage du Covid-19 ; elle a augmenté presque constamment depuis 20 ans. Le problème se posait déjà avant 2020, ce qui montre qu’il est bien plus structurel. Laisser croire qu’on peut laisser filer la dette, même dans un contexte exceptionnel, sans crainte pour l’avenir parce que la BCE sera toujours là en dernier recours pour la reprendre, c’est s’engager sur une pente on ne peut plus glissante.
Vivre avec la dette
La situation est préoccupante, personne ne peut le nier, mais la solution ne passe pas par la suppression de la dette. Il faut que les dirigeants politiques gardent la tête froide et s’emploient sur le long terme à la diminuer, sans augmenter les impôts pour ne pas tuer la reprise.
Sources
https://www.ecb.europa.eu/explainer … https://www.ecb.europa.eu/ecb/legal …
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Sur le web
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