Covid : vers une dette perpétuelle ?

Il est beaucoup question d’ « annuler » la dette créée par l’État. Mais ce n’est pas légal, ni moral. Y aura-t-il de nouveaux impôts dans le futur ?

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Dette by La Gravière Cécile(CC BY-NC-ND 2.0)

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Covid : vers une dette perpétuelle ?

Publié le 12 décembre 2020
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Par Diana Wimy.
Un article de l’Iref-Europe

L’idée pour l’État d’émettre de la dette perpétuelle a refleuri au printemps dernier avec le spectre d’une crise économique sans précédent. De quoi s’agit-il ?

Qu’est-ce qu’une dette perpétuelle ?

Cette pratique d’Ancien Régime a connu de beaux jours au temps de Balzac sous la forme de la « rente perpétuelle ».

Le débiteur, c’est-à-dire l’État, versait des intérêts au créancier à perpétuité. Le capital de cette « rente constituée » était remboursable ou rachetable par le débiteur, mais pas exigible par le créancier. Avec cet instrument financier, un aléa pesait sur ce dernier.

En effet, au cours du XIXe siècle l’État français cherchait déjà à réduire la charge de sa dette arbitrairement. Il réduisait aussi ses intérêts de manière unilatérale, en remboursant le capital à l’encontre de ce qui était initialement convenu. L’opération était pudiquement nommée « conversion de rente ».

D’où la réapparition après la Première Guerre mondiale de la dette « amortissable », dont le principal, il faut le rappeler, est bel et bien remboursable. L’objectif était de redonner confiance aux créanciers de l’État. Mais au XIXe siècle, le taux d’intérêt était de 5 % par an.

Un emprunt perpétuel à taux zéro ?

Qui aujourd’hui, épargnant, fonds de pension ou tout autre institutionnel, aurait intérêt à souscrire à des titres « dette perpétuelle » sur le marché secondaire ?

Selon l’Agence France Trésor (AFT), le taux moyen pondéré des OAT (les Obligations assimilables du Trésor), c’est-à-dire la moyenne des émissions annuelles 2020, est en effet négatif (-0,14 % au 30 novembre dernier). Le coupon des OAT 5 ans à échéance des 25 février 2021, comme 2002 est… nul, par exemple.

Le service de la dette éclipse… le principal

Comment fonctionnerait donc une nouvelle dette perpétuelle ?

La revue Le Grand Continent, éditée par le Groupe d’études géopolitiques, association indépendante domiciliée à l’École normale supérieure, rappelle :

« Le scénario le plus évoqué est celui de la transformation de la part de la dette des États détenue par la Banque centrale européenne (BCE) en une obligation perpétuelle portant un coupon nul. »

Pas l’ombre d’une clause de remboursement dans ce scénario de finances publiques-fiction…

Le Grand Continent met en garde contre un « … artifice financier qui revient à considérer que le plus important pour l’État n’est pas tant son niveau d’endettement par rapport à sa richesse nationale présente et future, mais sa capacité à honorer le seul « service de la dette », c’est-à-dire à payer les intérêts. »

« Une ‘annulation’ par la BCE n’est ni légale, ni utile, ni souhaitable », a jugé nécessaire de rappeler l’économiste en chef de la Direction générale du Trésor Agnès Bénassy-Quéré !

La BCE elle-même ne peut en prendre l’initiative. En effet, « ce serait contraire au traité européen, lequel proscrit le financement monétaire des déficits publics ».

Une dette perpétuelle qui existe déjà ?

Un mécanisme donne en effet l’illusion que la dette française est déjà perpétuelle. Pour financer sa dette arrivant à échéance, l’État émet de nouvelles OAT ; et ce à moindre taux du fait des politiques monétaires européennes accommodantes mises en place dans le sillage des crises de 2007-2008 et a fortiori de celle de la Covid-19.

Cela s’appelle « rouler sa dette ». La maturité moyenne de la dette va croissant, ce qui permet de rendre le renouvellement du stock de dette plus graduel.

En effet, selon l’OCDE, « l’allongement de la durée de vie de la dette souveraine peut permettre de minimiser les coûts face à une forte incertitude concernant le contexte d’émissions futur ».

« Cette stratégie réduit en particulier le risque associé à l’amortissement de la dette qui « roule », qui constitue une part croissante du besoin de financement annuel de l’État », pointe le Sénat dans le rapport de sa commission des finances présenté par Albéric de Montgolfier en 2017.

« De nos jours, chaque fois qu’un emprunt arrive à échéance, il est immédiatement replacé » rappelait récemment l’économiste Jean-Marc Daniel, professeur émérite à l’ESCP Business School, dans une interview aux journal Les Échos. « En pratique, la dette publique est déjà perpétuelle », notait l’économiste.

Avec cette idée de convertir le stock de dette existant en titres perpétuels, s’agirait-il donc d’oublier de rembourser le principal ? Ce type d’opération porte le nom de haircut, ou coupe de cheveux, quand il s’agit de réduire en partie le montant du capital souscrit.

La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001 dispose cependant que « les remboursements d’emprunts sont exécutés conformément au contrat d’émission ».

De plus, quelle serait la valeur d’exemple pour les ménages ? Pourquoi ces derniers continueraient-ils à rembourser leurs prêts si l’État s’en dispense ? L’hypothèse est à rapprocher de la notion d’aléa moral.

Quid de l’aléa moral ?

Dans le domaine de l’assurance, la notion consiste à maintenir une part de risque à la charge des assurés afin qu’ils gardent en permanence une conduite prudente. L’aléa moral existe aussi pour les banques. Il en a été question dans le sillage de la crise des subprimes1.

L’idée d’une aide directe aux banques à sauver à tout prix (too big to fail, celles qui sont considérées comme trop grosses pour échouer) avec les deniers du contribuable, a fait alors ressurgir le concept d’aléa moral. Car les établissements seraient ainsi incités à une prise de risque moins maîtrisée.

L’aléa moral joue entre les États de la zone euro aussi. Facteur de stabilité à cet égard, chaque pays a un coût d’emprunt différent et se voit attribuer une prime de risque différente.

Et l’Eurogroupe veille. Car être en dette, avoir une dette, place le débiteur dans une situation de morale du devoir et d’obligation juridique2.

Vers des emprunts « plus ou moins forcés » ?

L’un des scénarios de l’OFCE (l’Office français des conjonctures économiques) anticipe une dette à 134,7 % du PIB d’ici 2030. Comment, pour la France, présenter une trajectoire budgétaire acceptable lors de la Loi de Programmation de Finances publiques attendue au printemps ? Bruno Le Maire écarte régulièrement d’un revers de la main toute hausse d’impôt, « tant qu’[il sera] ministre des Finances ».

 

Certes, mais après 2022 que se passera-t-il ?

Sources :

https://www.senat.fr/rap/r09-335/r0 …

Sur le web

  1. Subprimes : emprunts plus risqués et à meilleur rendement pour le prêteur que la catégorie prime
  2. Qui ne relève pas stricto sensu de la dette perpétuelle
Voir les commentaires (14)

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  • après 2022 ? après eux le déluge , comme d’hab ….

  • En affrétant un paquebot géant de croisière pour tout le personnel politique, président en tête et les débarquer dans une île du pacifique sud avec des chaînes et des masses pour casser des cailloux, ce qui permettrait de changer tout ce petit personnel politique ?

    • Ne pourrait-on pas offrir plutôt le paquebot et les îles ensoleillées aux citoyens ? On économiserait les chaînes et les masses, et tous ceux qui ont un certain talent pour accueillir les touristes pourraient enfin l’exercer librement là-bas…

  • La dette rachetée par la BCE est de fait une création monétaire pérenne, dont le remboursement ou non est anecdotique. Rembourser la BCE, c’est se rembourser soi-même et seule la clé de répartition entre les Etats pose problème. Le dette perpétuelle à taux zéro n’est rien d’autre que la planche à billet très classique. Elle aboutit historiquement à un surplus d’inflation sauf que la mondialisation empêche que cette inflation s’applique aux biens et services échangeables. Elle s’applique alors au reste, en particulier aux actifs immobiliers ou mobiliers non soumis à l’échange mondialisé (la boutique du coiffeur pour prendre un exemple). La conséquence est connue : le grand écart entre revenus et patrimoines, évolution déjà visible. La sortie de ce cycle infernal c’est la taxation brutale du patrimoine, et là, c’est le fondement même du pacte sociétal qui est ébranlé.

    • Pas tout à fait pérenne comme on l’a vu quand la Fed a commencé à réduire son bilan. On a pu observer un début de panique, certains acteurs se retrouvant financièrement étranglés dans l’année.

      Lorsque le bilan d’une BC dépasse 7000 milliards (x10 en 15 ans) avec une échéance moyenne à 10 ans par exemple, la BC doit racheter 700 milliards chaque année pour simplement maintenir son stock, flux continuel de monnaie nouvelle qui alimente les marchés. Mais dès que la BC réduit son bilan, la monnaie créée est détruite ; elle retourne au néant et les assoiffés d’argent gratuit hurlent à la mort.

      Les prix des marchés d’actifs, obligations, actions, immobiliers sont artificiellement élevés, déconnectés de la réalité par le miracle des injections monétaires continuelles. Les écarts de revenu et de patrimoine sont tout autant artificiels. Pas besoin de taxation, puisqu’il suffit que la BC éteigne l’imprimante pour faire revenir les prix à la raison.

      Quant à l’Etat, il n’a pas besoin de taxation ou de déficit supplémentaire puisqu’il dépense déjà trop, au moins 200 milliards pouvant être économisés du jour au lendemain.

  • Au commentaire de pirouette, il faut ajouter que puisque au départ la monnaie qui a été prêtée a été créée ex nihilo, il n’est pas éthiquement justifié d’en demander le remboursement ni même des intérêts. En réalité, cette soi-disant dette n’existe pas.
    Traiter cette injection de monnaie comme une véritable dette ne sert qu’à en limiter les abus excessivement abusifs. En bonne logique, quand l’orage sera passé, la logique et l’éthique voudraient que cette « dette » soit purement et simplement annulée. Mais il ne faut pas le dire, de peur que les gouvernements « exagèrent trop », car cette création de monnaie aura nécessairement ses effets délétères, alors même qu’elle est justifiée par les circonstances.

    • Autrement dit, ce qui n’est pas moral, et ne devrait pas être légal, c’est vouloir se faire rembourser de la fausse monnaie qu’on a fabriquée ex nihilo simplement en modifiant un montant dans un fichier informatique.

      • Non, l’argent emprunté a permis d’acheter de vraies choses, a servi à capter des ressources. Penser qu’on ne peut pas demander le remboursement, revient à dire que l’Etat peut prélever la part de la production qu’il souhaite.

  • « ce serait contraire au traité européen »

    Pas besoin d’attendre la dette perpétuelle. Les rachats de dettes publiques, même d’occasion, étaient déjà contraires au traité européen. Le passage à la dette perpétuelle ne ferait que confirmer cette situation où, en réalité, il n’y a plus de traité puisque la BCE l’a raturé, déchiré et mis à la poubelle.

    Au fond, la BCE n’a plus d’existence juridique en l’absence de traité. Le jour où elle a allumé l’imprimante à biffetons, elle est devenue la banque centrale virtuelle d’une monnaie virtuelle, sans valeur ni avenir.

    Un jour prochain, un Etat pourrait prendre acte de l’absence de traité et de la virtualité de la BCE pour sortir de l’euro, sans négociation d’aucune sorte et sans autre forme de procès.

  • Cela n’a rien d’évident votre proposition.

    • les pays seront étouffés par le remboursement de la dette et il n’y aura plus de croissance, un chômage élevé et donc une tendance à voter pour des partis extrêmes qui ne veulent pas la rembourser.

  • En attendant à Paris, Anne Hidalgo refuse de diminuer les dépenses et se lance à corps perdu dans l’emprunt .

    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/12/07/l-etat-refuse-les-hausses-de-taxes-demandees-a-paris-par-anne-hidalgo_6062503_823448.html

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