Race, genre, sexe : contre la guerre culturelle, l’esprit du libéralisme

Il a fallu que la crise touche toutes les rédactions pour qu’enfin la mobilisation se fasse en faveur des valeurs du libéralisme politique, au plus grand bénéfice de tous.

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New York Times Building, NYC By: Torrenegra - CC BY 2.0

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Race, genre, sexe : contre la guerre culturelle, l’esprit du libéralisme

Publié le 17 juillet 2020
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Par Frédéric Mas.

Mardi 14 juillet, démissionnait Bari Weiss, journaliste en charge des pages « opinion » du prestigieux New York Times, occasionnant une nouvelle crise au sein de sa rédaction.

La journaliste, dont l’indépendance d’esprit avait été récompensée en 2018 par le Prix Bastiat de la Reason Foundation, explique avec franchise et amertume la guerre idéologique qui est en train de se dérouler dans la presse entre deux conceptions du métier :

« Les histoires sont choisies et racontées de manière à satisfaire le public le plus restreint, plutôt que de permettre à un public curieux de lire sur le monde et de tirer ensuite ses propres conclusions. On m’a toujours enseigné que les journalistes étaient chargés d’écrire la première ébauche de l’histoire. Aujourd’hui, l’histoire elle-même est une chose éphémère de plus, moulée pour répondre aux besoins d’un récit prédéterminé. »

Ce récit prédéterminé doit répondre aux impératifs idéologiques et antilibéraux du nouveau discours de la gauche identitaire, sorte de miroir de la droite identitaire de Donald Trump, dont les défenseurs se comportent comme les pires des censeurs :

« Mes […] incursions dans le domaine du « mal penser » m’ont valu d’être constamment harcelée par des collègues qui ne partagent pas mon point de vue. Ils m’ont traitée de nazi et de raciste ; j’ai appris à ignorer les commentaires sur ma façon « d’écrire à nouveau sur les Juifs ».

Plusieurs collègues perçus comme étant amicaux avec moi ont été harcelés par des collègues de travail. Mon travail et mon caractère sont ouvertement dévalorisés sur les chaînes Slack de toute l’entreprise, où les rédacteurs en chef interviennent régulièrement.

Là, certains collègues insistent sur le fait que je dois être délogée si l’on veut que cette entreprise soit vraiment « inclusive », tandis que d’autres affichent des émojis de hache à côté de mon nom.
D’autres employés du New York Times me traitent publiquement de menteuse et de réactionnaire sur Twitter, sans craindre d’être sanctionnés de harcèlement par des mesures appropriées. Ils ne le sont jamais. »

L’éditorial de The Economist cette semaine s’est aussi fait l’écho de la dérive identitaire qui polarise les rédactions et assèche les esprits les mieux disposés en faveur des droits des minorités. Comme Bari Weiss, The Economist observe la polarisation identitaire en cours.

 

Polarisation identitaire

La dégradation du climat entre le clan de Donald Trump d’un côté et celui de la gauche révoltée par l’affaire George Floyd y est qualifiée de véritable « guerre culturelle centrée sur la race ».

Les libéraux se sont tout naturellement rangés en faveur de la justice et contre le racisme, mais font aujourd’hui face à des concurrents gauchistes issus des universités qui rejettent la notion de progrès :

«[Cette approche] définit tout le monde en termes de race, et toute action comme raciste ou antiraciste. Elle n’est pas encore dominante, mais elle se répand au-delà des universités dans la vie quotidienne. Si elle devait supplanter les valeurs libérales, alors l’intimidation refroidirait le débat ouvert et sèmera la division au désavantage de tous, des Noirs comme des Blancs. »

Comme Bari Weiss dans sa lettre de démission, comme les 150 intellectuels progressistes qui se sont mobilisés dans The Harper’s Magazine contre la cancel culture, et maintenant comme The Economist, les esprits se mobilisent pour défendre le libre échange des idées et la liberté de débattre menacés par le clanisme identitaire.

En France, les entrepreneurs identitaires n’ont pas encore totalement phagocyté le débat public, mais les intimidations et les démonstrations de force se multiplient, souvent relayées par des médias complaisants.

Notons aussi qu’aujourd’hui, la gauche anglo-américaine se réveille en voyant que la nouvelle génération veut la faire taire brutalement. Combien d’entre eux s’étaient mobilisés hier pour la liberté d’expression en faveur des conservateurs et les libéraux classiques quand ils étaient exclus des campus, des réseaux sociaux et des médias ?

 

Unis dans la défense du libéralisme politique

La défense du pluralisme professée par les Peter Thiel, les Charles Murray ou les Niall Ferguson avait-elle été entendue avant que la crise ne dévore la gauche elle-même ? Il a fallu que la crise touche toutes les rédactions pour qu’enfin la mobilisation se face en faveur des valeurs du libéralisme politique, au plus grand bénéfice de tous.

The Economist rappelle que la nouvelle idéologie raciale en vogue à l’extrême gauche est fausse, dangereuse, et surtout totalement superflue. Le libéralisme offre une voie plus juste et plus prometteuse que ses concurrents. Il défend la dignité de l’individu et l’égalité en droit et en moralité de tout le monde, quelle que soit la couleur de sa peau. Il défend le progrès construit sur le débat et l’argumentation et privilégie la raison et l’empathie sur l’intolérance et le mensonge.

C’est d’ailleurs pour ces raisons qu’il ne craint pas la contradiction, s’enrichit des nouvelles expériences et des nouvelles voix qui apparaissent au sein du débat public, et reconnait ses erreurs passées ou ses limites. Ce que dit l’éditorial de The Economist va bien au-delà de la question de la race, et s’applique aussi aux questions portant sur le genre, la classe sociale ou les inégalités économiques.

Le message doit être entendu.

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  • Merci pour cet éclairage. Après la lettre ouverte des 150 dans le Harpers magazine, puis la démission du NYT par ce courrier largement médiatisé de Bari Weiss, nous avons des repaires de réflexions, de l’encre à moudre !
    Cette « crise » identitaire me fait penser aux « Identités meurtrières » de Maalouf. Si les identités communautaires et leur reconnaissance peuvent sembler respectable, néanmoins leur évolution vers les « communautarismes », sorte de restriction sociale, de grille de lecture unique, chacun dans sa bulle, est destructrice.
    Et c’est vrai qu’il est devenu difficile, pour un individu, de se mouvoir entre le respectable et cette sorte de violence communautariste, de pression identitaire et inclusive. Ces mots de la novlangue tendent d’ailleurs à remplacer la diversité et la richesse des relations sociales ouvertes.
    Quand l’éditorial de The Economiste titre « Race », il a fallu que je m’y reprenne deux fois pour le lire. J’y avais d’abord lu « Rage ». Une « rage » un peu impuissante, car c’est un peu celle-là qui m’envahit lorsque, sortant de Bruxelles vers sa périphérie flamande, je suis assommé par une grande fresque à faire peur de George Floyd qui fut réalisé à la hâte et inauguré par des édiles de cette ville, et qu’on ne peut éviter. Non pas que la mort violente de Floyd ne mérite pas notre compassion, mais cette instrumentalisation politique fait partie de ces réflexes destructeurs de l' »identité inclusive » qui impose sa grille de lecture avant toute chose. Comment, par exemple, et ce ne sont pas les seuls, les électeurs flamands, déjà peu enclin à faire confiance à leurs compatriotes de l’autre langue, vont-ils voter demain? On le sait et les partis « traditionnels » dont leur réalité est devenue celle de la mollesse et d’une recherche éperdue de conformité médiatique, ne veulent surtout pas d’élection qui consacrerait les extrêmes, coupant le pays d’une manière similaire à ce que connaît les USA aujourd’hui. Je crains malheureusement que cet exemple n’est qu’un exemple qui cache la forêt.
    Quel aveux, nos gouvernants sont aujourd’hui devenus vides.

  • Pour ceux qui lisent l’Anglais je recommande vivement de lire l’intégralité de la lettre de démission. Elle décrit un univers plein de haine et de mépris que je trouve glaçant.

  • C’est un indéniable progrès par rapport au XXe siècle qu’une partie de la gauche s’aperçoive de la stupidité crasse de ses utopies favorites avant que ces dernières ne produisent des centaines de millions de morts, comme la fois précédente. Peut-être que cette fois-ci, dûment prévenus par l’histoire, les mencheviks utopistes ne se laisseront plus aussi facilement trucider par les bolcheviks haineux.

    Quant à lui, l’honnête citoyen correctement éduqué (c’est-à-dire pas de gauche) n’oubliera pas que les mencheviks sont par définition minoritaires. Il ne se laissera donc pas abuser par des apparences trompeuses et ne baissera pas la garde pour autant. Les droits naturels et la morale sont des conquêtes permanentes face au mal.

    • En lisant cet article, je pensais aussi aux bolcheviks, à leurs assauts violents contre tous ceux qui ne partageaient pas leurs vues, avant qu’ils ne prennent le pouvoir. Il est à souhaiter que le nombre des néo-bolcheviks diminue, tant l’Histoire nous enseigne qu’une minorité déterminée et violente peut s’imposer à une majorité passive et inconsciente des enjeux, et prendre le pouvoir, comme les bolcheviks le firent en Russie, ou les nazis en Allemagne, et si on regarde bien, tous les révolutionnaires aux visées totalitaires.

      “Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire.” (A. Einstein)

    • Ah, le jeu de mot sur Bolchevik (majorité) / Menchevik (minorité) pour faire référence à cette fameuse « dictature de la majorité » !

      Qui vous dit que la minorité en question n’était pas pire ?

  • Excellente chronique!

    Le mal que vous dénoncez ne se limite malheureusement pas aux médias des États-Unis. J’ai moi-même dénoncé auprès de Radio-Canada, un média géré par l’État, un reportage outrageusement subjectif. L’ombudsman de cette société d’État m’a répondu que leurs journalistes ne devaient pas se contenter d’informer le public mais qu’ils devaient également «donner un sens» à la nouvelle.

    La nouvelle «règle de l’art» en matière de journalisme consiste désormais à verser ouvertement et sans pudeur dans la subjectivité…

    • « ils devaient également «donner un sens» à la nouvelle. « 

      Le plus frappant pour des « vieux » comme moi, c’est que nombre d’affirmations du genre auraient immédiatement été perçues comme suspecte voir totalement anormale dans les années 80.
      Un adulte antiraciste des année 80 transporté subitement à notre époque aurait le souffle coupé devant la haine raciste qui se dégage du néo-antiracisme, même chose pour le néo-féminisme.

  • C’est une véritable guerre de désinformation que le totalitarisme de gauche mène contre les libertés et les conséquences peuvent être très graves.
    La « chance » c’est qu’ils se radicalisent de plus en plus comme tous les extrémistes et la chasse aux « koulak » touche même leur propre troupes, le clan des « deplorable » et des censurés ne peut que grandir et alimenter la résistance.

  • Je ne comprends pas cet article ou l’auteur semble traduire liberal au sens americain comme s’il s’agissait du liberalisme au sens francais.

  • « …du nouveau discours de la gauche identitaire, sorte de miroir de la droite identitaire de Donald Trump… »

    Le « camp de Donald Trump » ne me semble pas identitaire mais patriotique, dans le cadre d’un état nation.

  • Les commentaires sont fermés.

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