Cancel culture : des intellectuels progressistes se rebiffent

La cancel culture importe des méthodes d’extrême droite à gauche. Le libre-échange d’opinions et de points de vue ne doit pas céder devant les pressions grandissantes de la foule et du conformisme social.

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Noam Chomsky By: Andrew Rusk - CC BY 2.0

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Cancel culture : des intellectuels progressistes se rebiffent

Publié le 8 juillet 2020
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Par Frédéric Mas.

Connaissez-vous la cancel culture ? C’est cette pratique très répandue sur les réseaux sociaux mais pas seulement qui consiste à dénoncer et boycotter publiquement les paroles et les agissements d’une personne dont l’attitude est considérée comme « problématique » par un groupe.

Il y a quelques semaines, c’était J.K. Rowling, qui était dans la tourmente. À la suite de tweets jugés « transphobes », l’auteure de la saga Harry Potter s’est attirée non seulement les critiques mais aussi les appels au boycott de ses propres fans et de certains acteurs des films transposant son œuvre à l’écran.

Plus récemment, c’est l’intellectuel libéral Steven Pinker qui a fait les frais de la cancel culture. Une lettre ouverte signée essentiellement par des doctorants et adressée à Société américaine de linguistique a exigé le retrait du nom du spécialiste en sciences cognitives de ses membres honoraires. Son crime ? Avoir « minoré la très réelle violence du racisme et sexisme systémique ».

 

Steven Pinker dans la tourmente

Peu importent la qualité de ses recherches et son engagement en faveur du progrès et de l’esprit des Lumières, les signataires ne retiennent que ses opinions jugées « non conformes » aux exigences contemporaines de « justice raciale ».

Fait notable, Noam Chomsky, membre de ladite société et figure incontestée de l’ultra-gauche libertaire, a refusé de signer la lettre ouverte qui condamnait Pinker. Pour lui, les méthodes de la cancel culture étaient les mêmes que celle de l’extrême droite visant à faire taire ses opposants.

En réponse à ce climat de chasse aux sorcières, une autre lettre ouverte a été publiée sur le site de Harper’s Magazine, cette fois-ci signée par la fine fleur de l’intelligentsia progressiste nord-américaine. Tout en approuvant la nécessité d’ouvrir le débat sur la justice sociale et raciale suite au meurtre de George Floyd, les signataires s’insurgent contre le moralisme des nouveaux gardes rouges de la justice sociale qui rend tout dialogue et échange intellectuel impossible :

« Le libre échange d’informations et d’idées, moteur d’une société libérale, est chaque jour plus restreint. Si nous nous y attendons de la part de la droite radicale, la censure se répand également plus largement dans notre culture : une intolérance des opinions opposées, une vogue pour la honte et l’ostracisme publics, et la tendance à dissoudre des questions politiques complexes dans une certitude morale aveuglante. »

Les signataires du texte viennent de tout le spectre politique, de la gauche de la gauche comme Noam Chomsky ou Michael Walzer au libertarianisme comme Deirdre McCloskey, en passant par Francis Fukuyama, Salman Rushdie, Jonathan Haidt, Mark Lilla ou… J.K. Rowling.

 

La culture de la raison

La cancel culture existe aussi en France même si ses excès ne sont pas encore comparables à ceux qu’on retrouve partout aux États-Unis. Après la vague #metoo et les campagnes de certaines féministes contre Roman Polanski, son ire punitive est pourtant loin d’être éteinte.

Il ne s’agit pas de tolérer ici le viol et les violences faites aux minorités. Ce que menace la cancel culture, c’est la possibilité même d’engager une conversation rationnelle entre des individus de sensibilité différente, le tout pour s’accorder sur les meilleures solutions possibles en matière de justice et de délibération publique. La colère de la foule demande des coupables, des lynchages et des sacrifices. Celle des individus réclame la justice et l’État de droit.

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  • Le problème de Polanski, c’est qu’il est en fuite. Le mouvement metoo piétine la la présomption d’innocence. Polanski n’est ni coupable, ni innocent. Il est en attente de jugement.

    • Polanski a avoué le viol, il n’est donc pas innocent.

      • Il ne l’a jamais dit puisqu’il a plaidé coupable et qu’il a effectué la peine à laquelle il a été condamné.
        Et puis le juge a changé d’avis.

        • Polanski est coupable parce qu’un adulte avec une gamine de 13 ans est toujours coupable, quoi que fasse la gamine. Même si elle paraît plus que son âge, coucher avec une fille de 13 ans quand on en a plus de 40, c’est indéfendable.
          Qu’il soit en fuite parce que le juge a changé d’avis n’enlève rien au fait que son acte est inadmissible, même après que la peine soit purgée. Tous les « people » qui l’ont défendu auraient pu être un peu plus discrets dans leurs propos.
          Ce qui n’enlève rien à ses qualités de réalisateur, mais il faudrait que la « grande famille du cinéma » évite de confondre Cesar et combat en « blanchitude », c’est-à-dire utilise une récompense pour appuyer un combat politique.

  • « La cancel culture importe des méthodes d’extrême-droite à gauche. »

    Cela a plutôt tout à voir avec Gramsci et l’hégémonisme culturelle, qui me semble bien être présente dans la quasi intégralité des grands média, aussi des 2 cotés de l’Atlantique.
    Quant à la violence, je rappelle qu’elle est partagée de tout coté et que le Centre sait aussi en user. La quasi impunité des groupes Antifa est éloquente.

    Cf « Violence politique dans la république de Weimar: La bataille pour la Rue… »

    • Quasi impunité… En fait totale impunité… idem pour les Black Blocs dont bizarrement aucun membre ou leader n’est jamais arrêté ou condamné… : (

  • « La cancel culture importe des méthodes d’extrême-droite à gauche. »
    Genre la gauche a eu besoin de l’extrême droite…

  • Sophie Agacinski qui est contre la PMA, qu’elle considère comme un esclavage de la femme, est bannie des universités gauchistes. Donc cela a traversé l’Atlantique! La gauche a de tout temps interdit les opinions contraires à son idéologie de s’exprimer. Ce n’est pas spécifique à l’extrême droite.

    • D’ailleurs ce qu’on appelle communément extrême-droite est en général fortement teinté d’idées de gauche, cf Mussolini ou Hitler et son national-socialisme : dans ces idéologies, l’interventionnisme de l’État à tous les étages et à toutes les sauces, y compris économique, n’est plus à démontrer.

      • Tout à fait !! +1
        Dans « nationale socialisme » il y avait un nationalisme exacerbé et belliqueux mais pour le gestion de la société on était surtout dans le « socialisme »..!

  • Personnellement, je trouve que cette cancel culture est déjà bien présente chez nous. Essayez donc de débattre sur des sujets aussi divers que le réchauffement climatique, l’immigration, les minorités, etc. C’est épouvantable d’interdire ainsi les discussions.

    • Oh ! Ce n’est surement pas chez nous qu’un ex-soixante-huitard, ex adepte du « il est interdit d’interdire » et maintenant spécialiste des t.d.c. dirait publiquement d’un collègue à la télévision : « Mais qu’il ferme sa g.eule » !

  • Effectivement ce sont des méthodes totalitaires qui ont eu et int toujours cours dans les pays totalitaires qu’ils aient été ou soient d’extrême gauche ou d’extrême droite. Cela, additionné à une inculture historique gigantesque, une inquisition quasi religieuse vis à vis de certains problèmes scientifiques comme le climat dressent un bien sinistre tableau du futur de nos sociétés.

  • Quand des états utilisent l’embargo pour un oui ou pour un non au lieu de courageusement prendre les armes et défendre leurs opinions, n’est-ce pas Mrs les américains .. Le peuple fait pareil… On ne va surment pas aller loin comme ça…sans courage, la servitude.

  • « Extrême droite » il faut le dire très vite en essayant de ne pas pouffer de rire. Du national-socialisme au grand bond en avant de Mao, 90% des 36 pires régimes que l’humanité ait connus étaient de gauche.

  • Les violences faites au minorités ?
    En France ?
    Lesquelles ?

    Je parle de violences « systémiques » puisque c’est le mot à la mode.
    Je ne parle pas des actions de quelques uns qui existent dans tous les pays et s’en prennent à TOUT le monde.

    • Vous avez parfaitement raison ! La petite phrase, qu’on retrouve en copié-collé dans presque tous les articles sur le sujet (« il n’est pas question de nier, etc. ») est de trop. Car ce sont bien souvent les minorités ou certains de leurs représentants qui exercent une grande violence sur la majorité silencieuse !
      Les jérémiades des minorités agissantes, la concurrence victimaire: voilà le cancer de la société.

  • alors ce n’est pas d’etre bani de twitter qui importe, c’est que les médias SUIVENT cette cancel culture.

  • Les germes de la cancel culture ont déjà été plantés chez nous avec les lois mémorielles. Idem avec tous les sujets tabous que la doxa officielle feint d’ignorer quand elle n’en nie pas carrément l’existence.
    C’est une forme de nihilisme intellectuel typique de la pensée de gauche pour laquelle il suffit d’effacer le nom pour effacer la chose.
    Mais j’avoue que la version US est plutôt flippante.

  • Les commentaires sont fermés.

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