L’investisseur déconfiné est-il trop optimiste ?

La fin du Covid semble actée par les marchés. Il est vrai que les indicateurs avancés sont presque tous revenus aux niveaux d’avant crise. Mais quand même, n’y a-t-il pas un peu du naïveté dans l’investisseur déconfiné ?

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L’investisseur déconfiné est-il trop optimiste ?

Publié le 8 juillet 2020
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Par Karl Eychenne.

La crise est terminée, regardons devant. C’est ce que semblent nous dire les principaux phares de l’économie et de la finance. Ainsi, les marchés d’actions ont rattrapé plus de la moitié de leurs pertes. Les indicateurs avancés de l’économie ont rebondi aussi vite qu’ils avaient chuté. Enfin le pétrole, actif singulier d’une économie mondiale à l’arrêt, a déjà récupéré la moitié de son dû.

Oui mais voilà, les stigmates du Covid sont encore bien présents. L’emploi reste en souffrance, les taux d’intérêt resteront durablement bas. Surtout, les politiques monétaires et budgétaires encore pratiquées sont celles de temps de guerre, et pour longtemps.

Alors que penser ? Clément Rosset ce philosophe disparu il y a peu, nous livre quelques clefs. L’une de ses thèses majeures est que, parfois, nous refusons le réel car il est insupportable. Nous nous en fabriquons alors un autre, un double, qui corresponde davantage à nos attentes.

Pour illustrer sa thèse, le philosophe fait notamment allusion à Boubouroche, ce personnage de Courteline : Boubouroche refuse de se rendre à l’évidence, son Adèle l’a trompé et les preuves sont là devant lui ; mais Adèle lui assure qu’elle n’aime que lui, alors Boubouroche choisit le réel que lui propose Adèle.

Imaginons maintenant un Boubouroche œconomicus déconfiné, ce dernier nous inviterait alors à trancher entre deux mondes possibles : 

L’embellie économique et financière à laquelle nous assistons trahit-elle un angélisme excessif de Boubouroche œconomicus ? 

Ou bien Boubouroche est-il fondé d’accuser les déconfinés masqués d’hypocondrie sévère ou de bobologie aiguë ? 

Boubouroche y croit 

Ils s’y voient déjà. Les marchés d’actions sont déjà après-demain. Pour eux, l’économie mondiale trépigne, et l’appel d’air de l’après Covid produit déjà son effet. Ainsi, le marché américain n’est plus qu’à quelques points de ses niveaux d’avant crise. Certes, le marché euro est un peu plus sceptique, à moins que cette retenue ne trahisse un naturel plus soupe au lait.

L’histoire serait donc la suivante : après avoir perdu près de 15 % de PIB depuis le début de l’année, tout serait rattrapé d’ici fin décembre, et les économies américaine et européenne croîtraient de nouveau autour de leur croissance potentielle respectivement de 2 % et 1,5 %. Du côte de l’inflation, après un coup de mou sévère lié à l’effondrement du prix du pétrole, elle reviendrait elle aussi entre 1 % et 2 %.  

La stratégie de Chopin

En fait, pas besoin d’invoquer la foi pour y croire, puisque les faits ont déjà parlé. En effet, les indicateurs avancés viennent de rebondir sur les niveaux d’avant crise, après avoir tutoyé l’abîme. Quand même, ne s’emballe-t-on pas un peu vite ? Après tout, une hirondelle ne fait pas le printemps diront les sceptiques. Hé bien si ! il se trouve que les indicateurs avancés ont cette manie de résumer tout le reste, comme si les chiffres qui allaient suivre n’avaient rien à dire de plus.

D’ailleurs, on finit par se demander pourquoi publier tant de chiffres puisqu’un seul suffit : « trop de notes ! » fit remarquer Mozart à Salieri, pas besoin d’alourdir la mélodie pour être convaincu de son charme, une petite composition suffira, le reste ennuierait (stratégie de Chopin).

Le passé dévore l’avenir (Thomas Piketty)

D’ailleurs, pourquoi passer autant de temps à chicaner sur la forme du rebond de la croissance, en V en U, voire en W ? En effet, il suffira d’invoquer la sympathique prévisibilité partielle des marchés plus ou moins reconnue par la recherche académique.

D’après elle, les niveaux extrêmes atteints par les variables économiques et financières n’offriraient pas d’autres choix qu’un retour à la normale aussi violent que rapide : tirez sur l’élastique puis relâchez et vous obtiendrez le même phénomène. Il est vrai que si l’on fait l’inventaire des principales variables réputées prédictives des marchés d’actions, on obtient un message très encourageant… 

L’homme qui se prenait pour un grain de blé

Ces optimistes indécrottables seront même tentés de contre-attaquer, en invoquant une hystérie collective. Fort à propos, ils résumeront ainsi l’affaire par la fable de l’homme qui se prenait pour un grain de blé. Après moult séances de psychanalyse, le patient finit par se convaincre qu’il est bien humain ; mais quelques jours plus tard il revient apeuré : 

« Docteur, il y a une poule devant chez moi !
– Oui, mais vous savez bien que nous n’êtes pas un grain de blé, vous ne risquez rien.

– Oui, je le sais, mais est-ce que la poule le sait, elle ? »

Adaptée à notre cas, cette petite histoire pourrait signifier que les masques sont inutiles mais qu’il faut quand même les garder, car le virus ne le sait peut-être pas…

Autant de bonnes raisons pour que notre Boubouroche soit Bullish, ce terme désignant les investisseurs qui ne voient que le verre à moitié plein et trouvent toujours une bonne raison pour acheter le marché d’actions. Selon eux, aucun obstacle ne saurait freiner notre Boubouroche, bousier sacré de la finance : scarabée du désert poussant sa bouse de jour comme de nuit, capable de résoudre tous les problèmes afin de contourner les obstacles, en véritable déménageur de Piano.

Boubouroche en fait trop

« On n’aime pas le réel qui se présente à nous, on en veut un autre, alors on en fait un autre. Et si le premier ne veut rien savoir, et bien qu’il aille se faire voir. » Clément Rosset notre philosophe nous prévient ainsi que notre Boubouroche est quand même un peu obtus : il ne se laissera pas dire que la crise dure s’il n’est pas de cet avis. Curieusement, on pourrait reconnaître certains gouvernants dans l’attitude de Boubouroche.

Quand le réel nous revient en pleine face

Mais, « le drame est que le réel ne se laisse guère congédier : mis à la porte, il rentre par la fenêtre ». Ainsi, ce n’est pas parce que notre investisseur se fabrique un réel plus désirable, qu’il en devient plus réalisable. Le virus n’est pas obligé de vous croire lorsque vous lui dites qu’il n’est plus menaçant, un vaccin est généralement plus convaincant.

Autrement dit, les pays qui font comme si de rien n’était, s’exposeraient à un rappel à l’ordre sévère du réel. Oui mais quand même, toutes ces politiques de soutien ultra accommodantes devraient bien finir par terrasser la crise, non ?

Pas sûr en fait, plutôt que « terrasser » il faudrait dire « repousser » plus loin sous le tapis les problèmes, qui ressortiraient de l’autre côté un jour ou l’autre : comment se terminera cette histoire de seigneuriage de la dette ?   

Le bœuf créé en prévision de la charrue

Enfin, quant à ceux qui invoquent un confinement excessif mettant en péril la vie économique, les critiques rétorqueront qu’il ne doit pas s’agir d’un arbitrage morbide entre mourir de faim ou du virus, il ne doit pas s’agir non plus d’une froide logique  coût/bénéfice.

Accepter ce débat là reviendrait à prendre la conséquence pour la cause : on en viendrait à penser que c’est l’Homme qui a été inventé pour faire tourner l’économie et pas l’inverse. Un peu comme si on disait que « le bœuf a été créé pour faire avancer la charrue, ou la voiture pour faire marcher l’essuie-glace » (Jean-Yves Girard).

Non, selon eux toujours, l’Homme est une condition première non négociable. Notons là une différence de traitement entre les États-Unis et la zone euro : pour produire moins, il faut travailler moins, mais cela se fait par moins d’employés aux États-Unis, et moins d’heures travaillées en zone euro (chômage partiel).

Lou Ravi

Finalement, notre Boubouroche serait accusé d’un optimisme béat, très proche du simple d’esprit ou de l’idiot du village. Il ferait preuve d’une naïveté excessive, préférant attendre le miracle plutôt que se coltiner la dure réalité des faits. Notre Boubouroche serait ainsi requalifié de Lou Ravi, ce personnage de crèche de Noël qui lève les bras au ciel en signe d’émerveillement devant le miracle de la nativité !

Cela parait un peu sévère, mais les critiques avanceront qu’il y a quand même un peu de cela dans l’investisseur qui vit déjà dans l’après Covid, comme si les choses allaient nécessairement ou miraculeusement s’améliorer vite et bien. 

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  • Je pense que c’est très bien analysé et percutant.

  • Les valeurs qui tirent les indices sont principalement les valeurs de la tech et du cloud…après, il y a énormément de nouveaux investisseurs qui pensent pouvoir faire des bonnes affaires en pariant sur un bailout d’une companie suite à sa mise en faillite, le cas d’école le plus éloquant étant le loueur automobile Hertz…

    • J’oubliais un autre point…dans les grandes entreprises, se sont les bullshit jobs qui disparaissent en premier (aka bien souvent les n couches de managers qui se font des powerpoints à longeur de journée)…dommage qu’il ne soit pas possible de se passer de certaines administrations et de très nombreux politiques…

  • Les deux bulles du XXIe siècle, comparées aux précédentes bulles historiques, résumées en un graphique.

    https://www.advisorperspectives.com/images/content_image/data/ca/ca65da4abbe746f2ac01b413a7950870.png

    Tout est normal. RAS.

  • Il oublie un point fondamental en économie de marché qui est qu’une crise est une bonne occasion d’éliminer de la mauvaise graisse et des entreprises zombies (cela marche moins bien en France hélas où l’on préfère subventionner ce qui ne marche pas plutôt que ce qui marche !). Cela redéploie donc des moyens vers des secteurs plus porteurs et permet un redémarrage plus sain. Bien entendu il y a un passage à vide plus ou moins long mais un investisseur sérieux (je ne parle pas des boursicoteurs de court terme qui ne tiennent pas compte des fondamentaux) a en ligne de mire les profits actualisés sur au moins une dizaine d’année. Un creux de 10% dans la production va sans doute provoquer une année sans bénéfice mais une année sur 10 représente au plus 10% du bénéfice annuel moyen et n’a donc pas de raisons de faire faire baisser de plus de 10% la valeur du capital (avec bien sur des secteur qui s’en sortent mieux que d’autres).

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