La pause-café défie les nouvelles technologies

La pause-café serait une ode à l’indolence, ou une insulte faite à la nature économique, c’est selon. Sujet clivant, fascinant, et au combien mystérieux, qui est-elle vraiment ?

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La pause-café défie les nouvelles technologies

Publié le 10 novembre 2019
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Par Karl Eychenne.

Levons les tabous. La pause-café serait aujourd’hui une des seules sources de productivité du travail, alors que les nouvelles technologies peineraient à démontrer leur valeur ajoutée. Aux dernières nouvelles, la sieste ne serait pas mal non plus.

La pause-café serait une ode à l’indolence, ou une insulte faite à la nature économique, c’est selon. Sujet clivant, fascinant, et ô combien mystérieux, qu’en est-il vraiment ?

« La pause-café c’est comme l’ensemble vide de la théorie des ensembles en mathématiques. A priori inutile, il se révèle pourtant indispensable pour faire tenir l’édifice » ; citation imaginaire du grand Von Neumann parlant de ses axiomes en prenant un café.

Mais parlons gros sous.

La pause-café serait le meilleur ennemi de la productivité, dit-on. Logiquement, on lui oppose alors les nouvelles technologies, censées elles doper la productivité. Qu’en est-il vraiment ?

Pause-café et productivité

À l’évidence, la pause-café est un centre de coût pour l’entreprise ; d’ailleurs, tout cela est très bien chiffré : 490 euros par employé chaque année. Pire, Danièle Linhart, sociologue et directrice de recherches au CNRS, rappelle que « la notion de temps libre au travail apparaît en totale contradiction avec la notion de productivité. »

Et pourtant, aux dernières nouvelles il semblerait bien que la pause-café agisse en fait comme un levier d’interaction sociale et de bien-être… dopant la productivité. D’un autre côté, les nouvelles technologies n’auraient pas (ou pas encore) les vertus qu’on leur prête sur la productivité : il n’y a toujours pas de trace de hausse de la productivité dans les statistiques.

La pause-café sans café

La pause-café ne vous oblige pas à prendre un café. Elle définit simplement un point de rencontre entre les participants. Autre caractéristique importante, elle ne nécessite aucune compétence particulière, ce qui n’est pas forcément le cas dans le monde du travail où les lieux occupés sont souvent connotés : position hiérarchique, nature du poste…

Enfin, la pause-café n’interdit aucun sujet de discussion et n’exclut personne, ce qui peut paraitre à contre-courant d’une époque où trigger warnings et safe places sévissent dans les campus américains.

Liberté d’opinion et devoir d’opiner

« Vous êtes libres d’avoir votre opinion, à condition que vous soyez du même avis que moi », répondit l’employeur à l’employé. Cette caricature du rapport employeur – employé est excessive, mais elle a un mérite : elle rappelle que la subordination est consubstantielle au monde de l’entreprise. En forçant le trait, on pourra presque dire que l’employé a le devoir d’opiner du chef… mais pas partout dans l’entreprise.

Ainsi la pause-café pourrait définir ce point de rencontre où l’on peut dire et en entendre toute sorte de choses : une forme de liberté d’opinion assumée et exercée sur une plateforme qui n’aurait rien à envier aux réseaux sociaux.

Negotium ou Otium

Le Neg-otium serait défini comme l’inverse d’Otium. Et puisque Otium définirait l’oisiveté, alors Negotium définirait la non-oisiveté, c’est-à-dire une forme d’inconfort physique ou intellectuel, ou les deux ; bref une forme de travail dont on se serait bien passé.

D’emblée, on est tenté de ranger la pause-café dans la case Otium plutôt que Negotium ; du temps libre plutôt que le temps des affaires. Et pourtant, les deux ne sont pas incompatibles : il n’est pas interdit de parler travail pendant le temps du non-travail.

D’ailleurs, la pause-café permettrait de voir les choses autrement, un véritable changement de perspectives, la fameuse sortie du cadre tant vantée pour trouver des solutions.

Tantôt je vis, tantôt je pense

Faire les deux en même temps nous serait interdit : il y aurait le temps de l’action et le temps de la réflexion, tantôt je vis, tantôt je pense  (Paul Valery). En fait, il existerait des situations très particulières où penser et vivre seraient permis en même temps, par exemple durant la pause-café.

En effet, la pause-café conjugue les phénomènes, on est alors capable de faire en pensant, de se représenter tellement l’action que l’on décrit qu’elle est déjà là : le peintre ressentirait exactement la même chose lorsqu’il imagine déjà l’œuvre qu’il va produire. Après le « je pense donc je suis » de Descartes, serait venu le temps du « je pense donc je fais » de Descartes 2.0 durant la pause-café.

Le gradient sauvage

La pause-café ne définit aucun objectif à réaliser, aucun moyen à mettre en œuvre : tout est permis (ou presque). Cela contraste avec les nouvelles technologies qui supposent une démarche rigide bien définie, l’imprévu étant l’ennemi absolu.

Un outil mathématique bien particulier permet de saisir la nuance entre la pause-café et les nouvelles technologies : le gradient. Ouvrez le capot du Machine Learning, et vous trouverez le plus souvent le vieil algorithme du gradient descendant (Cauchy, 1847).

Ce gradient répond à la question suivante : comment trouver le point le plus bas à partir du point où l’on est ; si vous faites un pas à droite et que vous vous retrouvez plus haut, alors faites un pas à gauche. Mais le gradient de la pause-café est lui plus sauvage : on va où l’on veut !

Comment la pause-café évite les bugs

La pause-café a une technique infaillible pour éviter les bugs : le sens commun. Un exemple : vous avez commandé un café, le gobelet se met en place, mais vous vous rendez compte qu’il est troué. Cela ne fait pas partie des risques probables retenus par la machine, et donc elle fera couler le café comme si de rien n’était.

Mais vous, votre bon sens anticipera qu’un gobelet troué ne retiendra pas le café qui coule, vous aurez alors le réflexe de remplacer le gobelet. Certes, la machine fera toujours mieux que l’homme, si on lui explique exactement ce qu’elle doit faire et comment le faire. Mais comment lui faire la liste de tous les cas improbables ? Et comment se fait-il que les acteurs de la pause-café eux aient cette liste ? En langage scientifique, on appelle cela le scandale de l’induction.

À la recherche du MinMax

Ni trop, ni trop peu, les entreprises seraient désormais à la recherche de la pause optimale : la juste pause. Mais chassez le naturel, il revient au galop : dans optimale, on reconnait optimiser… Il s’agirait donc pour l’entreprise de déterminer le meilleur moment pour faire la pause, la meilleure durée de la pause, le meilleur nombre de pauses dans la journée. Comment faire ?

La théorie des jeux raffole d’un algorithme redoutable : le MinMax ; on cherche la durée (ou nombre) de pauses minimale qui permet une productivité maximale. Mais une pause optimale est-elle encore une pause ?

En fait, le traquenard n’est pas loin : en effet, cet algorithme est utilisé pour les jeux à somme nulle et non pas pour les jeux gagnant-gagnant ; autrement dit, le MinMax obtenu fera forcément des mécontents.

Le vrai rival : la (micro) sieste

« Reculer pour mieux sauter » : les bienfaits de la sieste reposeraient sur cet adage vieux comme le monde. Dormir ne fait pas avancer, c’est une évidence, il vous fait donc perdre du temps sur l’action que vous auriez pu mener. Mais au réveil, les forces physiques et cérébrales seraient décuplées, insufflant à l’organisme un élan vital décisif permettant de rattraper le temps perdu et de le dépasser. On imagine alors le double effet que pourrait avoir une sieste suivie d’une pause-café (attention pas l’inverse, sieste et pause – café ne sont pas commutatifs)…

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