Hôpital de Longué-Jumelles : public… et déliquescent

Une croyance idéologique en la supériorité technique et morale de l’État couplée à la détestation de l’esprit d’entreprise : voilà qui explique de nombreuses catastrophes financières publiques.

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Hôpital de Longué-Jumelles : public… et déliquescent

Publié le 6 novembre 2019
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Par Nathalie MP.

Stupeur et tragédie à Longué-Jumelles dans le Maine-et-Loire ! Son hôpital public tout beau tout neuf pourrait être racheté par un groupe privé, une première dans l’histoire de notre tout beau tout bon système collectif de santé !

La CGT, majoritaire, n’a pas tardé à faire part de ses récriminations indignées devant ce qui lui apparait comme un « dangereux précédent », allant jusqu’à considérer que la situation financière et médicale catastrophique de l’établissement pointée depuis des années par la Cour des comptes ne serait qu’une détérioration volontairement orchestrée afin de mieux faire accepter une privatisation.

Dans le contexte de la grogne des personnels soignants et la perspective des élections municipales, le syndicat compte donc bien tout mettre en œuvre pour que l’hôpital de Longué-Jumelles reste « 100 % public ». Il en va du statut de ses 80 fonctionnaires, il en va de leurs conditions et de leur temps de travail – dont la rumeur dit que le repreneur potentiel LNA Santé fait bosser ses équipes 12 heures par jour – et il en va du prix de journée demandé aux résidents qui pourrait grimper de 62 à 67 euros avec le passage au privé (vidéo, 01′ 31″) :

 

Mais quoi qu’en dise la CGT, le projet de reprise n’a pas surgi soudain d’une volonté particulièrement privatisatrice des autorités de tutelle de l’établissement, à savoir l’Agence régionale de santé (ARS) des Pays-de-la-Loire et le Conseil départemental de Maine-et-Loire.

Il a fini par s’imposer à elles devant l’accumulation absolument accablante des faits de mauvaise gestion auquel le Centre hospitalier (CH) de Longué-Jumelles (6800 habitants) est soumis depuis qu’un premier rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC) des Pays-de-la-Loire rendu en 2008 avait mis en évidence sa dégradation financière continue.

Accueillant essentiellement des personnes âgées de 80 ans et plus, il emploie 150 personnes pour une capacité (largement sous-employée) de 150 lits dont 85 en EHPAD, 35 en unité de soins de longue durée et 30 en soins de suite.

Il vient d’être entièrement rénové pour un coût de 25 millions d’euros après une « cavalerie financière » de plus : le plan de financement du nouveau bâtiment n’était pas sincère, les travaux ont démarré alors que les banques avaient refusé de suivre et l’ARS a dû venir une nouvelle fois à la rescousse à hauteur de 7,4 millions d’euros pour que le chantier reprenne.

Dans son rapport de 2017, la CRC souligne que :

« In fine, cette reconstruction, née de la volonté d’édifier une vitrine plus que de répondre adéquatement aux besoins réels, a compromis l’avenir de l’établissement. »

Et de conclure sans fioritures inutiles que :

« L’établissement ne présente aucune perspective de rétablissement durable dans sa structuration actuelle et sans aides financières de la tutelle. »

Non sans avoir rappelé auparavant que les « insuffisances nombreuses » relevées antérieurement restaient entièrement valables en 2017 : qu’on parle de la gouvernance de l’établissement, de la gestion des ressources humaines, de l’activité médicale de l’hôpital, de la démarche qualité ou de la gestion financière, tout est entaché d’irrégularités, rien n’est fiable, rien n’est sincère.

L’environnement de travail est jugé dégradé, nécessitant de nombreux besoins de remplacement coûteux – un turnover dont les résidents se plaignent – tandis que la « cavalerie budgétaire » est devenue la règle pour masquer la dérive comptable récurrente.

Conséquence de ce peu glorieux palmarès, la Cour des comptes accorde une place spéciale au CH de Longué-Jumelles dans son rapport annuel 2018 sous le titre « Un établissement en survie artificielle ». Reprenant à son compte toutes les remarques de la CRC, la Cour évalue la durée de désendettement de l’établissement à 117 ans dans les conditions actuelles – un chiffre aberrant qui ne fait que refléter la faillite complète de l’entité.

Elle relève en outre que l’hôpital a lancé ses travaux de rénovation sans avoir « tiré les conclusions de sa mauvaise organisation antérieure ni actualisé la définition de ses besoins ». Il en résulte des coûts d’entretien exorbitants, des espaces inutilisés et, fond du problème, une qualité de prise en charge des patients qui laisse nettement à désirer.

On est loin de l’image véhiculée par la CGT selon laquelle la gestion publique garantirait à elle seule la qualité des soins tandis qu’une gestion privée signifierait inéluctablement renchérissement et dégradation du service pour alimenter les profits des capitalistes de la santé. C’est oublier que le prix de journée à 62 euros n’est jamais qu’un affichage de façade qui ne signifie rien puisque l’endettement colossal de l’hôpital pèse sur l’ensemble des contribuables actuels et futurs.

« On est en colère, dégoûtés, parce qu’on a fait des efforts monumentaux ! » s’exclament pourtant les délégués CGT face à la perspective de la privatisation. Remarque inquiétante. On n’ose imaginer ce qu’il en serait de l’hôpital si les « efforts » avaient été un tout petit peu moindres.

Incapable de vivre sans la perfusion financière continue de l’ARS, l’établissement, bien que neuf, court le risque de « la fermeture pure et simple » si les aides devaient prendre fin. La Cour des comptes recommande donc qu’il soit fusionné avec le Centre hospitalier de Saumur pour « garantir une montée en qualité de la prise en charge ».

Finalement, en mars 2019, les deux autorités de tutelle ont décidé de lancer un appel à repreneur et elles ont reçu deux propositions :

  • celle, privée, de LNA Santé qui s’engage à reprendre les personnels et à maintenir l’offre de soins à un tarif journalier « abordable » pour 18,5 millions d’euros (bâtiment et activité) plus des travaux d’aménagement de 4 millions d’euros
  • celle de l’hôpital public de Saumur qui nécessiterait une aide annuelle de l’ARS de 600 000 euros pour équilibrer les comptes.

L’affaire n’est pas encore tranchée – elle devrait l’être sous peu – mais la ministre de la Santé Agnès Buzyn a déclaré récemment au micro d’Europe 1 (à partir de 10′ 30″) que la privatisation n’était « pas son modèle » :

« Mon projet aujourd’hui n’est pas de faire rentrer des capitaux privés dans l’hôpital public. »

Pour elle, l’hôpital de Longué-Jumelles est une exception très particulière qui n’appelle pas de remise en cause fondamentale du fonctionnement global du secteur public. Position audacieuse dans la mesure où les comptes de la Sécurité sociale sont partis pour se dégrader dans des proportions alarmantes en 2019 et 2020.

Il est certainement très rassurant de parler « d’exception » chaque fois que quelque chose se met à débloquer dans nos monopoles publics. On a même été jusqu’à inventer la formule de « l’exception française » – culturelle, sociale, éducative… – pour tenter de justifier le fait que la gestion publique appliquée à de multiples domaines est une source intarissable de déficits et de gaspillages de l’argent des contribuables, redistribution et justice sociale obligent.

Il n’empêche que l’histoire de l’hôpital de Longué-Jumelles, mélange détonnant d’incurie des pouvoirs publics et de folie des grandeurs d’élus en mal de beaux équipements, en rappelle beaucoup d’autres du même genre.

Comme à Notre-Dame-des-Landes, comme au musée des Confluences de Lyon, comme dans le projet du Grand Paris Express, comme dans l’affaire des faux steaks hachés – la liste s’étire à l’infini – des fonctionnaires et des élus prennent des décisions grandioses sur des sujets pour lesquels ils n’ont aucune responsabilité financière personnelle.

La recette infaillible pour l’échec. Selon la classification de Milton Friedman sur les quatre façons de dépenser de l’argent, les administrations publiques sont typiquement des entités qui dépensent l’argent des autres pour les autres, avec pour conséquence principale de n’avoir aucune considération ni pour le prix de ce qu’elles achètent ni pour la qualité qu’elles obtiennent en échange. Quand la catastrophe survient, elle est noyée dans une dette qui dépasse maintenant les 2400 milliards d’euros, c’est-à-dire presque 100 % du PIB.

Ce n’est qu’après coup, à la lecture des rapports de la Cour des Comptes, que l’on constate une malheureuse « exception » que l’on s’empresse d’oublier en se persuadant comme Mme Buzyn que la privatisation n’est pas le modèle de la France et que les Français sont très attachés à leur système public de santé.

Au niveau de déliquescence des services publics où l’on en arrive de moins en moins exceptionnellement, c’est faire preuve, hélas, d’un aveuglement volontaire que seule la croyance idéologique en la supériorité technique et morale de l’État couplée à la détestation de l’esprit d’entreprise et à la méconnaissance du rôle du profit peut expliquer.

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  • allez chiche privatisons tous les hôpitaux!!
    et la secu sera sauvée

    • Privatiser les hôpitaux pourquoi pas ?

      Au vu des résultats de nombreuses cliniques, cela pourrait être (ou surement) positif .

      Mais pourquoi sauver la sécu ?

  • Et si on supprimait les ARS? ?
    Car le problème de la santé est, pour beaucoup, un problème d’empilement administratif de la santé (qui n’a rien a voir avec la santé, mais tout avec cette manie bien française de tout gérer, tout prévoir, tout contrôler au détriment des responsabilités de terrain).

  • A dehors d’un ou deux hôpitaux militaires spécialisés, il n’y a aucune raison intelligible qu’un producteur de soins soit public, ni qu’il existe un statut de fonctionnaire dédié. Toutes ces choses devront disparaître tôt ou tard.

    Même constat à propos de l’assurance santé dont le monopole doit être abattu pour une ouverture à la concurrence entre assureurs.

    Pour mémoire, la SS et les hôpitaux publics sont en déficit constant depuis plus de 60 ans malgré d’innombrables plans ou réformes, malgré une hausse astronomique de leur coût, financé notamment à travers la CSG et la CRDS (deux cotisations d’exception scandaleuses, qui n’ouvrent aucun droit), tandis que leur dette représente plus de 10% du PIB.

    • Et comme nous répondrons les socialistes : « oui, mais la santé n’est pas un bien comme les autres !!! »
      En fait, dès que c’est étatisé, un bien devient « différent » : comprenez beaucoup plus cher et beaucoup moins efficient !!!

      • Ce que disent les socialistes n’a pas d’importance. Si les socialistes comprenaient l’économie, ils ne seraient pas socialistes. Le fait est avéré depuis bientôt deux siècles, depuis Bastiat qui avait compris qu’il existe les économistes d’une part, les socialistes d’autre part.

        Il ne faut pas commettre l’erreur d’accepter de débattre avec les socialistes. Relire Revel à ce propos. Relire également la DDHC qui, en son deuxième article, interdit de fait toute représentation politique au socialisme : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. ». L’existence même d’un parti socialiste (ou assimilable, écologiste par exemple) est anticonstitutionnel.

  • Céder l’hôpital public à un groupe privé serait un aveu d’échec de la médecine collectivisée et serait un argument supplémentaire pour dénoncer Macron et sa tendance à « brader » les services publics, après ADP et FDJ. Il me semble évident politiquement que c’est l’hôpital de Saumur et non le groupe privé qui récupèrera le bébé.
    On peut également parier que le coût de cet absorption sera largement sous-évalué et que cela risque de coûter non pas le bras initialement prévu, mais les deux bras et l’épiderme fessier du contribuable. Le tout sans aucun résultat probant. Mais la face aura été sauvée. La somptueuse santé gratuite aura été sauvée. Que dis-je, la France aura été sauvée des affres de la liberté et de la responsabilité.

  • Santé gratuite avec les cotisations qu’on payent déjà + les complémentaire + le non remboursement….
    bref j’ose même pas imaginer les économies de chacun.
    Ça leur serre surtout de base électorale encore une fois à tous ces communistes , c’est la gangrène de notre pays.
    Dès qu’ils gagnent un petit plus d’argent et qu’il faut qu’il payent plus d’impôt et autre taxe il devienne fasciste a en point que ça me fait peur mais pas étonnant au final qu’en on écoute certain propos.

  • Toujours un régal les articles de Nathalie MP. Bien écrits et étayés.

  • La seule exception française notable, c’est une frénésie collectiviste qui ne se dément pas, année après année et malgré l’endettement public de plus en plus colossal, l’incapacité des parlementaires les plus pointus à savoir où va l’argent de nos impôts tant le système est complexe, et comme corollaire l’accroissement de la précarité de beaucoup de Français – comme dans tout pays socialiste qui se respecte.

    Et le Français moyen, nul en économie, nul en logique, continue de se lamenter (dernier exemple en date, les revendications des Gilets Jaunes) quand les « services publics » disparaissent dans les zones faiblement peuplées. Ce qu’on appelle vouloir le beurre – la tranquillité et le faible prix de l’immobilier – et l’argent du beurre – transports en commun, poste, hôpital – …

  • gestion calamiteuse et ça n’empêche pas de faire de travaux de réfection qui coutent un bras..faites donc ça dans le privé pour voir ou même demandez à votre banquier de vous filer un prêt alors que vous êtes constamment à découvert pour voir.

  • Les commentaires sont fermés.

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