Cannabis thérapeutique : les intérêts bien compris de l’État

Les députés ont donné cette semaine leur accord pour une expérimentation du cannabis thérapeutique très encadrée qui évite de remettre en cause les intérêts convergents de plusieurs acteurs de la santé.

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Sol sisters farm tour by Oregon department of Agriculture (CC BY-NC-ND 2.0)

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Cannabis thérapeutique : les intérêts bien compris de l’État

Publié le 27 octobre 2019
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Par Phoebe Ann Moses.

Les députés ont donné cette semaine leur accord pour une expérimentation médicale du cannabis. Contrairement au titre aguicheur de Libé, non, il ne s’agira pas d’ « autoriser le joint qui soigne ». Et d’ailleurs, c’est bien dommage. Si une telle autorisation avait été donnée, elle aurait remis en cause les intérêts convergents de plusieurs acteurs de la santé…  intérêts qui pourraient bien diverger de ceux des utilisateurs.

Des modalités très restrictives

Il est d’abord question de n’autoriser l’expérimentation de cannabis « thérapeutique » que pour deux ans, et uniquement pour certains cas : épilepsie, douleurs neuropathiques, spasticité musculaire dans la sclérose en plaques, soins palliatifs et soins de support en oncologie.

Les prescriptions ne pourront être faites que par un médecin spécialiste de la pathologie, et éventuellement reconduites par le médecin traitant (mais la situation n’est pas encore à l’ordre du jour).

La forme du cannabis est elle aussi très restreinte. Si nombreux sont les pays où l’on peut acheter son cannabis dans une échoppe ad hoc, ce n’est pas ce que la France a prévu. Et c’est donc là que les choses deviennent intéressantes.

Le cannabis ne sera prescrit que sous forme « sublinguale (pastilles, gouttes), inhalée et vaporisée (spray ou liquide). Pour les effets prolongés, des supports à diffusion lente, comme des solutions buvables ou des capsules d’huile, seront privilégiés. » Et même tisanes.

L’État et les laboratoires

Évidemment, le législateur ne pouvait pas autoriser la fumette thérapeutique : trop de risques associés à la combustion en feraient une pratique aussi nocive que bienfaisante.

Mais alors, de fleurs séchées il n’est point question ? Mais si, mais si : elles seront encapsulées dans des gélules… Fabriquées par un laboratoire, et délivrées par un pharmacien. Que les choses soient bien encadrées.

L’auteur de ses lignes n’a pas ici l’intention d’étriller les laboratoires : les pauvres ne font que ce que l’État les autorise à faire.

Justement, il se trouve que ce genre de thérapie par les herbes-qui-font-rigoler existe déjà : ainsi que l’explique dans une interview à l‘Express le Pr Nicolas Authier, président du comité d’experts mandaté par l’Agence du médicament (ANSM) évoquant le Sativex, indiqué dans la sclérose en plaques.

« Il dispose d’une AMM mais reste indisponible faute d’accord sur son prix entre le fabricant et les pouvoirs publics. »

Il faut bien comprendre qu’on ne trouve pas de soulagement à son cancer comme ça, en France : il faut d’abord que l’État donne son accord pour qu’un laboratoire distribue un produit qui va coûter cher, dont il plafonnera le prix, couteau sous la gorge, main dans la main avec le laboratoire.

Le consommateur sera dûment averti qu’en échange de longues années d’attente pour obtenir le traitement (qui pourrait pousser dans son jardin), il aura l’assurance d’une qualité du produit et d’une régularité d’approvisionnement garanties par l’État.

Certes, pour la régularité d’approvisionnement, on n’est pas sûr : il y a de telles pénuries de médicaments en France (dont certains sont catalogués comme peu importants par le ministère de la Santé) qu’un produit « de confort » (puisque c’est de cela qu’il s’agit) ne sera jamais prioritaire s’il est en rupture de stock.

Des distributeurs alléchés

N’oublions pas au passage le rôle important du pharmacien qui délivrera la précieuse molécule : ils se retrouvent au premier rang d’un marché prometteur. Voilà qui devrait leur redonner le sourire, après des années de baisse de chiffre d’affaires.

« Sur le plan économique, la vente de plantes n’offre pas de marges aussi importantes que celle de médicaments chimiques.  »  expliquait Jean-Luc Fichet député du Finistère qui plaidait en faveur de la réinstauration du diplôme d’herboriste (JO Sénat du 28/04/2010 – page 2826.)

D’ailleurs, en juin dernier, ils étaient vent debout contre la vente de cannabis séché… au motif que la qualité de la plante pouvait être irrégulière et non contrôlée :

« Mélange végétal composé de 200 principes actifs différents, variables en quantités et en proportions en fonction des modalités de culture, de récolte, de conservation, n’étant ni dosé, ni contrôlé, le cannabis dit thérapeutique ne peut apporter les garanties d’un médicament« , estime pourtant l’Académie de pharmacie dans un communiqué.

Après avoir fait disparaître les herboristes qui auraient été tout indiqués pour délivrer une marijuana plus ou moins dosée en THC et en CBD, les pharmaciens se verront donc les seuls à pouvoir distribuer, voire conseiller. C’était d’ailleurs l’un des points de tensions qui avait eu lieu entre pharmaciens et herboristes, les premiers ne reconnaissant pas aux seconds le droit de pouvoir conseiller. C’est sûr que lorsqu’on vend dans son officine des granules d’homéopathie ou des produits qui font pousser les cheveux, on est en mesure de peser de tout son poids scientifique auprès des instances politiques…

Cela tombe bien : justement quelques mois après il n’est plus question de délivrer la plante sous sa forme la plus simple, mais sous diverses formes plus ou moins conditionnées.

Quelle source d’approvisionnement ?

Après les méandres de la distribution, il y a un autre secteur dans lequel l’État ne manquera pas d’intervenir, car il serait tout à fait scandaleux que les patients puissent s’approvisionner librement.

Avant d’être conditionné en gélules, pastilles, gouttes ou autre, le cannabis est une bête plante qui pousse. Facilement. Très facilement, même. Tenez, vous pourriez même en avoir sur votre balcon. C’est dire. Et vous pourriez aussi proposer un petit joint à Tata Josette pour l’aider à supporter son traitement médical, et soulager un peu ses douleurs. Voire lui faire un space cake, si elle n’aime pas fumer. Ou même lui confectionner des capsules avec de l’herbe séchée.

Il n’en est pas question. La culture des plants sera elle aussi réglementée. On ne trouve pas pour l’instant de texte qui explique quel sera le mode de culture et son autorisation. Pour l’instant il est question d’acheter la production à d’autres pays. Il est aussi question de créer des sites de production à la Réunion, ainsi que l’a sous-entendu Emmanuel Macron récemment.

Mais on peut sans trop s’aventurer supposer que les agriculteurs français producteurs de cannabis thérapeutique seront membres d’une corporation agréée par l’État, sur le modèle de la production du tabac. Eux seuls auront l’autorisation de faire pousser le plante dans des champs. Il y aura des producteurs agréés et seuls ceux-ci auront un marché avec l’État. Connivence quand tu nous tiens…

En Europe, 21 pays sur 28 autorisent le cannabis médical. Il n’en restait que 7 à la traîne, dont la France. Autoriser le cannabis thérapeutique est une très bonne idée. Comme toujours, elle est un peu gâchée par la création de méandres législatifs, de réglementations en tous genres. Une simple dépénalisation aurait résolu à la fois le problème du marché noir, et celui du consommateur-patient, qui n’est peut-être finalement qu’un prétexte à réglementer et taxer un nouveau produit.

Un dernier détail : est-ce l’État qui a demandé des études pour prouver le bénéfice du cannabis dans la gestion de la douleur ? Non. Il s’agit d’empirisme, celui-là même qu’expérimentent les fumeurs de tous les pays depuis des décennies. Dans cette affaire de réglementation de cannabis thérapeutique, l’ironie de l’histoire est que c’est le consommateur qui a découvert tout seul les applications de la plante. Et que dorénavant, c’est l’État qui lui vendra le droit de l’utiliser. Pour son bien, évidemment.

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  • Les pharmacies ne seront jamais concurrentielles par rapport aux sauvageons de banlieue.

    • Qui dit  » en pharmacie » dit aussi dosage et production aux normes pharmaceutiques….ce n’est pas une vente ludique mais medicale !

      • Certes. Cela dit, le cannabis thérapeutique existe déjà, et je doute que la production française soit à la hauteur de celle du reste du monde, ne serait-ce qu’en terme de compétitivité.

  • J’aime le terme  » expérimentation »…comme si il y avait besoin d’une experience francaise pour revolutionner le monde du cannabis…..j’adore en faire une production francaise a grand coup de serres et d’eclairages et surement un peu de chauffage ,tout ca est tres econome en energie !

  • La France fait l’autruche et se voile la face. Lol. Décidément ça va mal finir.

  • Pour Quand une marianne voilée qui fume un petard ?

    • La République a deja notre presidente a la coiffure hallal et un president qui nous enfume , ca doit suffire , laissons Mariane tranquille.

      • Oui pas faux. C’est vrai que si l’on sort notre drapeau on est estampillé facho. Si l’on sort Marianne ou une crèche, scandal. J’ai vraiment l’impression que notre élite passe son temps à nous affaiblir. La fumette pousse dans des milliers de placards. C’est presque un business avec marketing dans les citées. Lieux où il existe un droit. Mais pas celui de la République. Ce truc pseudo thérapeutique ne va même pas concurrencer le marché actuel. C’est une blague. Comme ce pays pathétique en voie de disparition.

        • Certains points de ventes sont très bien organisés et les vendeurs font attention au bien-être du consommateur. La qualité est contrôlée, les quantités sont respectées, le packaging est parfois innovant, et on peut bénéficier de gestes commerciaux.
          De plus, dans les cités contrôlées par les dealers, la sécurité est assurée et on ne risque pas de se faire dépouiller.
          Cela dit, ça ne doit pas être facile pour les habitants de ces cités de devoir cohabiter avec ce business illégal et toutes les nuisances qui vont avec (tours condamnées, clients omniprésents, dealers armés, et incursions policières sauvages).

          • Bah , si c’etait legal ils auraient des magasins , rien que ca serait une revolution benefique pour les quartiers…mais …on prefere faire de l’urbanisme de l’inutile pour….le’pognon , toujours le pognon

            • Non, enfin…si. Mais pas comme vous le pensez. Les 3/4 des habitants des citées ne trouveront pas de travail. L’Etat ferme les yeux car effectivement c’est une relation win/win. En plus, de temps en temps les flics font une descente pour avoir du shit gratuit et du cash. Donc les magasins c’est non. Que feront nous des quartiers après? Encore une fois nous constatons que nos élus passent en avant la paix sociale et le pas de vagues. Tant que ça marche…

  • Et 500 gardes armes reunionnais pour chaque m2 de plantation…

  • Merci pour cet article.
    Sans remettre en cause la recherche scientifique concernant le cannabis et le développement de formes galéniques idoines par les labos, c’est effectivement un problème de monopole
    Pour l’état qui contrôle en partie le trafic de cannabis en provenance de notre bon ami Mohammed VI (mais dont personne ne se pose la question de la qualité qui pourrait tant nuire à la santé publique), ça assure surtout la paix sociale.
    La connivence avec les labos pour le monopole au détriment de l’individu parfois (je vous invite à lire cet article de slate sur l’armoise chinoise en Afrique et le paludisme : http://m.slateafrique.com/844939/lartemisia-remede-naturel-controverse-contre-le-paludisme)
    Sans parler des copains à qui on assure déjà une place de producteur labellisé.
    Après ce n’est pas étonnant, c’est la France

  • ça pousse très bien dans le jardin , elle est locale , très odorante , excellente ….et gratuite …et elle me fait un bien fou côté détente ….à consommer avec modération , uniquement chez soi , une fois la journée fini et que je ne ressors pas …..et puis , j’emmerde le gouvernement qui ne doit pas manquer de sniffer certains produits qui les rendent souvent plus cons que la moyenne ; à bon entendeur ….

  • Et n’oubliez pas de voter aussi le Revenu Universel. Vous découvrirez le Paradis, Du fric du shit et ne rien foutre, n’est ce pas atteindre le Béatitude complète, celle promise par ces Progressistes au pouvoir actuellement. ces Gauchistes vendeurs de rêves? Attention au retour de bâton car qui va financer

    • Ils s’imaginent taxer le gazole. Mais comme tout le monde sera pété, plus personne ne conduira, donc consommation de gazole nulle. Ils devront taxer autre chose. Les chaises, les fauteuils, les lits…

  • Votre dernier paragraphe sauve votre article… Je ne ferait qu’une remarque :
    Il est quand même très curieux qu’après des décennies de recherche sur le cancer et des trillons d’euros dépensés de par le monde, il apparaisse subitement que les molécules du cannabis soient plus efficaces que le reste (!!!).
    Là, l’enfumage (SIC) est tellement énorme qu’il mérite un grand respect….
    Bien à vous.

    • Le cannabis ne guérit pas le cancer, mais a des effets bénéfiques pour contrecarrer la perte d’appétit liée aux chimiothérapies. Il régule également les troubles du sommeil.

  • @evans94, il est intéressant que vous ne sachiez pas que l’aspirine (molécule simple tombée dans le domaine publique) soit intéressante dans la prévention des cancers du colon, et c’est scientifiquement bien documenté.
    Il est également intéressant de constater que l’artèmisine issue d’une plante endémique soigne le paludisme quinino résistant mais que l’on préfère filer de la malarone (surtout aux touristes banquables) et que l’OMS sorte un article comme quoi la culture sauvage d’armoise crée des résistances (alors que les africains en crèvent)
    Il est agnèlement étonnant que vous n’ayez pas lu la littérature médicale concernant l’intérêt du cbd dans l’épilepsie pharmaco résistante entre autre.
    Bien à vous

  • Il serait également intéressant de s’intéresser à la prescription légale d’opiacées ou d’anxiolytique qui aboutit à un nombre énorme de consultations médicales qui relève plus de la pharmacodépendance et d’un syndrome de sevrage.

  • Et avant de prendre de l’aspirine bêtement de l’aspirine (molécules avec des effets indésirables et des contrindications) et si vous avez des antécédents familiaux de cancer, demandez à la sécu de vous payer un séquençage génétique pour l’enzyme 15-PGDH, on va bien rigoler. L’état contrôle les prix, et on veut de la médecine personnalisée. Le fameux effet cobra

  • Et pour les passionnée intégrez vous à l’effet du cannabidiol (CBD), sur le taux de prostaglandine e2 et sur son potentiel thérapeutique sur le cancer du colon justement
    https://www.ncbi.nlm.nih.gov/m/pubmed/14963641/
    Je dis ça je dis rien

  • Navré pour l’orthographe foireuse, entre mes gros doigts et la correction automatique ce n’est pas évident

  • Cher troll, vous êtes vous posé la question si je n’écrivais pas cela a brûle-pourpoint ?

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