Cinq ans plus tard, quel bilan pour la légalisation du cannabis au Canada ?

Le Canada a légalisé le cannabis en octobre 2018. Cinq ans après, quelles sont les conséquences et quel bilan tirer ?

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Cinq ans plus tard, quel bilan pour la légalisation du cannabis au Canada ?

Publié le 3 novembre 2023
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Un article de Michael J. Armstrong

Avant que le Canada ne légalise le cannabis récréatif en octobre 2018, ses effets potentiels faisaient, comme cela est toujours le cas ailleurs dans le monde, l’objet de nombreux débats.

Aux États-Unis, le gouverneur du Nebraska, Pete Ricketts, a déclaré que le cannabis était une « drogue dangereuse » qui tuerait les enfants. L’homme politique allemand Markus Söder a exprimé des préoccupations similaires alors que le gouvernement s’est accordé au mois d’août autour d’un projet de loi qui ferait de l’Allemagne le deuxième pays de l’Union européenne à légaliser la possession de cannabis. Le candidat à la présidence du Kenya, George Wajackoyah, a même proposé la légalisation et la commercialisation du cannabis comme moyen d’éliminer la dette publique de son pays.

En France le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a émis au mois de janvier dernier un avis favorable quant à sa légalisation. Une proposition de loi sur le sujet a été déposée au Sénat au mois de juin par le député socialiste Gilbert-Luc Devinaz.

Certains prédisent une « ruée vers l’or  » grâce à la légalisation d’un nouveau marché, tandis que d’autres craignent des « tragédies  » en matière de santé publique.

Mes recherches se sont depuis penchés sur ses effets réels au Canada. Elles mettent en évidence que certaines tendances étaient déjà à l’œuvre avant la légalisation, et se sont simplement poursuivies par la suite. D’autres changements ne sont en revanche pas intervenus comme prévu.

 

Une consommation déjà en hausse

Nombreux sont ceux qui craignaient que la légalisation du cannabis n’entraîne une augmentation considérable de la consommation, avec pour conséquence des « hordes d’adolescents défoncés ». Pour les opposants à la légalisation, toute augmentation de la consommation prouverait l’échec de la mesure.

Au Canada, le pourcentage d’adultes consommant du cannabis augmentait déjà avant 2018. Sans surprise, le mouvement s’est poursuivi après la légalisation. Selon des enquêtes gouvernementales, le taux de consommation était de 9 % en 2011, de 15 % en 2017 et de 20 % en 2019. La légalisation a donné un coup de fouet qui va au-delà de la tendance actuelle. Mais il se peut que cela soit en partie dû au fait que les gens parlent plus ouvertement de leur consommation de cannabis.

Par ailleurs, la consommation de cannabis des adolescents n’a pratiquement pas évolué après 2018. Cela suggère que ceux qui voulaient du cannabis pouvaient déjà en acheter facilement auprès de revendeurs.

 

Conséquences néfastes sur les enfants

Les effets sur la santé avaient également été une préoccupation importante lorsque le Canada débattait de la légalisation du cannabis. Stephen Harper, Premier ministre entre 2006 et 2015, affirmait que le cannabis était « infiniment pire » que le tabac. Son successeur, Justin Trudeau, a au contraire déclaré que la légalisation serait « protectrice ».

Dans les faits, le nombre de visites d’adultes à l’hôpital liées au cannabis était, lui aussi, déjà en augmentation avant 2018, et a continué de croître par la suite. Par rapport au début de 2011, le taux dans l’Ontario, par exemple, était environ trois fois plus élevé en 2018, et cinq fois plus élevé en 2021. La croissance après 2018 était, une fois de plus, en partie liée à la légalisation et en partie une tendance qui se poursuivait.

Certains effets sur la santé ont toutefois été plus graves. Le nombre de visites d’enfants à l’hôpital dues à une consommation accidentelle de cannabis a augmenté de manière significative. Chez les enfants de moins de 10 ans, le nombre de visites aux urgences a été multiplié par neuf, et le nombre d’hospitalisations par six.

 

Et sur la route ?

Les forces de l’ordre craignaient en outre que la légalisation du cannabis n’entraîne une augmentation de la conduite sous l’emprise de stupéfiants. Les policiers se sont de plus plaints de ne pas disposer de l’équipement nécessaire pour détecter la consommation.

Les recherches visant à déterminer si la légalisation a effectivement entraîné ou non une augmentation de la conduite sous l’influence du cannabis ne sont pas concluantes. Malheureusement, les rapports gouvernementaux ne précisent pas toujours quelles substances sont à l’origine de l’affaiblissement des facultés des conducteurs.

Cependant, nous savons que la conduite sous l’influence de drogues – toute substance à l’exception de l’alcool – a augmenté avant et après 2018. Par rapport à 2011, les arrestations pour conduite sous l’emprise de drogues ont pratiquement doublé en 2017 et quadruplé en 2020. Le nombre de blessés lors d’accidents de la route impliquant du cannabis n’a, lui, cessé d’augmenter. Par rapport à 2011, dans l’Ontario, ils étaient environ deux fois plus nombreux en 2017, et trois fois plus en 2020.

 

Un gain de temps pour les forces de l’ordre ?

La légalisation a également suscité des inquiétudes en matière de criminalité et de justice sociale. Le gouvernement fédéral s’attendait à ce que la légalisation réduise le temps que la police consacre à la lutte contre les trafics de cannabis. Les partisans de la légalisation espéraient également voir diminuer le nombre d’arrestations parmi les groupes marginalisés.

La baisse du nombre d’arrestations provoquées par la légalisation n’a, en fait, pas été très importante. Les arrestations pour possession illégale de cannabis avaient déjà diminué au Canada bien avant la légalisation. En 2018, le taux d’arrestation était déjà inférieur de 71 % à son niveau de 2011. Les arrestations pour des infractions liées à la distribution illégale de cannabis, comme la culture et le trafic, ont chuté de 67 % entre 2011 et 2018. Cette tendance s’est largement poursuivie après 2018.

 

Un marché qui s’équilibre

Les entreprises espéraient que la légalisation entraînerait une ruée vers l’or. Des investisseurs étrangers ont ainsi aidé à financer les entreprises canadiennes de cannabis. Les gouvernements ont également débattu de la manière de répartir les nouvelles recettes fiscales.

Après la légalisation, le commerce du cannabis a connu un certain essor. Alors que la plupart des provinces n’avaient pas assez de magasins dans les premiers temps pour répondre à la demande, il y en a aujourd’hui plus de 3600 au Canada. Les ventes ont bondi de 42 millions de dollars en octobre 2018 à 446 millions de dollars en juillet 2023. Ces valeurs sont désormais à peine deux fois moins importantes que les ventes de bière.

Cependant, certaines régions ont désormais trop de magasins de cannabis, et de nombreuses entreprises luttent pour se maintenir à flot. En conséquence, certaines sociétés et leurs actionnaires ont réalisé de grosses pertes. Seules les agences publiques semblent être constamment rentables.

 

Des leçons pour ailleurs

En somme, trois leçons peuvent être tirées de l’expérience canadienne.

La première est que la recherche sur la légalisation du cannabis doit tenir compte des tendances existantes. Elle ne peut pas s’appuyer sur de simples comparaisons avant/après. Les gouvernements peuvent y contribuer en publiant davantage de données sur le cannabis.

La deuxième leçon est que les décideurs publics dans les États qui ont légalisé le cannabis devraient moins se préoccuper de savoir si la légalisation a causé des problèmes spécifiques mais plutôt s’attacher à les résoudre.

La troisième leçon concerne les autres pays qui envisagent la mesure. Les décideurs politiques devraient examiner leurs propres tendances avant de légaliser, car les résultats ultérieurs ne seront peut-être pas aussi différents qu’ils l’espèrent.

Sur le web.

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  • Panique morale ?
    On a déjà connu ça avec la légalisation de l’avortement. Qui n’a rien changé numériquement. Avant, après ? Ni plus ni moins d’avortements. Mais moins de décès, les choses se pratiquant plus sainement.
    Dans un monde où le tabac, en vente libre, fait plus de 70000 morts par an (France), il y a du pathologique dans l’inquiétude des opposants à la légalisation.
    « Celui qui vit dans la crainte ne sera jamais libre » (Horace)

    • Quand le cannabis sera légalisé, les trafiquants vont s’arrêter de trafiquer,
      vont s’inscrire à Pôle Emploi et quand ils auront trouvé du travail, se lèveront
      à 5 heures du matin pour aller bosser pour le Smic.
      ils déclareront leurs revenus, paieront leurs impôts et seront très heureux.
      Voilà, voilà, voilà …..

      • Dans le genre…
        Le succès de la lutte antidrogue depuis les années 70 est total !

      • sans doute que non… mais vous voulez conserver une loi qui ne sert à rien et prend les gens pour des enfants?

        les comportements  » autodestructeurs » se combattent d’abord par l’education.

        l’alcool est légal…

        il faut au moins être cohérent.

    • passer de 60 000 à plus de 200 000 avortements, cela fait juste trois fois plus, et donc trois fois plus de décès…
      Et en plus c’est la sécu qui paie…

  • Contrairement à l’alcool, le canabis fumé reste plusieurs jours dans le sang. Ce qui signifie qu’il ne s’agit pas d’attendre 6heures pour prendre le volant, mais 3jours. Mais ce n’est pas grave. Après un accident qui aura coûté la vie, le conducteur sous emprise aura une peine exemplaire : un rappel à la loi.
    Et si l’alcool est prohibée dans certaines régions, le canabis ne l’est pas.
    Ouf. La justice française veille sur nous.

    • Et dans les cheveux… plusieurs mois après !
      Pour l’alcool, détection (sang ou air expiré) et effet sont corrélés.
      Pas pour les drogues. On peut trouver dans le sang ou la salive des traces bien après la fin de l’effet du psychotrope.
      Le risque est en vérité inverse à celui que vous décrivez. On condamnera donc pour avoir pris la bagnole – et lourdement – des gens qui ont consommé alors qu’ils ne sont plus sous emprise.

      • Le prévenu donc négocier avec le juge de ne pas inscrire sa condamnation de « rappel à la loi » dans son casier judiciaire 😂😂😂😂

        -2
  • Ce texte présente quelques lacunes.
    1-L’effet de la période COVID n’est pas pris en considération. (2-3 ans tout de même sur 5) Bien que certains se soient félicités du peu d’impact sur la santé mentale des gens des contraintes, cela a laissé des traces. Ainsi, nous avons eu une forte hausse de la consommation de drogue dures comme la cocaîne et les opioîdes. Nous avons aussi eu un doublement de l’itinérance en 3 ans.
    2-N’oubliez pas que nos lois sont différentes de celles de l’Europe. S’il y a modification des sentences entre la commission d’un crime et sa condamnation, un condamné a droit à la plus faible des deux peine en comparant avant et après la modification des lois. Comme il devenait évident une ou 2 années avant que le cannabis allait devenir légal, arrêter les gens pour cela devenait une perte de temps et d’argent, puisqu’il n’y aurait plus de procès spécifiquement pour cela. (Le temps entre l’arrestation des gens et leur procès a beaucoup augmenté, entraînant d’ailleurs la relaxe de certains sous le pricipe d’habeas corpus en droit d’inspiration britannique.)
    3- Là comme ailleurs, des données raisonnablement précises sont nécessaires.

  • « gain de temps pour les forces de l’ordre »… Ah bah c’est sûr, rendre légal un truc illégal avant, ça diminue les arrestations… D’ailleurs, on devrait du coup faire la même avec d’autres délits hein 😉
    La conclusion n’est pas très probante en effet et c’est délicat d’en donner une.
    Il manque l’impact sur le mental des personnes je trouve : taux de réussite scolaire (pour les jeunes), concentration, profil des consommateurs, etc..

  • Alors qu’on n’arrête pas d’emmerder les Français avec des règlements de plus en plus tatillons : contrôles techniques en tout genre, interdiction du glyphosate pour désherber sa cour, limitations de vitesse tellement incompréhensibles qu’on ne sait jamais à combien on doit rouler, sans oublier les heures les plus sombres de la dictature covidienne, on légaliserait le cannabis au prétexte qu’on est débordé par les trafics.
    C’est une bien curieuse conception de l’état de droit que voilà !

  • Les commentaires sont fermés.

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