Par Martyn Bennett.
Un article de The Conversation
La reine Elizabeth II a consenti à suspendre le Parlement comme demandé par Boris Johnson. Cet acte a été perçu comme une attaque sur la démocratie britannique.
Depuis plusieurs siècles, les pouvoirs résiduels encore détenus par la monarchie anglaise ont été utilisés avec parcimonie. Pendant longtemps, ces pouvoirs sont restés en retrait de la scène publique. Or la suspension possible de la Chambre des communes met fin à cet équilibre.
Cette décision nous rappelle que le Royaume-Uni est toujours une monarchie, même si parlementaire. Or si un gouvernement à très faible majorité fait usage du pouvoir monarchique à ses fins, en contournant le mandat démocratique nécessaire à la légitimité de son acte, alors la démocratie est gravement menacée.
Au sein de la société civile, de nombreuses voix se sont élevées afin d’empêcher la suspension du Parlement. On compte ainsi l’ancien Premier ministre, John Major, la militante, philanthrope et femme d’affaires opposée au Brexit Gina Miller, ainsi que de nombreux députés issus de différents partis. À l’instar de la presse et d’une grande partie du public, ils perçoivent la demande de Johnson comme une mesure conçue pour faire adopter un Brexit sans accord.
L’histoire récente témoigne cependant que ces voix peuvent être entendues. Ainsi, déjà en 2017, Gina Miller avait obtenu l’appui de la Cour suprême pour s’assurer que Theresa May, alors Premier ministre, ne pourrait pas s’appuyer sur les pouvoirs monarchiques pour imposer un accord vers le Brexit sans obtenir le consentement du Parlement au préalable. Des discussions sont en cours afin de saisir de nouveau la cour.
Pouvoirs obscurs et révolutions
Comment cependant comprendre le recours à ce pouvoir monarchique ?
Au Royaume-Uni, l’usage de ces pouvoirs résiduels par un monarque pour contourner les contraintes liées à l’exercice démocratique n’a en réalité jamais été réellement abrogé. Ces options de gouvernance demeurent en coulisse, attendant le moment opportun pour réémerger aux mains de l’exécutif.
Les monarques sont cependant bien conscients que ces pouvoirs doivent être utilisés avec d’extrêmes précautions au risque de susciter des mouvements dramatiques et révolutionnaires. L’histoire est là pour le leur rappeler.
En mars 1629, le roi Charles I se lassa d’un parlement qui ne voulait pas soutenir d’une quelconque façon, y compris financière, ses erreurs désastreuses et coûteuses en termes de politique étrangère. Il ordonna alors la dissolution du Parlement. Lorsque le président John Finch annonça la clôture de la session, les députés furent tellement furieux qu’ils s’assirent sur lui.
Le maintenir sur son fauteuil l’empêchait ainsi, de façon aussi littérale que figurée, de quitter son siège, et donc de lever la session. Tandis qu’il se débattait sous au moins cinq membres, les députés adoptèrent une série de motions condamnant les politiques du roi.
Devrait-on considérer ce type de réponse face aux mesures prises par Boris Johnson ?
L’actuel président John Bercow a d’ores et déjà qualifié la décision du Premier ministre comme constituant un « outrage constitutionnel ».
Il semble donc peu probable que des députés aient besoin de s’asseoir sur lui.
Règne extra-parlementaire
La suspension du Parlement en 1629 conduit à 10 ans de règne extra-parlementaire en Angleterre et au Pays de Galles – connu sous le nom de « Règle personnelle » de Charles Ier ou de la Tyrannie des Onze ans.
En Écosse, les citoyens eux aussi rejetèrent l’utilisation du pouvoir exécutif par le roi en novembre 1638 quand ce dernier essaya de fermer les assemblées écossaises.
Personne ne s’assit sur personne mais le représentant de l’assemblée, le marquis de Hamilton, tenta de suspendre la session en quittant les lieux. Il trouva la porte verrouillée et la clef disparue. La réunion ne put prendre fin. En revanche, les pouvoirs du roi furent sévèrement mis à mal par cet épisode.
En 1640 le parlement de Westminster se réunit à nouveau suite à la crise écossaise qui avait mené à deux guerres, perdues par le gouvernement extra-parlementaire de Charles Ier, ruinant le pays.
Bien qu’il ait de nouveau utilisé ses prérogatives pour fermer la première législature de 1640 après seulement trois semaines, la situation s’aggrava. La deuxième législature constituée cette même année adopta deux lois visant à assurer sa position dans la Constitution. La première, appelée Loi triennale de février 1641 mit fin au droit d’un monarque de convoquer les chambres de Parlement. Une seconde loi ultérieure l’empêcha ensuite de fermer ou de proroger un parlement sans le consentement de ce dernier.
Le parlement écossais s’aligna peu après. L’érosion de la confiance entre le parlement et l’exécutif dans les îles britanniques précéda la révolution et la chute de la monarchie exécutive – qui vit littéralement tomber la tête de Charles Ier – quelques années plus tard.
Qu’en est-il de la prorogation chez les Français ?
La menace que représentaient les pouvoirs « prérogatifs » et qui pesaient sur les institutions de l’époque, résultant en des mesures drastiques, ne se confinait pas au seul contexte britannique.
En juin 1789, il était clair que le « parlement » français, les États généraux, les premiers réunis depuis 1614, ne saurait être contrôlé par l’exécutif. Sous prétexte de travaux de rénovation du bâtiment d’assemblage, le roi Louis XVI tenta d’empêcher sa tenue. Ses membres déménagèrent alors dans une ancienne Salle de jeu de paume, ancêtre du tennis, et tinrent un engagement solennel afin de ne pas se séparer avant l’élaboration d’une Constitution.
Si la date est antérieure à celle de la prise de Bastille, le mois suivant, la décision de rester en session limita radicalement le pouvoir du roi et scella le sort de la monarchie française. Le Serment du Jeu de Paume fut le véritable point de départ de la Révolution française.
Lieux alternatifs
Face à la tenue ou non du Parlement s’est posée la question de sessions alternatives ainsi que de lieux d’implantation des parlements autres que les lieux traditionnels, comme l’avait d’ailleurs fait Charles Ier à Oxford, par exemple.
C’est pour cela qu’aujourd’hui certains députés évoquent la possibilité d’un parlement alternatif afin qu’il se réunisse pendant la « Règle personnelle » de Johnson.
Celui-ci pourrait être mis en scène dans le palais de Westminster même, comme certains députés le suggéraient, à l’instar de leurs prédécesseurs en 1629. Et ils pourraient bien avoir comme figure de proue John Bercow.
Prorogations et dissolutions surviennent en temps de crise. Les conséquences sont aujourd’hui catastrophiques pour l’Angleterre : la livre sterling est en chute libre, une récession se profile à l’horizon et la position internationale de la Grande-Bretagne est à son plus bas niveau depuis Suez.
Au-delà de ces signes inquiétants, c’est l’utilisation même du pouvoir monarchique dans le contexte actuel qu’il faut observer. Car il existe un lien réel entre l’utilisation de ces pouvoirs et un effondrement complet du gouvernement.
Martyn Bennett, Professor of Early Modern History, Nottingham Trent University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
il est notoire que la « democratie » a du plomb dans l’aile depuis quelque temps et que la tentation du pouvoir « fort » fait des émules un peu partout.. on voit d’ici delà des coalitions improbables se constituer pour tenter de leur faire barrage.; avec des succès variables..
l’Angleterre n’échappe pas a ce processus .. la france n’y échappera pas non plus.. meme si la constitution de 58 n’est pas démocratique .. elle penche du coté ou elle va tomber
Tres surprenante position de la monarchie, à moins qu’ Elisabeth ne sucre les fraises . Merci pour cet article.
La reine ne pourrait-elle pas s’être aperçue que le parlement voulait simplement passer par dessus le résultat d’un référendum? Il n’y a strictement aucune raison d’avantager le représentatif au détriment des choix du peuple . Que cela pose pb aux européistes qui espéraient bien s’exonérer des résultats du vote, tant mieux … L’UE est devenue un espace technocratique, la GB en sort pour cette raison, la reine a fait le choix le plus logique, il ne pouvait que déplaire à certains .
ben le probleme semble plutôt etre qu’elle n’en fini pas de rester
Si je vous suis bien, l’UE n’est pour rien dans ces retards incessants? Chapeau l’artiste…
c’est peut-être la seule mesure qui va permettre de faire respecter le résultat du référendum sur le Brexit que le parlement ne cesse d’entraver ?
Cet article est explicitement contre la Monarchie Parlementaire britannique, qui est un exemple d’équilibre démocratique depuis plus de quatre siécles.
Il est parfaitement constitutionnel que la session en cours du Parlement britannique soit suspendue quelques semaines par un nouveau Premier ministre afin qu’il puisse présenter son nouveau programme sereinement.
La Reine Elisabeth II ne peut pas s’y opposer sans effectivement remettre en cause cet équilibre.
Par ailleurs son affichage pour le « remain », non exprimé par souci de rester dans son rôle de non ingérence, va à l’encontre des assertions de cet article.
D’autre part la comparaison dévoyée avec le serment du Jeu de Paume ne sert pas l’argument.