On trouve toujours une raison de bloquer un lycée

Les lycéens ont de vraies raisons de protester. L’Éducation nationale est une pétaudière, ce n’est pas un scoop. Si nous examinons les réformes contestées en ce moment, il est difficile de ne pas ressentir d’inquiétude.

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On trouve toujours une raison de bloquer un lycée

Publié le 14 décembre 2018
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Par Stanislas Kowalski.

La conscience politique des jeunes est un motif d’émerveillement renouvelé dans la tradition insurrectionnelle française. Elle apporte une fraîcheur qui requinque le militant fatigué par les luttes sans effet et les mots d’ordre usés. Elle apporte une sorte de légitimité à un mouvement plus large. Elle rassure le syndicaliste puisqu’il ne se bat pas seulement pour son propre portefeuille mais pour l’avenir de la Nation. C’est curieux, cette façon de chercher une caution morale chez des jeunes sans expérience.

Bien évidemment, pour que la magie opère, il faut savoir oublier la façon dont les petits camarades manifestaient quand nous étions nous-mêmes lycéens. Soyons honnêtes, les manifestations juvéniles sont presque toujours un mélange confus de paresse, de vengeance envers les professeurs, d’idéaux naïfs et de craintes légitimes.

Passons sur les opportunités de rapine, sur les débordements et les incendies de poubelles qui semblent désormais relever du folklore. Inutile de compter les points de cet Intervilles du XXIe siècle.

Une pétaudière

Les lycéens ont de vraies raisons de protester. L’Éducation nationale est une pétaudière, ce n’est pas un scoop. Si nous examinons les réformes contestées en ce moment, il est difficile de ne pas ressentir d’inquiétude.

L’introduction du contrôle continu au baccalauréat, arlésienne des réformes successives, pourrait bien compromettre la valeur du diplôme et créer de sérieuses inégalités entre les établissements, pour ne pas parler des fraudes institutionnelles, probables quand les examinateurs sont juges et parties.

Parcoursup remplace avantageusement APB pour constituer un petit chef-d’œuvre  de bureaucratie numérique.

Les inconnues sur les filières et les options disponibles dans les lycées de province suscitent des angoisses légitimes.

Le Service National Universel est une taxe excessive sur les jeunes et probablement inutile. Il a plus de chances de leur apprendre à tirer au flanc qu’à aimer leur patrie.

La suppression de postes d’enseignants est toujours une affaire délicate, quoi que l’on pense des excès de la dépense publique.

Mais quelle philosophie y a-t-il derrière l’expression de la colère ? Que veut-on vraiment ? C’est là que le bât blesse. Par réflexe, un étudiant de gauche combattra l’élitisme et l’odieuse sélection qui s’opère à l’entrée de l’université. Mais en creusant un peu plus, on verra que beaucoup d’étudiants s’offusquent surtout de ce qu’un 18/20 n’est pas suffisant pour avoir ses vœux. Attention à la cohérence !

La sélection, une question mal posée

La sélection est typiquement une question mal posée. Les places à l’université sont limitées, parce que les ressources sont limitées. D’ailleurs, dans chaque métier, les postes sont limités et il existe des exigences de compétences. La sélection est une nécessité, non pas seulement pour habituer les jeunes à la rude compétition du monde du travail, mais à un niveau beaucoup plus profond, parce que la vie est une affaire de choix. On choisit ses amis, ses amours, ses relations de travail. Rien de plus normal.

Refuser la sélection par principe n’aboutit qu’à un résultat : elle se fera par la force des choses, sur des critères minables, tels que le tirage au sort, l’ordre d’inscription ou les revenus des parents via la domiciliation. Ironie du sort, les critères légitimes que sont le talent et le travail s’effacent dans le processus.

Il en va de même pour l’élitisme. Tout le monde n’a pas la capacité de suivre un enseignement au plus haut niveau. Mais on espère que l’université formera des élites basées sur les compétences, le savoir ou l’esprit d’initiative et non sur la simple conformité à un politiquement correct. Les porte-paroles des syndicats devraient-ils renoncer à leur position de leaders sous prétexte d’égalité ?

Convergence des luttes

Un malaise ne suffit pas à légitimer un combat. Mais telle semble bien être la position de Louis Boyard, président de l’Union Nationale Lycéenne, première organisation à avoir lancé ce blocage des lycées. Il a eu le bon goût d’expliquer sa démarche dans une vidéo postée il y a un peu plus d’une semaine. C’est assez significatif.

« Au début, les Gilets jaunes, personne ne comprenait qu’est-ce que c’était [sic] et on a vu que ça intéressait les gens et qu’il y avait quelques lycées qui bloquaient tout seuls dans le Sud. »

Il ne parlera pas vraiment de la pression fiscale ou de la baisse des prestations sociales pour prendre parti entre ces revendications contradictoires. D’ailleurs, il admet qu’il ne sait pas très bien ce que sont les Gilets jaunes, parce que « c’est énormément de choses en même temps. » Fort juste ! D’aucuns trouveraient cela rédhibitoire. Pas lui. Il lui suffit de constater que les Gilets jaunes « ont un quotidien difficile et un gouvernement qui ne répond pas à leurs attentes. » Comme les lycéens ont également un quotidien difficile et un gouvernement qui ne répond pas à leurs attentes, cela devrait suffire à les rapprocher. Après tout, « c’est plus ou moins la colère populaire. » On appréciera le côté pratique de l’expression « plus ou moins ».

Toutes les différences semblent s’effacer dans l’action. « Il n’y a pas une lutte qui est plus importante que l’autre. » Ce serait absurde si l’on se plaçait dans une perspective de progrès social ou tout simplement d’efficacité. Dans ce genre de lutte, si l’on est sérieux sur les enjeux, les alliés d’aujourd’hui sont les ennemis de demain. Mais s’agit-il seulement d’être efficace ? La manifestation, c’est aussi, et peut-être surtout, une communion, je dirai même une démarche sacrificielle, qui rassemble les gens dans la détestation d’un « ennemi commun qui est Emmanuel Macron. » Car ça aussi, c’est une motivation pour manifester : un rituel qui marque l’entrée dans la vie adulte et la vie civique. Cela vaut bien quelques voitures brûlées, n’est-ce pas ?

La convergence des luttes est séduisante comme un péché mortel.

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  • Les pauvres chéris s’ inquiètent pour leur avenir? Qu’ ils redoublent d’ effort dans leurs études, vu le niveau demandé ça ne devrait pas être trop compliqué. Et puis tout le monde ne peut pas être sociologue merde à la fin.

  • Je vis dans le logement de fonction d’un proviseur dont le lycée a subi des attaques tous les matins depuis vendredi dernier, caillassage des vitres, pavés lancés parfois sur les personnels, poubelles et voitures brûlées. Un groupe d’une quarantaine seulement, les autres veulent travailler, mais on n’entend aucune revendication, pas de signe d’éveil d’une conscience politique, on est dans le mimétisme d’une société qui banalise la violence, couverte par le misérabilisme de parents qui, non seulement n’ont pas su éduquer leurs enfants, mais les défendent quand ils commettent ces exactions. Un exemple consternant est le soutien affiché par certains aux jeunes casseurs de Mantes qui, pourtant, sont loin d’avoir subi des violences disproportionnées par rapport à leurs actions. La démission des parents a entraîné un manque de structuration chez ces gamins, qui lui-même engendre une instabilité et, par suite, une inquiétude de l’avenir. Ce sont à mon avis les causes de l’agitation lycéenne. Je témoigne ici de l’implication et du courage des personnels qui assurent l’ouverture et la garde des établissements sans aucune défense, malgré des instructions parfois irréalistes des institutionnnels de l’éducation qui gèrent plutôt leurs statistiques et leur carrière, et alors que la police n’intervient qu’en urgence dans les moments de crise les plus graves.

    • @Roven votre commentaire de mon point de vue est comique . Vous arrive t il de vous regarder , vous et le système éducatif ? Tout a été fait depuis 40 pour obtenir ce brillant résultat. Vous devriez jubiler, votre objectif est enfin atteint , relisez Merieux

      • 100% d’accord. 40 ans de gauchisme, le personnel de l’EN est le premier a en subir le résultat. Tant pis pour vous.

      • C’est facile! Vous êtes autant responsable que lui. Que savez-vous de ses objectifs ? Mérieux n’est pas le maitre à penser de tous les enseignants . Roven est peut être un « libéral » qui essaie de faire son travail malgré l’adversité . Joli procès d’intention. Vous vous êtes regardé en train de regarder le systèmes éducatifle sourire en coin, yakafaucon…

        De mon point de vue son témoignage et instructif !

    • La « démission » des parents a été largement encouragée et incitée par l’Etat et l’EdNat depuis bien d’années. Comment qu’il disait, un certain Vincent Peillon ? Que les enfants n’appartiennent pas aux familles ?

    • les parents on démissionné depuis longtemps , puis que l’etat est sensé s’occupé de tout

    • « Indignez-vous ! », disait un vieux gâteux à l’aube de notre siècle. Le message a bien été reçu, digne d’un épisode de Kaamelott où les paysans ne savent qu’une chose : « on en a gros ! » Echouant à produire un savoir, il ne leur reste qu’à exister dans l’action, laquelle n’est que la banalisation de la violence. La démission des parents a d’abord pour source la paupérisation de la classe moyenne. Une paupérisation économique, madame et monsieur étant obligés de travailler à plein temps pour subvenir avec peine aux besoins du ménage, paupérisation spirituelle aussi avec la capitulation devant le Dieu écran. Cette démission s’appuie sur la bonne conscience, née de la certitude qu’après tout, ils sont les moins à même de réussir ladite éducation.

      Le gros des dégâts se fait jusqu’à 8-10 ans, période au bout de laquelle la sélection s’est déjà faite entre ceux dont on ne tirera rien et ceux qui, avec des moyens intellectuels variables, essaient de faire ce qu’ils peuvent. Et là, ce qui est de la responsabilité de l’école, beaucoup est fait pour décourager les seconds et surtout, excuser les premiers, pente glissante dont nous distinguons aujourd’hui les prémices du gouffre : la licence pour faire tout et n’importe quoi.

      • non les parents ont démissionné ils ne veulent plus etre emmerdés ni par leur vieux qu’ils jettent a l’hospice , ni par leurs jeunes qui restent a la maison jusqu’à 40 ans..
        en route Simone on se casse au camping des 2 méduses avec le chèque vacance, c’est l’etat qui payera la rentrée des classes.;
        youpii

  • Ah la sélection, quelle ironie, nous voyons des profs -dont le régime plaqué or les protège des rigueurs de la sélection- préparer des jeunes au rude monde du privé dans lequel la sélection est impitoyable. Je m’étonne toujours que les élèves ne trucident pas plus souvent ces imposteurs .

    • Je ne saisis pas. Savez vous que devenir prof passe par un concours? C’est la définition même de la sélection. Bon actuellement il n’est pas très dur, car le job est devenu merdique, mal payé et mal considéré donc il n’y a plus beaucoup de candidats. Et oui des gauchistes ayant eux même passés des concours sont contre la sélection, mais bon le gauchisme n’est pas à une contradiction près…

  • En même temps, réussir à l’école socialo gauchiste lobotomisante de la république n’est un gage ni d’intelligence, ni d’éducation. Mieux vaut un patissier heureux, qu’un bac+4 au chomage.

    • Toutefois, l’école de la ripoublique s’échine à produire des rebuts à tous les niveaux, du pâtissier à l’ingénieur et à l’énarque. C’est vrai que, parfois, elle échoue, car il existe encore (de moins en moins, c’est vrai) des parents responsables qui savent de quoi ça retourne.

    • Vous avez pas tout à fait tort (tout ça pour dire que vous avez raison, mais j’utilise la novlangue en cours….)

    • Même les pâtissiers sont malheureux, car Micron leur pique tout ce qu’ils gagnent.

    • si on y regarde un peu mieux , l’école ne recherche pas les gens intelligents , mais les gens plutôt dociles , avoir un bac+5 en france c’est appartenir a cette catégorie rien d’autre

  • l’éducation nationale est a la ramasse, et çà ne date pas d’hier..
    sans une reforme en profondeur , ce cancer ne sera pas réduit.
    inspirons nous de ce qui marche ailleurs , plutôt que de tenter de conserver le mammouth irréformable dont les résultats sont piteux
    la revolution proche issue de l’écroulement des institution sera l’occasion de nettoyer les écuries d’augias..

  • Oui très instructif, tous responsables, donc personne, et surtout pas les profs, ni les parents et les enfants et encore moins l État.
    Mais qui est responsable de mon enfant mineur ? Moi pardi.
    Comme je le suis, mes enfants ne mettent plus les pieds dans établissement public depuis belle lurette, à notre grande satisfaction. Je paye également mes impôts, oui c’est moins responsable, je sais.

  • Il y a quand même un élément de langage qui m’énerve dans tout ça, c’est le caractère prétendument « impitoyable » du privé, où règnerait une sélection terrible genre « only the strong will survive » … De qui se moque-t-on ? Amateurisme, incompétence, népotisme et promotion canapé n’existent pas dans le privé ?
    Plus sérieusement, le rôle de l’école n’est absolument pas de préparer les jeunes à une compétition fantasmée. La sélection n’est utile que quand il s’agit de choisir qui parmi les 200 candidats aura sa place dans les 20 inscrits à a la formation choisie. Si déjà nous arrivions à faire ça, à savoir limiter les places dans les formations à ce qui est utile (gros boulot) et sélectionner selon des critères pertinents (autre travail titanesque), ce serait Byzance.
    Sinon instaurer une compétition sauvage n’est en rien le meilleur moyen de tirer le meilleur du potentiel de chaque élève. OK, avoir aboli les récompenses (ah les prix d’excellence de mon jeune âge)était une connerie mais basculer à l’autre extrême n’est pas mieux.

    • il faudrait deja se renseigner sur les diplômes qui mènent a un emploi, si on faisait payer les parents , ce serait bien mieux .. on aurait moins d’ados boutonneux pour la psychologie ou les maîtrises d’histoire de l’art qui ne fabriquent que des fonctionnaires
      en interdire l’EN aux enfants de profs, çà fourmille

  • quelle catatrophe cette E

  • Mais quelle catastrophe cette Education Nationale….. Comment va t on s en sortir sans sélection? La sélection est partout même dans le sport……

  • Les jeunes ne se révoltent pas assez ,allez courage soyez plus combatifs que vos parents, c’est a cause d’eux que nous en sommes au degré zéro de la politique en france .les reseaux sociaux doivent vous servir a faire enfin la révolution souhaitée par tous mais jamais réalisée par manque de courage…et surtout ,n’écoutez pas les partis et groupuscules médiatiques , ce sont tous des vendus

  • A noter que ces grèves de lycéens les mettent en concurrence pour les postes du PS. Les meilleurs d’entre eux pourront sucer les mamelles de l’Etat et des syndicats 🙂
    Quand à la sélection vers l’université, ça me rappelle toujours cette plaisanterie :
    – Un plombier, un électricien et un bac+5 sont dans un bar. Le bac+5 dit « Qu’est-ce que je vous sers ? »

  • Oui , cela redonne de l’espoir dan s’ humanité de voir les jeunes qui sont d’une certaine façon l’avenir de demain tourner le dos au conformisme et embrasser la lutte libérale des gilets jaunes. quand les luttes vont se fondre quand le dégel viendra alors il sera temps dépenser que demain est un autre jour et en écrivant ça j’ai un gilet jaune sur le dos alors zut..je souffre. donc j’ai le droit.

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