Maths : la « méthode de Singapour », remède ou mirage ?

Prendre un bon départ à l’école primaire est essentiel pour réussir en maths. Décryptage de la « méthode de Singapour ».

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Maths : la « méthode de Singapour », remède ou mirage ?

Publié le 19 décembre 2023
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Les auteurs : Nathalie Sayac est Professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre, Université de Rouen Normandie. Eric Mounier est Maitre de Conférences en didactique des mathématiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

 

Mardi 5 décembre 2023, communiquant sur les résultats des élèves français à l’enquête internationale PISA, le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal a proposé de réviser les programmes de primaire pour y adopter progressivement la méthode de Singapour, vue comme un remède au « niveau » jugé trop faible en mathématiques.

L’objectif d’améliorer les performances des élèves français en mathématiques peut-il vraiment être atteint à travers la diffusion de cette méthode ? Pourrait-il en fait se révéler indifférent, voire même contre-productif ?

 

Peut-on vraiment parler de méthode de Singapour ?

Ce qui est nommé Méthode de Singapour renvoie à la fois à une réalité géographique, celle d’une cité-État de 720 km2, avec 181 écoles primaires, et à un réalité éducative imposant une forte pression aux élèves. Dès les années 1980, le programme de mathématique de Singapour s’est centré autour de deux éléments : d’une part la résolution de problèmes ; d’autre part une approche résumée par le triptyque « Concret – Imagé – Abstrait » visant à accompagner le passage du concret vers l’abstrait via la manipulation de matériel ou la schématisation.

Au niveau des contenus, le programme de mathématiques de Singapour est en fait assez semblable à ceux des autres pays à travers le monde, mais sa particularité est de permettre une certaine flexibilité d’application, grâce à des suggestions proposées aux enseignants pour qu’ils l’adaptent dans leurs classes. Par ailleurs, les enseignants de Singapour sont hautement qualifiés et exercent dans des écoles très bien équipées en ressources pédagogiques.

Le programme de mathématiques de Singapour ne se revendique pas d’une méthode à proprement parler. À notre connaissance, aucune recherche ne donne d’informations précises sur l’étendue des prescriptions institutionnelles, sur les utilisations et les adaptations en classe, et donc sur son efficacité.

Autrement dit, en l’état actuel des études, l’expression « Méthode de Singapour », exportée ou généralisée hors de Singapour, semble être davantage un fétiche verbal qu’une méthode évaluée selon les canons scientifiques.

 

Se représenter le  problème

Les publications institutionnelles du MENJ retiennent principalement deux éléments : l’approche « Concret-Imagé-Abstrait » et un outil, « le schéma en barres ».

Concernant cette approche, elle n’est pas étrangère aux enseignants français qui connaissent bien l’intérêt de passer par la manipulation pour aller vers l’abstraction. L’utilisation de cubes emboîtables pour travailler la numération décimale est, par exemple, assez répandue en France. Néanmoins, cette approche nécessite une grande expertise pour être mise en œuvre efficacement, ce qui est bien le cas à Singapour.

L’utilisation de schémas barres pour aider les élèves à se représenter un problème arithmétique peut être utile, mais elle ne doit pas se substituer à la résolution de problèmes en elle-même : il est contreproductif de l’imposer à tous les élèves, et peut même se révéler inapproprié pour les élèves ayant une autre représentation du problème. De plus, tous les problèmes de maths ne se prêtent à l’utilisation de cet outil, notamment s’il faut passer par plusieurs étapes de raisonnement.

Ainsi, si les principaux éléments retenus par le ministère de l’Éducation sont présents dans le programme mathématique de Singapour, d’autres comme la flexibilité dans l’application des recommandations, la qualification des enseignants et l’installation de bonnes conditions d’exercices semblent absents.

 

Est-ce avec une « méthode » qu’on se forme ou qu’on enseigne ?

Suite aux résultats du PISA 2022, le ministère de l’Éducation a indiqué tout à la fois sa volonté de co-financer des manuels pour les classes de CP et de CE1, et de diffuser progressivement la « méthode » de Singapour. Mais la question est-elle vraiment de créer de nouvelles ressources, alors que celles-ci sont foisonnantes, ou de labelliser des manuels ? L’enjeu n’est-il pas plutôt de développer les connaissances nécessaires aux enseignants pour mieux exploiter les moyens à disposition et pour se les approprier ?

Rappelons que certains manuels français existants proposent déjà des dispositifs d’apprentissage de type « Problème – compréhension – application », à l’aide de manipulations de matériel convoquant le jeu, et où le savoir à retenir est explicitement exposé aux élèves. D’ailleurs, l’enjeu n’est pas tant d’avoir recours à du matériel que de s’en servir pour problématiser des situations. Pour cela, il faut laisser aux élèves une marge d’initiative et la possibilité de se tromper, et non les cantonner à reproduire ce qui leur est montré.

C’est la première fois que le ministère de l’Éducation promeut explicitement une méthode d’enseignement ainsi qu’une adaptation des programmes scolaires et la production de manuels pour la déployer. La liberté pédagogique de l’enseignant qui s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre sera donc naturellement impactée par l’imposition de cette méthode inscrite dans de nouveaux programmes.

Dans la lettre du ministre adressée aux enseignants, il est précisé que cette méthode, « construite à partir des meilleures inspirations internationales et appliquée par 70 pays, a fait ses preuves », mais quelles preuves le ministre évoque-t-il ?

Suffit-il d’exporter une méthode d’un pays à un autre pour obtenir les mêmes résultats ? Au Japon, dans la petite ile d’Okinawa, la population a la plus longue espérance de vie et ses habitants sont parmi les plus nombreux à dépasser les 100 ans. Ils adoptent un régime semi-végétarien, faible en matière grasse. L’importation de ce régime en France permettrait-elle d’augmenter significativement l’espérance de vie des Français ?

Certains problèmes se prêtent à des représentations sous forme de schémas, d’autres non.
Par ailleurs, le programme de mathématiques de Singapour est accompagné d’une formation importante entretenue par une formation continue conséquente de 100 heures par an. En France, la formation initiale des professeurs des écoles est préemptée par la préparation au concours de recrutement des enseignants et la formation continue réduite à 18 heures par an, partagée entre les deux disciplines principales que sont les mathématiques et le français.

La formation des enseignants est pour nous l’élément clé de la réussite des élèves français en mathématiques, et c’est elle qu’il faut investir prioritairement. Il s’agit de considérer les enseignants comme des professionnels, donc leur permettre d’enrichir leurs connaissances et compétences afin qu’ils puissent choisir puis adapter les ressources mises à leur disposition pour exercer leur métier. La perspective d’un déplacement du concours de recrutement des enseignants en fin de Licence donne la possibilité de réorienter les masters Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation vers une formation initiale digne de ce nom, intégrant des dimensions professionnelles et scientifiques.

Au-delà de la formation, pour que l’enseignement des mathématiques atteigne ses objectifs de plus grande réussite pour tous, il faudrait aussi réaffirmer les objectifs de l’apprentissage des mathématiques, non en termes de réussite à des évaluations nationales ou internationales, mais en termes de constructions de connaissances mathématiques ainsi que de démarches et de processus de raisonnements, à des fins citoyennes. Il s’agit aussi d’améliorer les conditions d’exercice en classe afin que chaque enseignant puisse déployer sa palette d’outils professionnels au service de la réussite de tous les élèves.

 

Cet article est à retrouver sur le site de The Conversation France

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  • Ou comment on découvre que de vieux barbons hauts fonctionnaire n’ayant jamais testé eux-mêmes la méthode de Singapour auprès des enfants donnent leur avis, négatif évidemment, sur un site libéral.

    J’ai fait découvrir la méthode de Singapour à mon épouse il y a 10 ans après la lecture de la biographie de Lee Kuan Yee. Cet homme, fondateur de Singapour en 1966, passionné par l’éducation, explique qu’il met en œuvre une méthode d’apprentissage des mathématiques en synthétisant ce qui se fait le mieux dans le monde.

    Lorsqu’un certain ministre a fait la promotion de cette méthode, mon épouse décide de l’appliquer de manière adaptée, comme lui demande l’inspecteur à sa classe de dernière année de maternelle. La méthode fonctionnait, mais pas si bien que ça. Elle décide alors, non pas d’adapter la méthode, mais de l’appliquer telle quel, chose qui déplaît fortement à sa hiérarchie puisqu’elle s’est contenté d’appliquer une méthode de réinventer la roue comme le réclame l’éducation nationale à ses professeurs des écoles. Et là, oh surprise, tous les élèves adhèrent au programme. Les résultats sont surprenants et concernent la totalité des élèves. Depuis elle applique cette méthode systématiquement, bien que cela déplaise à sa hiérarchie, les préconisations ayant changé et la méthode de Singapour n’étant plus à la mode.

    Il est grand temps que les vieux barbons retournent en classe pour découvrir ce qu’est un enfant à éduquer avant de donner leur avis sur une méthode qui fonctionne.

    • Bonjour,
      Une petite précision : vous éduquez un enfant et vous instruisez un élève. Sur le reste je trouve cela génial les échanges que vous avez avec votre épouse et qu’elle utilise cette méthode. Les enseignants que j’ai connu trouvaient l’appropriation difficile mais la mise en place plutôt agréable et facile (sans manuel).

    • Une anecdote personnelle que je trouve relativement effrayante. L’été dernier, sur la plage, ma petite nièce adoptive stressée de ne pas encore savoir ses tables de multiplication, répète sous le parasol 2×3, 6, 3×3, 9, 4×3, je sais pus. Sa copine lui dit « tu sais que 3×3 font 9, 4×3 c’est donc 9+3 ». Réponse « Oui, j’y ai bien pensé, mais Papyves (son père adoptif, ancien directeur d’école primaire) ne veut pas que je fasse comme ça ! »

    • Si on veut une approche industrielle de l’enseignement et considérer les enseignants comme des prolétaires, alors on ne peut pas avoir un enseignement de qualité.
      De manière générale je crois que la France est en train de dévaloriser toutes les compétences, pas seulement celles liées à l’enseignement. Et je crois que le phénomène s’explique.

  • Il y a 50 ans, les petits français n’avaient aucun problème avec les maths (si on exclut évidemment ceux qui étaient des purs littéraires). Apprendre les tables de multiplication par coeur, la division, les raisonnements mathématiques élémentaires comme les problèmes de robinets qui fuient ou de train qui se déplacent (nota : la CGT boycotte depuis l’origine ce type d’exercice vu qu’aucun des trains de la SNCF qu’elle dirige, n’arrivent à l’heure à ce jour) puis passer aux équations, fonctions, etc est une méthode qui fonctionne parfaitement. À condition d’apprendre les leçons et de faire beaucoup d’exercices, mais aussi de comprendre le français et les énoncés des problèmes. Personnellement, il m’est impossible de résoudre un problème mathématique avec un énoncé en chinois parce que je ne comprend pas le chinois.
    Car ceux qui avaient un bac C, E ou D étaient assurés de faire des études supérieures. Mais, à partir de 1981, tout change avec Jospin. Pour nos socialistes, l’école ne doit pas enseigner les mathématiques, le français, l’histoire, etc, mais elle doit éduquer le futur élève au marxisme-léninisme. Pour que le cancre n’aille plus gonfler le nombre de chômeurs (qui gênait Mitterrand) et aille parasiter l’enseignement supérieur dans les syndicats étudiants et y végéter.
    On peut mettre en œuvre n’importe quelle méthode, elle échouera si l’élève ne comprend pas l’énoncé, n’apprend pas ses leçons et ne fait pas un maximum d’exercices sur le sujet. Il n’y a pas de secret. Un élève qui sort des cours à 16h et qui passe le reste de la journée à jouer au foot ou à faire le schouf ne réussira en aucune des matières sauf dans celle du deal qui rapporte un max puisque l’État ferme les yeux sur ces trafics.
    Pour réussir mon bac C en 1975, j’avais fait toutes les épreuves de mathématiques des 12 années précédentes dans les spécialités C, E, D.

    • Il y a 500 ans, les français avaient encore moins de problèmes avec les maths !
      Il est assez évident que 1975 n’est pas la bonne base de comparaison. On peut convoquer tous les hommes de paille idéologiques qu’on veut, j’pense que c’est difficile de cacher le fait que vous soyez dans une recherche de légitimation de quelque chose qui vous touche vous. Non, clairement si notre objectif est de revenir à 1975, nous sommes plutôt sur la bonne voie en fait.
      Il faut au contraire réussir à penser des objectifs qualitatifs et quantitatifs plus ambitieux.. et il est bien là le problème, c’est que ça sous-entend une accentuation de la pression sur nos structures sociales qui sont faites pour une distribution limitées des compétences et qui nous fait croire que le système éducatif a des objectifs de sélection. Avec plus 98% de la population alphabétisée, 80 à 90% avec le niveau bac (je ne parle pas de la France où la régression s’explique potentiellement et partiellement par une volonté inconsciente de protéger notre système social contre toute démocratisation de l’instruction… le taux de 90% semble témoigner d’une proportion démographique naturelle), et 33% avec le niveau supérieur (un plafond dont on ne sait pas s’il est lié à des limites structurelles ou naturelles aujourd’hui), notre société ne peut pas tenir en gardant des structures hiérarchiques traditionnelles. Manifestement aujourd’hui nous choisissons plutôt de protéger ces dernières, il y aurait sans doute mieux à faire mais pouvons-nous le vouloir ? Ce n’est pas certain. Mais ce qui est le plus surprenant c’est que ce soit le camp conservateur qui râle le plus du constat que la dynamique lui soit plutôt favorable.

  • Si en calcul ( il ne faut pas parler de maths jus’en 6eme ) on applique les meles methodes desastreuses qu’en lecture, notamment la fameuse methode globale qui a fait plusieurs generations d’eleves nuls en lecture, le resultat n’est pas etonnant. Merci les Merieux et IUFM, decides pas Jospin et consorts.

    • seulement du calcul ? Un peu limité me semble-t-il. Les programmes avant la 6e couvrent les calculs (mental et posé), la numération, les grandeurs et mesures et la géométrie/espace (tout cela agrémenté de résolution de problèmes, de programmation et de lecture de documents).
      Parlons en connaissance de cause.

  • « il faudrait aussi réaffirmer les objectifs de l’apprentissage des mathématiques, non en termes de réussite à des évaluations nationales ou internationales » nous disent ces deux pédagos suffisants. Et si on n’évalue pas, comment fait-on pour se rendre compte que le niveau est catastrophique ???? Et je ne parle même pas « des fins citoyennes » typiques de la logorrhée socialiste.
    Je suis de la génération qui a bénéficié de tous les « bienfaits » des maths prétendument modernes, calculs en base 2 dès le CM1 CM2, puis théorie des ensembles en 6ème et autres foutaises du même acabit ! Je suis arrivé en fac sans savoir faire une règle de trois !!!
    En France les maths ne sont pas autre chose qu’un outil de sélection qui permet aux seuls enfants d’enseignants et d’ingénieurs d’accéder aux concours des grandes écoles. L’arrogance des auteurs de cet article laisse pantois. ça marche à Singapour ? Mais c’est parce que Singapour c’est petit ma bonne dame ! Passer par le « concret-imagé- et enfin l’abstrait ne fait-il par courir un risque d’être contreproductif sur le cerveau des petits Français ? Petits Français qui n’ont d’ailleurs pas la même alimentation que les habitants d’Okinawa. Comprendre ce qui marche à Singapour doit rester à Singapour.
    Ces gens sont tellement méprisants et dans leur univers qu’ils pensent que tout le monde sait ce que le MENJ… Personnellement je connais le GLOUPS, le SMURF, le SGEG, etc. Il est vrai qu’écrire Ministère de l’Education Nationale doit constituer un effort surhumain.
    Cet entre-soi et cette arrogance font que ces gens sont incapables d’observer ce qui marche ailleurs. Le concept de benchmarking utilisé en entreprise n’est visiblement pas prêt d’arriver au MENJ – GLOUPS- SMURF- SGEG….

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