- sa réduction, dans les cas où « trop de concurrence » est néfaste ;
- sa suppression pure et simple et son remplacement par des dispositifs publics, parapublics ou subventionnés par la puissance publique, sous des motifs plus ou moins fallacieux (théorie des monopoles naturels) ;
- son intensification quand elle n’est pas assez vivace.
La 3ème catégorie est particulièrement paradoxale. Il s’agit d’une partie des politiques de la concurrence. Ces politiques ont deux aspects :
- l’un est salutaire : limiter les interventions de la puissance publique qui fausseraient la concurrence (règles européennes sur la limitation des aides d’État, etc.) ; nous n’en parlons donc pas ici.
- l’autre est dangereux pour la concurrence, alors même qu’il prétend la sauvegarder : ce sont les « politiques antitrust » (terme utilisé aux US, mais ces politiques existent aussi en France et en Europe). Elles sont composées de lois et de décisions administratives qui prétendent imposer un surcroît de concurrence au marché libre quand celui-ci aboutirait à la réduire : par le contrôle des concentrations et par les règles sur les monopoles, les abus de positions dominantes, contre les cartels, les ententes, le dumping, etc. Elles connaissent aujourd’hui un nouvel intérêt, dans le contexte de l’émergence de géants du numérique (GAFA et BATX), qui ont acquis en un temps record une influence exceptionnelle sur l’économie.
Les contradictions n’existent pas. Chaque fois que vous pensez que vous êtes confrontés à une contradiction, vérifiez vos prémisses. Vous constaterez que l’une d’elles est fausse.
- Justifications théoriques et modalités des politiques antitrust ;
- Critique des politiques antitrust.
Justifications théoriques et modalités des politiques antitrust
- préventive : contrôler les concentrations en les soumettant à autorisation administrative (pouvant aboutir à un refus ou à acceptation conditionnée à des changements de périmètres : vendre certaines filiales, etc.) ;
- répressive : infliger des amendes ou imposer le démantèlement des entreprises ne respectant par les lois antitrust. L’exemple le plus connu est la Standard Oil, démantelée en 1911 après avoir été fondée en 1870 par Rockfeller. Dans les années 1990 et 2000, Microsoft a été harcelé en permanence par les autorités européennes, et Google a récemment écopé d’une grosse amende infligée par ces mêmes autorités.
Critique des politiques antitrust
- Poser des conditions irréalistes dans une théorie décrivant un monde idéal, puis se fonder sur le fait que ces conditions ne sont pas remplies dans la réalité, pour ainsi justifier des interventions publiques pour forcer le réel à correspondre à cette situation, est profondément absurde.
- La théorie néoclassique de la concurrence pure et parfaite est cohérente dans sa logique interne mais elle n’a aucun intérêt pratique car elle ne permet pas de comprendre le monde tel qu’il est. Elle n’est pas une stylisation utile du réel, ce que devrait être toute bonne théorie. On pourrait tout aussi bien s’amuser à prouver mathématiquement que le monde serait optimal si les jambes des humains mesuraient 4 mètres, constater que ce n’est pas le cas, et s’en prévaloir pour permettre à l’État de financer des échasses et sanctionner ceux qui refuseraient d’en porter.
- La théorie de la CPP est une vision mécaniste et inhumaine du monde : y sont absents le temps, l’incertitude, le risque, la subjectivité, le rôle de l’entrepreneur (qui est considéré dans cette théorie comme un simple salarié comme un autre, puisque les profits tendent vers zéro). On dirait une vision désincarnée, planiste, soviétique. Et de fait, c’est une théorie qui aboutit à des pouvoirs de pilotage et de planisme étatique.
- La segmentation d’un marché étudié pour l’application des lois antitrust est nécessairement arbitraire : en fonction de la manière dont on déterminera les périmètres du marché, on sera toujours certain d’arriver à une situation de monopole (ex : si j’ouvre une pizzeria dans ma rue, faut-il considérer le marché des pizzerias de ma rue, des restaurants de ma rue ? des magasins de ma rue ? des pizzerias de Paris ? des restaurants de Paris ? etc.). À l’origine, le concept de monopole était très précis, puis il a été utilisé de manière de plus en plus vague. Autrefois, c’était un privilège exclusif attribué par la couronne royale britannique pour la production d’un bien ou service donné. Seule cette définition est satisfaisante d’un point de vue scientifique : les seuls monopoles qu’on puisse considérer de manière rigoureuse sont les monopoles publics. Et tous les travers attribués aux monopoles en général leur sont bien attribuables (tendance à augmenter les prix et baisser la qualité).
- La notion de prix de monopole (prix imposé par un « monopole », qui diffère du prix théorique qui prévaudrait dans une situation de CPP, et qui permet donc au monopole d’accaparer le « surplus du consommateur ») est, de la même manière, une notion totalement floue et impossible à définir concrètement. C’est une des contributions du magistral Man, Economy and State de Rothbard (chapitre 10).
- Les décisions d’allocation de production et de prix des « monopoles », oligopoles, cartels et ententes ne peuvent être distinguées conceptuellement des décisions internes de toute entreprise entre ses différents produits et leurs prix respectifs. (cf. Rothbard). Les lois antitrust sont fondées sur une vision anti-scientifique du monde.
- S’agissant des cartels, ce sont des structures intrinsèquement instables, qui ne se maintiennent jamais dans la durée car un ou plusieurs participants finissent toujours par rompre secrètement l’accord (en revanche, les cartels publics comme l’OPEP se maintiennent plus longtemps, avec des conséquences désastreuses pour les économies).
Le politique, partout, tout le temps
- les premières décisions antitrust, au début du XXe siècle, ont été prises sous la pression de groupes de petites entreprises paniquées par l’émergence de gros acteurs à la suite de la révolution industrielle, alors-même que ces gros acteurs étaient avantageux pour les consommateurs, comme l’ont prouvé de manière empirique des études bien des années (cf. Thomas Di Lorenzo). Cela rejoint les analyses de Hayek sur la complexité des sociétés modernes et sur la « présomption fatale » des autorités publiques qui se croient omniscientes alors qu’elles n’ont jamais les données nécessaires pour prendre des décisions de pilotage économique pertinentes.
- Ce n’est qu’après, dans les années 1930, qu’un déluge de pseudo justifications théoriques est venu soutenir les politiques antitrust, dans le contexte d’une phobie générale anti big business, après la crise de 1929, avant d’être totalement réfutées par l’école autrichienne dans les années 1940-1960.
- Aujourd’hui aussi, certains acteurs économiques qui ont été incapables de s’adapter à la révolution numérique (presse, notamment), voient dans les politiques antitrust une aubaine inespérée pour freiner l’essor des géants du numérique.
- Ces géants rendent des service inouïs à l’humanité (diffusion générale de l’information, gains d’efficience à tous les niveaux de l’économie, gains de pouvoir d’achat, disruption de vieux marchés sclérosés, effort de recherche massifs totalement hors de portée de beaucoup d’État, philanthropie, etc.) : sont-ils évalués honnêtement par les critiques des GAFA ?
- Si on les accuse de tous les maux, c’est parfois pour dissimuler les méfaits de la puissance publique (surveillance de masse par les administrations, y compris dans des pays supposés libres).
- S’ils abusent vraiment du consommateur, des concurrents finissent par les menacer. Si ce n’est pas le cas, c’est parce que la puissance publique empêche cet ajustement naturel de multiples manières (cf. supra).
- Si les GAFA rachètent à prix d’or leurs concurrents potentiels, ce n’est pas forcément un mal ; c’est une manière de faire de la croissance externe, et aussi de stimuler l’innovation, qui finit par bénéficier au consommateur.
- Postuler que ces rachats finiront par tuer définitivement toute concurrence est parfaitement arbitraire : c’est supposer a priori qu’aucune technologie ne pourra émerger en leur échappant. Cette croyance est réfutée dans les faits par l’apparition et la diffusion des technologies particulièrement fertiles et prometteuses issues de Bitcoin (cryptomonnaies, blockchain, decentralized autonomous organizations, smart contracts, etc.), en cours de progrès fulgurant et de passage à l’échelle (lightning network), qu’aucun bureaucrate n’avait prévu et qui permettent d’imaginer de nouveaux modèles économiques de valorisation des données personnelles remettant en question le cœur du business des GAFA.
- Les projets démiurgiques de transformation de l’humanité de certains acteurs privés grâce à l’intelligence artificielle dépassent largement le cadre de l’économie politique pour entrer dans la science-fiction. On peut simplement se poser cette question : si ces projets doivent se développer, faut-il qu’ils soient monopolisés par des États, c’est-à-dire par les structures qui ont ravagé le 20ème siècle par les guerres mondiales, les génocides et le goulag ? (l’argument colbertiste aboutit par ailleurs à empêcher tout démantèlement des GAFA pour ne pas laisser le monopole de l’intelligence artificielle aux Chinois).
Une conférence qui m’a fait changer d’avis sur le sujet à propos des GAFA.
Les libéraux devraient toujours garder à l’esprit cette citation d’Ayn Rand.
Faire comme pour les « babyBells » ?
Tout bonnement EXCELLENT, 38′ de pur plaisir.
Article comme on les aime. Merci.
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