Les Gafa face à l’hostilité des États

Le débat public s’inquiète ainsi des dynamiques concentratives autoentretenues des géants d’Internet, de leur contrôle de la data, de leur appétit d’acquisition de jeunes entreprises, de leur puissance émergente dans  l’intelligence artificielle. 

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Les Gafa face à l’hostilité des États

Publié le 12 octobre 2017
- A +

Par Erwan Le Noan.
Un article de Trop Libre

En 2011, la Maison-Blanche publiait des photographies du président Obama lors d’un dîner festif avec les représentants de la Silicon Valley. Six ans plus tard, le contexte politique a formidablement changé.

Le succès de  l’initiative française de taxation des Gafa, présentée à Tallinn, l’illustre : progressivement, le vent de la régulation est en train de souffler contre  les leaders du nouveau monde numérique, perçus comme de nouvelles menaces au bon fonctionnement de l’économie.

En mars 2017, un colloque d’une importance majeure s’est tenu à l’université de Chicago. Il a été l’occasion de discuter d’un sujet de vigilance désormais abondamment commenté : le retour des monopoles.

Le débat public s’inquiète ainsi des dynamiques concentratives autoentretenues des géants d’Internet, de leur contrôle de la data, de leur appétit d’acquisition de jeunes entreprises, de leur puissance émergente dans  l’intelligence artificielle. Une production éditoriale intense en ressort, multipliant les ouvrages et les articles.

Revirement sans surprise

En matière de concurrence, le ton est résolument à la méfiance et l’interventionnisme. Aux États-Unis, les commentateurs invoquent la mémoire du juge Brandeis, qui mena une guerre obsessionnelle contre les plus grosses industries américaines. Les responsables politiques multiplient les offensives, emportés par la sénatrice démocrate Elizabeth Warren et désormais également par des républicains.

En Europe, la commissaire Margrethe Vestager s’est bâti une réputation en poursuivant Apple, Facebook et Google, parvenant à saisir des sujets qui dépassent le seul champ du droit de la concurrence : l’harmonisation fiscale, la réalisation du marché unique, la régulation des données…

Cette concentration (en débat) de l’économie inquiète bien au-delà des seuls sujets de droit. On l’accuse de nourrir les inégalités salariales (le Council of Economic Advisers en discutait dans un rapport d’octobre 2016), de menacer la démocratie (la diffusion des fake news serait accélérée par le rôle central des plates-formes dans les médias) et la nation (les puissances du Web contesteraient la souveraineté des États).

Ce revirement n’est pas une surprise : il a émergé progressivement, en réaction aux heures triomphantes des Gafa. L’enthousiasme a cédé la place à la défiance et motivé des réactions volontaristes : la période contemporaine immédiate n’est ainsi pas marquée par un retrait des États mais, bien au contraire, par un retour en force de la régulation, avec les protections qu’elle prétend apporter et leurs lacunes évidentes.

Vague puissante

Ces tendances nouvelles pointent les défis posés aux géants du numérique, à la mesure de leur formidable déploiement. Nombreux parmi eux rappellent, à raison, les bénéfices qu’ils fournissent aux consommateurs – en pratique souvent oubliés des débats. Mais, peut-être par excès d’enthousiasme, ils ont omis de faire la démonstration de ce que leurs services apportent à la société et ses projets.

S’ils ont souligné combien ils enrichissent les individus de nouvelles opportunités, ils n’ont pas su expliquer comment ils pourraient, aussi, favoriser des solutions positives pour le bien-être collectif (par exemple en réinventant la solidarité ou les services publics).

Au premier rang des scrutateurs inquiets, les opérateurs traditionnels sont souvent également dans le trouble. Confrontés à une vague puissante, ils ne peuvent pas toujours lutter à armes égales, tenus par leurs modèles – et leurs obligations fiscales, économiques ou sociales.

Leurs réactions stratégiques sont contraintes : répondre à la concentration par la concentration n’est pas facile quand les régulateurs hésitent encore à moderniser leurs logiciels d’analyse issus d’un monde sans concurrence Internet et faits de marchés cloisonnés.

La révolution numérique suscite le basculement des entreprises dans un monde nouveau. La régulation y plonge également, par tâtonnements, toujours un peu en retard. Sa réaction actuelle est ainsi offensive, mais il n’est pas certain qu’elle soit conçue pour durer.

Sur le web

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  • Plusieurs remarques sur ces fameux GAFA:
    1. d’abord, je ne les mets pas dans le même sac. Autant Facebook est d’une utilité réelle discutable, autant Amazon rend un réel service, de qualité, sans oublier AWS, le meilleur Cloud actuel
    2. ensuite, ce n’est pas du tout une coïncidence que tous ces géants soient nés aux USA. Non seulement, il y a une concentration incroyable de talents dans les nouvelles technologies, mais encore, c’est le seul pays au monde où on peut lever autant d’argent aussi vite dès lors qu’on doit passer du modèle national, déjà fort gros, au modèle monde.
    Au fond, ces géants, dirigés par des entrepreneurs hors norme au pays de l’entrepreneuriat sont aussi le reflet de la financiarisation de l’économie là où lever un milliard de dollars n’est en rien impossible pour le bon « modèle d’affaires »

    • Très juste! C’est l’avantage de l’esprit américain, qui n’hésite que peut au gout du risque, et permet de lever des fonds pour développer si cela semble viable aux investisseurs! Le contraire de celui des français pour qui le risque est inacceptable.

  • Le succès de ces entreprises tient précisément dans leur capacité à innover grâce à un environnement peu régulé, et à supprimer des intermédiaires dont l’utilité n’est plus évidente. D’autres domaines sont mourants ou au mieux très stagnants, comme celui des technologies médicales (contrairement à une idée reçue), car horriblement réglementés par des bureaucrates incompétents et averses au risque.

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